Quand le télétravail rejoue la querelle des Classiques et des Modernes
« Qu'en un lieu, en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu'à la finle théâtrel’openspace rempli »
Cette libre adaptation de Boileau, qui définissait ainsi les 3 règles régissant le théâtre classique depuis l’Antiquité, est complètement applicable à notre vision « so 2019 » du travail.
Oui mais voilà : 2020 est arrivée, et le confinement causé par le Covid a profondément remis en question nos habitudes, nos croyances, nos modèles mentaux (@Philippe Silberzahn & @Beatrice Rousset). Les règles du théâtre travail classique, symbolisées par les 3 unités de lieu / temps / action, ont volé en éclat :
- Unité de lieu :
« Qu’en un lieu… »
Nous avons vécu, pragmatiquement, preuve par l’exemple, que notre modèle mental « pour être efficace au travail, il faut tous être au même endroit », imposant que nous nous déplacions pour chaque réunion, chaque atelier, voire sans raison particulière dans l’agenda, pouvait être dépassé.
Les outils digitaux ont fait leurs preuves, moyennant adaptations / accompagnements, pour poursuivre sans impacts des relations établies au préalable.
- Unité de temps :
« … en un jour… »
Ce point concentre les difficultés que j’ai rencontrées personnellement : comment assurer le temps professionnel, séparé du temps privé, et ainsi en télétravail matérialiser la coupure vie pro / vie perso ? Comment assurer la déconnexion digitale ?
Pendant le confinement c’est surtout la présence 100% des enfants à la maison, et l’ "école à la maison" à organiser, qui ont complexifié la situation.
Un point positif à mettre en avant : le caractère détendu lié à l’irruption spontanée d’un enfant au milieu d’une vidéo-conférence. Cela ne gêne plus personne, au contraire les interlocuteurs se montrent compréhensifs et cela renforce parfois la "proximité" dans les relations. C’est un changement considérable.
- Unité d’action :
« … 1 seul fait accompli… »
Le télétravail a permis un gain en souplesse considérable à ce sujet. Pendant le confinement je pouvais (virtuellement) être :
- à Mumbai en début de matinée, pour travailler avec nos équipes OffShore,
- à Clermont-Ferrand le reste de la matinée, pour préparer un événement Innovation pour un client industriel,
- à Lyon en début d’après midi, pour participer un cadrage Data pour un client pharmaceutique,
- et en Norvège en fin d’après midi, pour animer un atelier Salesforce.
Les outils n’ont pourtant pas été modifiés pendant le confinement ; mais l’état d’esprit a totalement changé : auparavant, et mis à part pour la réunion avec Mumbai, il était attendu de ma part que je sois physiquement sur place pour chacun des ateliers ci-dessus. Je n’aurais jamais pu mener tous ces ateliers le même jour !
En termes de souplesse d’agenda, et de productivité personnelle (moins de temps perdu en trajets), la différence est considérable. En 2 clics, et quelques secondes, nous pouvons traverser la France, l’Europe, le monde.
Alors le télétravail est-il la panacée ? Les Modernes ont-ils terrassé définitivement les Classiques ?
Productivité accrue, souplesse d’organisation : le télétravail serait-il la solution idéale ?
L’étude "Le futur du travail vu par les DRH dans l’ère post Covid" conclut que le développement du télétravail de façon pérenne est souhaitable pour 85% des DRH - ce devrait même devenir à mes yeux un enjeu de recrutement des talents dans les années à venir.
Faut-il pour autant pérenniser un télétravail à 100% ?
Ma réponse personnelle sur le télétravail à 100% est non pour plusieurs raisons :
- Du point de vue relationnel : les échanges physiques créent du lien, facilitent l’entraide, d’une façon générale permettent aux équipes de se connaître. La création d’une relation de confiance et durable est difficile (impossible ?) à distance. Et ces échanges évitent aussi le sentiment d’isolement que certains ont pu ressentir pendant le confinement.
- Du point de vue organisation collective & innovation : s’il apparaît unanime dans toutes les études que le télétravail a amélioré la productivité personnelle, le télétravail ne semble pas toujours idéal, voire est non approprié, pour mener des ateliers d’innovation, favoriser l’intelligence collective, trouver des idées nouvelles.
