Quand David rencontre Goliath (MinuteBuzz / TF1)

Tout le monde connaît le mythe, mais qu’en est-il de la réalité ?

Merci à tous ceux qui ont assisté à notre table ronde, merci pour ce moment d’échange et de partage. L’objectif de cette table ronde était d’offrir un témoignage concret de ce que peut être une collaboration entre un grand groupe et une start-up, au travers de notre histoire de fondateurs de MinuteBuzz. Nous avons créé cette startup en 2010, devenu 10 ans plus tard, le groupe média de divertissement leader sur les plate-formes sociales en France. Notre histoire avec TF1 commence en janvier 2017 avec une prise de participation majoritaire par ce grand groupe et s’arrêta de manière brutale le 11 octobre 2019, à 2 mois de la ligne d’arrivée.

La présentation est en 3 parties : le déroulé des faits concernant le partenariat entre TF1 et MinuteBuzz (pour que vous ayez le contexte), ensuite nos 5 grands enseignements une séance de Q&A.

Pourquoi avoir organisé cette conférence ?

Nous avons organisé cet évènement pour partager notre expérience après ce partenariat de 3 ans avec TF1. L’idée est bien sûr de parler un peu de MinuteBuzz, près de 10 ans après sa création et alors que l’histoire se termine pour nous, mais c’est surtout d’essayer de transmettre des enseignements utiles pour les autres. On souhaite s’adresser notamment aux start-ups qui pourraient s’associer avec un grand groupe mais aussi à l’ensemble des parties prenantes intéressées par ce sujet.

On a choisi d’appeler cet évènement « Quand David rencontre Goliath », car c’est l’image que nous avons utilisé en 2016 lors de notre première communication au sujet de notre partenariat avec TF1. On souhaite donc, à la fois, boucler la boucle mais aussi décrire avec un peu de recul comment notre vision a changé depuis 3 ans.

Etant dans l’univers des médias, notre révocation a été amplement médiatisée. De nombreux startupeurs ayant connu des déboires avec les grands groupes sont venus nous parler. Mais au final, très peu peuvent témoigner. Donc on se retrouve avec de nombreuses histoires de mariage médiatisées et peu d’histoires de divorce.

On ne prétend pas que ces enseignements s’appliquent à toutes les situations et il y a 1000 façons d’envisager un partenariat entre un grand groupe et une start-up, mais on espère à notre niveau avec notre témoignage participer utilement aux réflexions sur les relations entre deux mondes qui sont très différents.

Il faut dire les choses comme elles sont : ce partenariat se termine de manière difficile pour nous, on a beaucoup perdu, à commencer par nos équipes et le projet sur lequel on a travaillé pendant 10 ans, mais on préfère essayer de surmonter cette étape en prenant du recul et essayant de comprendre les erreurs à ne pas reproduire.

Si on est dans cet état d’esprit, c’est parce qu’on veut continuer d’avancer, continuer d’entreprendre, mais qu’on veut le faire différemment, en ayant tiré les leçons du passé.

LE CONTEXTE

Avant de vous donner nos enseignements, il nous semblait important de revenir sur le contexte de ces 3 ans passés à coté de TF1. Nous abordons rapidement les 6 premières années de notre création de 2010 à 2016, pour passer ensuite sur 2017 > “3 ans pour y arriver”, 2018 > “le choc Facebook” et 2019 > “coupés dans notre élan”, avec un focus sur l’opération en elle même (notre “incroyable pari”)

NOS 5 ENSEIGNEMENTS

Chose promise, chose due. Voici la version écrite des points que nous avons abordés dans la vidéo ci-dessus.

Encore une fois, ces enseignements sont ceux que nous tirons de notre expérience et ils doivent servir à alimenter les réflexions. Et non, être pris comme une science exacte.

• Nouer un partenariat avec un grand groupe est un moment d’euphorie. Amplifié chez nous par une année 2016 très forte (fermeture du site, exposition dans la presse, explosion des réseaux sociaux,…)
• Le risque, c’est l’emballement collectif. Nous avions fixé des objectifs de croissance ambitieux en nous basant sur des promesses de synergies avec TF1 qui n’ont ensuite pas été véritablement au rendez-vous. Le risque aussi est de signer des clauses juridiques qui peuvent vous être défavorables (le BP contractuel par exemple) car vous vous dites que vous ne serez jamais dans cette situation.
• Miser sur des synergies promises par TF1 pour multiplier le CA dans un temps court (3 ans pour nous) dans un secteur d’activité aussi imprévisible, avec un grand groupe qui peut changer de priorités en fonction de ses propres contraintes et le contractualiser, était trop imprudent.

Ne pas voir tout en rose et anticiper l’échec. Penser son contrat de mariage comme un contrat de divorce. Vous êtes désormais lié à un grand groupe qui n’aura pas d’états d’âme le moment venu.

Parler à un maximum d’entrepreneurs qui ont vécu les mêmes situations et pas seulement à des avocats

• On aurait dû gérer plus finement notre risque, on aurait dû soit vendre plus en 2016 soit sécuriser un prix plancher sur la vente en 2020. Beaucoup nous disait de vendre toutes nos parts au moment du rachat de MinuteBuzz par TF1.
• Parce qu’on croyait à 100% dans ce partenariat, on a fait l’inverse en vendant peu de parts, en en rachetant même au même prix que TF1, et en misant sur une meilleure vente en 2020. On était dans une philosophie “Tant qu’à y aller, autant y aller à fond”.
• Aujourd’hui, après 10 ans de travail acharné et la perte de notre entreprise, on réalise ce qu’on a perdu. On se retrouve avec des emprunts et sans chômage. Il ne s’agit pas de faire pleurer sur notre sort, mais de souligner que quand on prend tous les risques, on ne pense pas suffisamment aussi à ce que sera notre vie personnelle 3 ans après.

