Que nous apprennent les élections régionales françaises sur la gestion de l'intelligence collective dans les organisations?
Huffington Post

Que nous apprennent les élections régionales françaises sur la gestion de l'intelligence collective dans les organisations?

Est-on plus intelligent en groupe que seul ? L’idée de troupeau, de foule nous ramène régulièrement à un principe de bêtise collective qui ne nous porte pas quotidiennement à voir dans le groupe un espace de salut pour notre avenir.

Pourtant, alors que la presse nous a emberlificoté l’esprit ces dernières semaines en nous laissant entendre que nous étions à la veille de vivre un raz de marée fasciste en France, on peut observer aujourd'hui qu’aucune des Régions françaises n’est passée à l’extrême-droite, quoiqu'en ait dit, d'ailleurs, les sondages. Même les Régions pour lesquelles la probabilité était très forte d’y passer, car le FN y était majoritaire en voix au premier tour, ont eu, en quelque sorte, un « réflexe de survie ».

Mais pourquoi ? Il est plutôt rassurant de constater que la majorité exprimée au premier tour était toute relative et que, finalement, cette extrême-droite, même si elle est devenue très importante au sein de la population, ce qui est évidemment très préocuppant, n’y est pas majoritaire puisqu'elle représente aujourd'hui 28% de l'électorat français (contre 17% en 2002). En Région Nord-Pas-de-Calais la liste de Xavier Bertrand l’emporte avec 58% des voix, le FN restant sur un score similaire à celui du premier tour, et en PACA, le scénario est semblable. Il y a eu à la fois un report des voix des électeurs de gauche et une mobilisation d’une part des abstentionnistes du premier tour, gages d’un « réflexe républicain ». In fine, on assiste à un scénario très similaire à la fameuse élection présidentielle de 2002 où Jean-Marie Le Pen, arrivé au second tour de façon un peu inattendue, a réalisé un score similaire au premier et au second tour, là où le score de Jacques Chirac a littéralement explosé au second tour, dépassant 80% des voix, score inédit sous la Cinquième République.

Au cours de ces élections régionales de 2015, la France qui n'a pas voté pour le FN a révélé son intelligence. Elle l’a doublement révélée. Tout d’abord, l’abstentionnisme majoritaire des électeurs au premier tour montre leur intelligence, puisqu’ils comprennent qu’il est inutile de voter aux élections régionales : d’une part, parce que le pouvoir des régions dans l’action politique est extrêmement limité, réduit à quelques compétences extrêmement balisées et demeurant, pour une large part dépendantes de l’action menée au niveau de l’État central français, dont les capacités d’action sont elles-mêmes extrêmement limitées par le poids des accords internationaux et l’emprise de la finance internationale sur l’économie réelle ; d’autre part, on observe que les électeurs ont eu l’intelligence d’intervenir au moment où le risque est devenu palpable d’être dirigé par une élite politique d’un nouveau genre, populiste, proposant des jugements à l’emporte-pièce sur la plupart des enjeux politiques et négligeant la complexité actuelle du travail de gestion des collectivités publiques.

L’intelligence collective manifestée dans ces élections est véritablement impressionnante puisqu’elle manifeste la capacité réflexive d’un électorat et un certain dynamisme, contre le caractère figé de l’extrême-droite, incapable de mobiliser au-delà d’elle-même et votant indifféremment au premier et au second tour, alors que les enjeux y sont extrêmement différents.

Il y a véritablement deux France qui s’opposent dans cette élection : l’une dynamique et réflexive, l’autre inerte, figée sur quelques principes et manifestant une forte résistance aux changements de différents ordres qui parcourent la société française contemporaine et, au-delà, toute la société européenne.

Vu sous cet angle, les résultats des élections régionales françaises de 2015 sont encourageants. Ils n’en demeurent toutefois pas pour autant très inquiétants puisque, si une organisation se confronte à une résistance au changement touchant 29% de ses membres, on fait face à une problématique majeure car en principe, dans toute organisation, une résistance « gérable » et « normale » concerne environ 10% des membres. Posé de cette façon, quelle action les gouvernants vont-ils mener pour permettre de lever une telle résistance au changement ? Quels leviers vont-ils être utilisés au-delà de la seule politique de communication dont l'inefficacité est largement démontrée ? En clair, quelle stratégie de changement va être mise en place ?

Nonobstant cette observation, il reste que les élections de dimanche dernier ont indéniablement montré l’advenue d’une forme d’intelligence collective. En effet, peut-on encore soutenir, dans ce contexte de lucidité par rapport aux enjeux des élections régionales et par rapport à celui de l’advenue possible d’un parti populiste à la direction des affaires publiques, que la foule des électeurs est un troupeau aveuglé, sans faculté de discernement, sans capacité à réagir au danger ? Ne se dégage-t-il pas, de ces événements, une forme de sagesse ? Une « sagesse des foules » ?

