Que restera-t-il des Tigres Volants de papier ?
Depuis quelque temps il était presque plus simple de lancer une compagnie aérienne que d’ouvrir une boulangerie. Prenez quelques millions levés auprès de fonds d’investissement auxquels vous aurez vendu un business model de supermarché (attirez le chaland par un prix d’appel, une fois entré il achètera de dont il n’a pas besoin) et de revente des données personnelles de vos clients. Commandez une flotte portée par un loueur, les premiers avions en wet-lease car vous n’avez ni les équipages, ni la capacité à les former. Ajoutez une appli de vente en ligne achetée sur étagère avec les partenariats commerciaux habituels (booking, car rental…). Externalisez les processus de production d’un vol (maintenance, avitaillement, traitement en escale…) que vous ne maîtrisez pas. Positionnez-vous sur les routes les plus demandées où on vous donne des créneaux car vous êtes un nouvel entrant, et…voilà ! Vous recevez votre licence de transporteur aérien. Nul besoin de pavillon de complaisance car les accords de réciprocité entre les autorités vous assurent un ciel ouvert, à moins de faire revoler les Iliouchine abandonnés par les soviets dans les pays Baltes. A contrario pour ouvrir une boulangerie, par opposition à un terminal de cuisson, vous devez pétrir la pâte, façonner et cuire le pain in-situ, ce qui suppose des recettes, des apprentis formés, une organisation pour produire la nuit et vendre le jour, et un produit de qualité pour fidéliser vos clients. Cela fait vous n’êtes pas à l’abri d’un terminal de cuisson s’installant sur le trottoir d’en face et s’appropriant une partie du business que vous aurez patiemment bâti. Votre premier réflexe sera de maintenir le prix de votre baguette car elle est meilleure que celle, crue-surgelée-décongelée-cuite d’en face. Vous perdez ainsi une partie du trafic et vos ventes de gâteaux, sur lesquelles vous faîtes votre marge, en pâtissent…Peu après 3 franchises ont ouvert dans votre rue et plus personne ne gagne d’argent sur la surproduction de baguettes caoutchouteuses et de sandwiches à la fraicheur douteuse. Mais, bien avisé, vous avez haussé le niveau de votre offre et votre pâtissier a été primé « meilleur ouvrier de France », votre pain est servi à des tables étoilées, vos nouvelles recettes cartonnent sur les réseaux sociaux, votre espace salon de thé ne désemplit pas, et votre activité livraison explose. Les franchises copy-cats ne peuvent pas vous suivre sur ce terrain. Revenons-en à nos tigres volants de papier : quelles innovations ont apporté les low-costs depuis feu People Express (long-courrier à petit prix) et Southwest, inventeur du turn-around en 30 minutes, aujourd’hui contesté sur son terrain par les Jet Blue et autre Spirit, aux prestations aussi fantomatiques que la livrée de ses A320 ? L’embarquement en mode bétaillère? Les bagages cabine mis en soute à l’embarquement faute de place dans les coffres ? Tt, tt, tt…c’est fini ça aujourd’hui. Les compagnies apparues depuis 20 ans sont des copy-cats ayant dupliqué avec plus ou moins de succès le même modèle : celui d’assembleur. Combien d’entre-elles maîtrisent en interne tous les rouages du transport aérien ? Une fois restituée la moitié de leur flotte aux loueurs et licenciée la moitié de leur effectif, que restera-t-il de ces tigres volants de papier ? Comment se différencier alors que les clients arbitreront en faveur de la sécurité, la fluidité, l’absence de promiscuité, bref, une meilleure expérience de voyage, au détriment du prix le plus bas ? Seules les plus rentables d’entre-elles (les plus anciennes, au réseau le plus étendu, aux parts de marché les plus élevées) devraient survivre au shake-out. Les grands groupes de compagnies intégrées ont l’opportunité de déplacer la compétition du terrain du prix vers celui du service et de la qualité où elles sont mieux armées. Encore faut-il ne pas la laisser passer.