- Du point de vue fierté d’appartenance à l’entreprise : là encore, un télétravail généralisé pourrait faire perdre le sentiment d’appartenance, et par là même l’envie de se dépasser tous ensemble pour faire avancer les projets communs.
- Du point de vue sociétal : Le télétravail est tout à fait organisable pour la majorité des cadres, il l’est beaucoup moins pour nombre d’ouvriers : selon une étude de l’INSEE, pendant le confinement, 58% des cadres ont télétravaillé pour 2% des ouvriers. L’image des cadres à la maison, pendant que les ouvriers seraient au front, n’est pas loin – attention que le télétravail ne soit pas un facteur de relance de la lutte des classes…
Cette vision personnelle se retrouve en synthèse très proche de l’analyse d’@Olivier Sibony qui distingue fort à propos les activités télé-fragiles des activités télé-robustes.
Cette période de confinement aura eu l’avantage de poser la question de la valeur du travail, l’apport, le résultat ; bien au-delà du « présentiel », qui est une caractéristique et non une valeur. Ce qui nécessite aussi de réinventer le management.
Un travail plus efficient, à court ET long terme, est un travail dont la localisation dépend de l’activité à accomplir.
Le télétravail : oui, plus de télétravail : oui, uniquement du télétravail : non.
Et vous ? quelle est votre vision du télétravail, et de son évolution ?
#travail #télétravail #modèlemental #confinement #innovation #théâtre
Industry X | Production & Operations Lead | Improving manufacturers' competitiveness and environmental performance
4 ansSi nos gouvernements détournaient un peu du budget dédié à construire des routes et aéroports pour mettre la fibre à nos portes, les conf calls pourraient remplacer beaucoup de réunions et on ne générerait du CO2 que pour les évènements indispensables à la cohésion de l'entreprise. Pour ceux qui ont vu le mur collaboratif et sa "porte" virtuelle dans l'EBC de Microsoft à Redmond, c'est ce que j'aurais volontiers dansons bureau.
Partner chez Peeers
4 ansBravo Pascal pour cette prise de position très intéressante. Il était nécessaire pour bon nombre d’entreprises d’évoluer vers un mode de collaboration plus digital qui s’est révélé chez une majorité comme très efficient et qui a permis de renforcer l’engagement des collaborateurs !
Enterprise IT Solutions Architect / Digital Transformation
4 ansTrès belle comparaison ! La France est un pays carrefour entre l'Europe Germanique et l'Europe Latine. Le théâtre baroque a eu à cette époque une place prédominante dans d'autres contrées (cf Calderón de la Barca , la Vie est un songe) et a représenté le siècle d'or de la création littéraire. Cette bataille a permis au théâtre français de rechercher un équilibre , sans renier des influences venues d'ailleurs ( Le Cid de Corneille, Dom Juan de Molière, ...). Probablement que dans la question du télétravail, la réponse se trouve également dans un certain équilibre, non pas dogmatique mais personnel car les situations de chacun sont très différentes.
Directeur Contrôle de Gestion & Membre Comité de Direction URGO Industries | Business Partner orienté Performance-Rentabilité-Cash | Booster de Transformation & Digitalisation des process Finance et connexes
4 ansMerci Pascal Espinouse pour ce post. Je ne crois pas au “100% #Télétravail” qui serait notamment un frein au maintien/développement des valeurs, de la culture d’entreprise, du sentiment d’appartenance et qui ne permettrait pas au manager de gérer une composante majeure de la relation avec ses collaborateurs(trices) : le “NON VERBAL”... mais OUI pour une répartition “bureau/télétravail” équilibrée, différente selon profils-métiers et modulable dans le temps.
Digital Project Director at Pierre Fabre Group
4 ansBravo pour cet article Pascal ! Je télétravaille maintenant depuis des années, je n’ai donc pas souffert des mêmes problèmes. Pour autant, les enjeux que tu mentionnes sont communs à beaucoup de télétravailleurs et cela demande que l’environnement familial s’adapte également, ce qui n’est pas aisé lorsque l’on a des enfants en bas âge. Selon moi, l’entreprise doit aussi s’adapter, les principaux enjeux sur ce sujet sont essentiellement culturels (plus que technologiques). Comment les entreprises vont adapter leur façon de travailler à long terme et quelle volonté d’adapter le mode managérial de ses équipes ? C’est sans doute le plus difficile à changer !