Quand la logique du droit à construire s’oppose frontalement à l’innovation urbaine
Par le biais des cahiers des charges de cession de droits à construire, toujours plus exigeants en matière programmatique et environnementale, le modèle français de l’aménagement fait reposer l’innovation urbaine en grande partie sur les promoteurs immobiliers. Et il contraint cette innovation à rentrer dans un découpage foncier qui s’avère de moins en moins adapté aux enjeux.
Deux exemples, limités à la programmation, permettent de juger de l’importance de déconnecter l’innovation du droit à construire.
1) Le stationnement
Il est probable que, d'ici 15 ans, l’évolution des mobilités urbaines et la montée en puissance d’une économie de “l’automobile comme service” auront rendu les parcs de stationnement largement surcapacitaires. Affecter aujourd’hui des parkings souterrains à des constructions neuves ne fait qu’alourdir la masse de ces lieux bientôt sous-utilisés, coûteux, insécures et impossibles à reconvertir.
Les mutualiser à l'échelle de macrolots n'est déjà plus suffisant. Il faut des solutions de transition, par exemple des parcs de proximité auxquels les acquéreurs des logements auront un droit d'accès privilégié et qui, construits en superstructure donc plus facilement mutables, conserveront une valeur foncière.
Cela passe par des investisseurs et des exploitants capables de les développer et de les transformer dans la durée, ce qui n'est pas le métier des promoteurs.
2) Les aménités et services résidentiels
Toutes proportions gardées, on peut appliquer un raisonnement similaire aux espaces dédiés aux aménités résidentielles dans les nouvelles opérations d’aménagement : locaux dédiés à des services (conciergerie, location de vélos, co-working, amap…) ou espaces extérieurs (fermes urbaines, jardins partagés, compostage…). Les espaces dédiés ne trouveront leur usage et leur valeur foncière que si des acteurs économiques y exercent une rentabilité pérenne.
Qu’il s’agisse de prestataires de service “classiques” ou d’acteurs de l’économie sociale et solidaire, ils ont besoin d’un marché de taille suffisante et, pour ces derniers notamment, du soutien d’investisseurs disposés à les soutenir pendant la montée en puissance de leur activité (liée notamment à l’avancement des constructions dans le cas d’un nouveau quartier).
Les solutions imaginées – soutien du promoteur pendant quelques années, contribution via des charges de copropriété… – sont très fragiles. Le risque est grand de la disparition pure et simple de ces services.
Dans les deux cas, stationnement ou aménités résidentielles, l’héritage du mode opératoire traditionnel des opérations d’aménagement, qui enferme la programmation dans des enveloppes de droits à construire et en confie la maîtrise d’ouvrage à des promoteurs immobiliers, est un frein évident à l’innovation :
- D’une part, ces activités s’inscrivent souvent dans un écosystème (utilisateurs, réseau d’acteurs) plus large que l’opération d’aménagement.
- D’autre part, la réussite de ces programmes dépend prioritairement des investisseurs et des exploitants des services concernés.
- Enfin, le cadre temporel de la valorisation de ces services dépasse largement celui d’une opération de promotion immobilière.
Ce frein peut être levé si ces éléments de programmation sont pris en charge non plus par les promoteurs immobiliers mais par des investisseurs institutionnels, de retour sur le marché du logement[1].
En effet, ces derniers disposent des moyens d'investir dans la durée et sont prêts à le faire fortement dans des actifs témoignant de leur responsabilité sociale et environnementale. Les services à développer répondent en outre à une vraie demande et contribueront à élever la valeur foncière des logements.
Cette solution suppose à l'évidence une redistribution des rôles, dans laquelle l’investisseur devient l’interlocuteur de l’aménageur, et le promoteur celui de l’investisseur. Avec, à la clé, une profonde évolution des modalités de cession de charges foncières.
[1] Un retour probable compte-tenu des évolutions structurelles du marché.
Voir notre article dans la revue Réflexions Immobilières : https://www.adequation.fr/investisseurs-institutionnels-sengager-durablement-dans-lurbain-et-le-residentiel/
Directeur général chez Établissement Public Foncier (EPF) de Nouvelle-Aquitaine
5 ansBonjour, Je partage votre analyse et vous confirme que : - les aménités résidentielles proposées sont souvent un critère important de choix du promoteur lors de la mise en concurrence des charges foncières : Le promoteur peut être tenté de faire la différence avec peu de risques (les aménités sont marginales dans la programmation) et beaucoup de communication (mise en avant de start-up, …) dont le modèle économique ne sera fiabilisé que plusieurs années après - ces cahiers des charges complexes nécessitent de concevoir des opérations d'une taille critique minimale (macro-lot) ce qui génère un empilement de décideurs : aménageur+opérateur ensemblier ou groupement+partenaires+collectivités locales et parties prenantes = beaucoup de temps, d'ingénierie (technique, juridique,...) et y compris lors de la consultation). Tout cela coûte très cher (impact sur le prix de sortie et/ou sur le prix de la charge foncière) et les projets ne sont pas très agile…
Directeur Agence Professionnels de l'Immobilier chez Banque Populaire Méditerranée
6 ansSans oublier les banques qui sont capables d'être créatives si on les incite !
Ancien directeur des études au Crédit Foncier
6 ansSur le seul sujet des aménités résidentielles, l'observation du passé - et notamment de ce qui avait été construit dans les années 1960 - laisse craindre un désintérêt des habitants à moyen long terme, et des difficultés de financement de leur seul entretien avec les charges de copropriété, menant à terme à la désaffection de nombre d'entre elles, passé l'effet de mode.
Président de Récipro-Cité
6 ansTon article fait écho à pas mal de nos réflexions du moment, merci Laurent!
Directeur Etudes économiques
6 ansArticle très intéressant (comme d’habitude quand Laurent Escobar tient la plume) qui montre une fois de plus que c’est tout l’écosystème du logement qui doit être revu pour faire face aux enjeux de demain. Le rôle des institutionnels, trop longtemps évincés du marché doit être revalorisé mais c’est aussi la nature et la pertinence des interactions entre les parties prenantes qui est en question. Dans tous les cas, il faut commencer à penser au modèle de demain. Je propose une contribution à la réflexion dans L’Agefi.