J’ai récemment assisté à Paris chez Futuribles à une conférence d’Emile Servan-Schreiber sur les marchés prédictifs. Ces marchés sont des dispositifs d’intelligence collective permettant de prédire l’advenue d’événements particuliers, telle la prochaine victoire électorale aux présidentielles françaises, par exemple. Emile Servan-Schreiber et ses collègues, actifs dans la conception de tels marchés, ont démontré la capacité d’un groupe hautement diversifié à être plus intelligent qu’un groupe faiblement diversifié ou même qu'un groupe d’experts hautement qualifiés mais agissant de façon isolée. Cette démonstration leur a permis de révéler l'existence d'une « sagesse des foules », c’est-à-dire une capacité des groupes à faire le choix le plus adéquat dans des environnements où l’incertitude est élevée.

Comment s’y sont-ils pris pour réaliser une telle démonstration ? Et quelle est sa force ? Une expérience a été récemment menée aux Etats-Unis par Philip Tetlock et Dan Garden intitulée The Good Judgment Project. Cette expérience, dont les résultats ont été publiés dans le livre Superforecasting, montre que des groupes d'amateurs ne disposant ni d’une expertise reconnue, ni de savoirs techniques spécifiques, s’avèrent collectivement plus performants dans leurs prévisions que des experts reconnus, ayant accès à des savoirs techniques spécifiques, voire à des informations secrètes et posant un diagnostic sur ces seules bases.

Cette démonstration suppose un élément clé important. Cet élément clé est le processus d'apprentissage collectif généré par le système du marché prédictif. En effet, comme le montre également l’ouvrage « La Sagesse des Foules », la qualité des pronostics collectifs repose sur une neutralisation des interactions entre membres du groupe, c’est-à-dire une mise en dialogue des membres qui leur permet de réfléchir de façon « intelligente », c’est-à-dire en intégrant des informations de façon individuelle, tout en tenant compte des opinions émises par les autres membres du groupe. Cette prise en compte des autres opinions et de leur diversité dans le jugement constitue le principal levier de succès de cette intelligence collective. Mais comment y parvenir sans que ne se réveillent les blessures narcissiques ? Comment y parvenir sans que ne remonte la peur de faire erreur que nous a inculqué de façon idiote l’ensemble du système éducatif, alors même que toute démarche de connaissance est précisément basée sur l’erreur ? Comment parvenir, psychologiquement, à s’émanciper d’un rapport disciplinaire à la connaissance pour atteindre un niveau de conscience qui permette de réfléchir de façon rationnelle sans que nos émotions ne biaisent notre intelligence ?

Les marchés prédictifs apportent une réponse particulièrement intéressante à cette question de la neutralisation des inhibitions et des craintes dans les processus collectifs de décision, inhibitions et craintes qui forment le terreau de la domination. Cette réponse est particulièrement importante parce qu’elle montre que ces mécanismes d’intelligence collective permettent de neutraliser les rapports de force et de pouvoir qui sont les principaux ennemis de l’efficacité, de l’optimisation et de la justesse de jugement. Ils invitent, par conséquent, dans toute démarche d'intelligence collective, à veiller à ce que les opinions individuelles puissent être exprimées mais aussi, et peut-être surtout, que ces opinions puissent être réciproquement entendues. Cela suppose que soient imaginées des solutions garantes de cette égalité de position dans le dialogue, ce que le mécanisme électoral a magnifiquement permis de réaliser lors des dernières élections régionales françaises.

Les extremes se touchent:a force de se croire intelligent on en devient con!

Herve GRANGE

✅Directeur de projet , Gouvernance IT, Cybersécurité ✅

9 ans

L'intelligence collective ,dans ce cas, a été effectivement mobilisée pour "sauver les meubles". La première vertue est que cela permet de montrer que, oui, le vote est utile et peut tout changer ! Par contre...cela n'a certainement pas changé, dans le fond, l'envie aux électeurs de voter de manière pérenne. Une fois l'émotion du moment passé, les vieilles habitudes politiques vont vite revenir. On voit déjà que le mouvement d'union national autour de problématiques précises (le chômage notamment) est mal barré.... Toute démarche d'intelligence collective nécessite des animateurs, et "politiquement" ce sont eux qui manquent.

Bertrand MOTTIER

Secrétaire Général Syndicat CFTC AIRBUS TOULOUSE

9 ans

J'aime particulièrement l'idée de masse populaire non organisée mais assez intelligente (merci à nos prof de français), fondé sur une intelligence (un inconscient) collective(f) capable de se défendre des sirènes populistes (et ce n'est pas Ulysse qui nous contredira!)

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