Conserver un goût pour le risque… sans passer à côté d’une opportunité de couvrir vos arrières pour l’avenir. Soyez prudent.

• La valeur de votre société est multi-dimensionnelle. On ne peut pas la réduire à un seul indicateur (pour nous c’était l’EBIT). Il y a de nombreux indicateurs possibles comme la part de marché, l’audience, la pénétration de la marque ou le nombre de clients.
• Rien n’obligeait à se fixer un seul indicateur de performance. Nous aurions pu par exemple lisser l’indicateur sur 3 ans de performance.
• En 2017, nous avons lié le montant du rachat de nos parts en 2020 uniquement aux résultats de 2019. En gros, la valeur de la société sera évalué uniquement sur les bénéfices générés sur une seule année. Donc 2 ans pour investir et 1 an pour transformer l’essai.
• 3 ans, c’est très court. Trop court pour la croissance externe. Et sûrement trop court pour un grand groupe qui structurellement manque forcément d’agilité.
• Nous avons nous même très vite été cadrés par cette logique de rentabilité rapide et nous avons parfois renoncé à des projets innovants comme les podcasts mais pas immédiatement monétisables.

Dans une industrie extrêmement mouvante, ne lier pas votre destin à un seul indicateur.

• Un grand groupe et une start-up sont fondamentalement deux organisations humaines aux cultures distinctes. Le monde des start-ups repose beaucoup sur des personnalités, des relations interpersonnelles, cultive le goût du risque et est prêt à subir des années difficiles pour mieux rebondir ensuite. Pour nous, la relation intui personae est fondamentale.
• Un grand groupe tel que TF1 a 40 ans d’histoire : face à une start-up, l’institution passera toujours avant tout, quels que soient vos liens personnels avec ses représentants, et l’objectif d’une rentabilité rapide agira comme un rouleau compresseur.
• Un grand groupe, c’est aussi des baronnies, des jeux politiques que vous maitrisez pas et des chaises musicales.
• Ne penser pas que celui qui conclue le deal est celui qui va le faire vivre
• On avait précisé juridiquement qu’un membre du comex TF1 soit dans dans notre board, mais cela n’a pas tenu et on ne pouvait pas y faire grand chose.

Ne pas oublier au moment de signer que vous entrez dans le monde de l’entreprise “classique” et que sa logique va rapidement s’imposer.

• Monter une start-up, c’est être libre et être son propre patron. Être minoritaire, c’est l’inverse
• Nous concernant, bien que nous soyons devenus minoritaires dès notre levée de fond en 2014 et bien que nous ayons été racheté en 2016 par TF1, nous avons toujours préservé notre autonomie dans notre organisation et dans notre travail quotidien. C’est ce qui nous a permis de continuer d’innover par exemple en investissant sur TikTok ou l’Adbreak. Nous avions nos propres bureaux Canal St Martin, avec nos propres studios vidéo. On a continué de travailler comme si nous étions majoritaires.
• Bien sûr, nous n’étions pas en vase clos et nous avons mis en place un mécanisme de reporting mensuel auprès de TF1 afin de faire circuler les informations de manière transparente.
• Il y a donc eu un équilibre préservé pendant 3 ans. Mais c’est aussi ça, ce sentiment d’agir comme un majoritaire, qui a rendu la chute d’autant plus dure : lorsque vous êtes révoqué du jour au lendemain de l’entreprise que vous avez fondé, vous réalisez subitement ce que veut vraiment dire être minoritaire.

Ne pensez pas que votre autonomie fait de vous un majoritaire, à la fin, c’est le majoritaire qui a le dernier mot. il y a des mécaniques qui permettent de vous protéger comme avoir un contrat de travail.

On voudrait remercier toutes les personnes qui nous ont exprimé leur soutien ou apporté de l’aide depuis notre révocation. C’était bien sûr une période complexe, comme ne pas avoir pu parler du problème avec nos équipes pendant plusieurs jours, ou encore transférer le fruit de 10 ans de travail du jour au lendemain à TF1 en quelques minutes

Merci à tous ceux qui se reconnaitront, merci pour vos messages de soutien et d’amitiés et ça nous a beaucoup aidé. Certains nous ont même déjà proposé de se relancer dans une aventure entrepreneuriale, merci à eux !

Merci à L’École supérieure du digital (ESD) de nous avoir accueilli dans ce lieu de partage des savoirs.

Et surtout une pensée forte pour nos équipes encore sur le terrain, on souhaite de tout coeur que cela se passe au mieux pour eux.

Pour nous, il est maintenant temps d’aller de l’avant et d’apprendre de tout cela.

Laure & Maxime

ANNEXE :

Avez-vous entendu parler du baromètre Crédit Agricole / CapGemini. Il souligne des intérêts divergents et un déséquilibre assez systématique dans les relations entre grands groupes et start up. 73% des grands groupes interrogés trouvent leur relation avec les start-ups équilibrées, contre seulement 46% des start-ups. Détail important, en 2018, 69% des start-ups trouvaient que c’était équilibré. Il y a donc une perception de dégradation des relations grand groupe/start up dans l’ensemble de l’écosystème, à laquelle notre histoire fait directement écho.