Quatre hommes et un cercueil
Charogne, de Borris et Benoit Vidal, c'est une BD qui se revendique comme un "thriller rural". Un genre inconnu au bataillon, inventé pour la circonstance, mais que l'on reprend naturellement à son compte après la lecture.
Le titre et la couverture étaient déjà des indices: on ne va pas nous raconter une bluette sentimentale avec des couleurs pastel. De fait, ils ne s'aiment pas d'amour tendre, les quatre gars chargés de descendre le cercueil de Joseph, le bien-aimé maire du village, à travers la montagne et sous un orage d'été fort violent. C'est que le toit de l'église est effondré, et que le curé de la ville d'en bas refuse de monter dire la messe tant qu'il ne sera pas réparé. Pas le choix -on est en 1864 dans les Pyrénées audoises- on ne peut pas laisser la dépouille du maire sans bénédiction ni sépulture chrétiennes.
Et voilà donc les quatre gars qui descendent, s'accrochent, s'engueulent, s'affrontent, trébuchent, glissent, se blessent... Continuer est impossible, mais renoncer aussi.
Un drôle de voyage, haletant, sinistre, horrifique par moments, poisseux et lourd comme l'orage, dont, bien sûr, personne, vraiment personne, ne remontera indemne. On rit pourtant parfois.
Cette histoire prenante est servie par un très beau dessin en noir et blanc teinté de vert ou de jaune, enfin avec surtout du noir, un noir bien dense. Les personnages ont "des gueules" que l'on n'oublie pas, leurs visages passent par toutes les émotions. La montagne est un personnage à part entière, superbe, familière et menaçante à la fois, déformée par les éléments et les émotions. Et Borris se montre un très bon dessinateur animalier, faisant intervenir toute une faune sauvage, avec des spécimens franchement mignons et d'autres beaucoup moins.
Charogne a décroché le prix du meilleur album de BD "One shot ou diptyque" du Festival du polar de Cognac en octobre.
Charogne, Borris et Benoit Vidal, éditions Glénat, 2018, 19 euros.
La fiche de la BD sur le site de l'éditeur
