Que veulent les Gilets Jaunes ?
Le mouvement des GJ a été qualifié comme horizontal, protéiforme, hétéroclite et tout en tas d’autres néologismes, qui étonnent et surprennent sans doute en premier lieu les intéressés même, qui n’en comprennent pas la moitié et qui n’ont probablement jamais pensé pouvoir être tout ça. Mais que veulent-ils à la fin ? Car ce serait dommage que le mouvement s’effiloche sans que l’on comprenne qu’est ce qu’ils voulaient véritablement. Pour le savoir, on n’a qu’à les écouter et à essayer de mettre bout à bout ce qu’ils disent, lorsqu’ils s’expriment dans les média.
Les chaînes d’infos ont pris l’habitude de les interviewer sur place, c’est-à-dire dans leurs tentes et autres baraquements de fortune, sur les ronds point ou carrefours, là où ils vivent depuis plusieurs semaines, quelques fois à -5°C. Autant dire que ça carbure grave, car ils ne doivent pas boire que du café. Une des personnes interrogées sur BFMTV dimanche dernier, un homme au milieu de la 30taine mais qui paraissait de 10 ans plus âgé, a tenu absolument à nous montrer la voiture dans laquelle il dormait depuis une semaine, selon ses propos. Le journaliste a dû penser que ce n’était plus la peine de lui demander où se lavait-il depuis cette semaine et, pendant un moment, j’ai éprouvé une grande tristesse à l’égard de ce journaliste qui devait se prendre de plein fouet l’haleine du personnage. Alors, qu’attendait-il de la part du gouvernement, lui a-t-on demandé. Et là, tous ce qu’on a pu péniblement comprendre, parmi des débuts désordonnés de phrases et d’autres incohérences, c’était qu’il attendait qu’on fassent en sorte pour qu’il « ne paye plus pour les riches ». Mais pour quels riches paie-t-il, me suis-je demandé ? Qui et comment a bien pu lui mettre dans la tête qu’il payait pour des riches ? Et que payait-il exactement ? Le journaliste n’a pas insisté, évidement.
Une autre personne interviewée, une dame la 50taine et qui paraissait, elle aussi, beaucoup plus âgée, avait fait part d’une revendication intéressante : elle voulait que l’on fasse en sorte pour que les aides et les allocations diverses et variées, dont elle disait qu’elle bénéficiât, soient plus facilement disponibles, de manière à ce qu’elle ne soit plus obligée à tant de démarches pour les obtenir. Elle expliquait qu’elle touchait différents allocations, « 100€ par ci, 100€ par là » d’après sa propre expression, mais il fallait les demander tous les mois et on sentait bien que ça la fatiguait un peu. De plus, elle proposait qu’on centralise ces aides pour lui faciliter les démarches administratives et, plutôt que de demander, par exemple, trois allocations différentes à trois endroits différents, qu’on lui fasse parvenir le montant total, sur son compte, de manière automatique.
Voilà un petit florilège de ce que veulent les GJ. Bien sûr, je caricature là un peu car ils ne sont pas tous aussi à côté de la plaque et leurs demandes respectives ne sont pas toutes aussi farfelues. Il doit y avoir aussi des gens sensés parmi eux même si, pour ma part, je n’en ai pas vu ou entendu. Leurs revendications initiales étaient en rapport au pouvoir d’achat et ça a été considéré comme légitime par les média et par la majorité des français. Pour ma part, je ne vois aucune légitimité dans le fait de se mobiliser dans la rue l’hiver, pendant plusieurs semaines, dans des conditions d’hygiène épouvantables, pour bloquer la circulation des véhicules et des poids lourds, dont une bonne partie sont des transporteurs étrangers, ou de saccager et incendier des péages, tout ça pour dénoncer un problème de pouvoir d’achat. Le pouvoir d’achat, comme tout le monde le sait, est fonction des revenus qui, à leur tour, sont fonction du salaire. Or, si je me souviens bien de mes cours d’économie, le salaire et l’expression de la valeur sociale de la personne sur le marché du travail. Car oui, il existe un marché du travail et, bien que l’humain ne soit pas une marchandise, son travail a une valeur et cette valeur-là s’exprime par le salaire, comme une contrepartie nécessaire du contrat de travail. Ainsi, le pouvoir d’achat est fonction de la valeur sociale de la personne et son augmentation ne peut pas se réaliser en le revendiquant dans la rue, mais en augmentant la valeur sociale de la personne sur le marché de travail. Et ceci passe par l’instruction et par la formation, que ce soit dans le domaine scolaire ou professionnel, par les compétences intellectuelles, sportives, artistiques, etc., par l’évolution du plan de carrière et la réorientation éventuelle, etc. Mais en aucun cas ça ne passe par la violence sociale et par la revendication car, en effet, il ne suffit pas de clamer qu’on a de la valeur sociale pour se la voir attribuée.
Mais en fin, malgré tous ces critères, les revendications initiales de GJ concernant leur pouvoir d’achat ont été reçues avec sympathie par la plupart des français et considérées comme légitimes par les média. Certains sont même allés jusqu’à justifier les blocages des ronds point et des autoroutes. Et pas n’importe qui, des gens connus, des intellectuels qui ont de l’influence dans la société. J’ai vu par exemple Thierry Ardisson, samedi dernier, expliquer à ses invités : « Tu comprends, on est en France et si tu ne bloques pas, tu peux rester pendant 6 mois sur les ronds-points sans que personne ne t’entende. En France, si tu veux te faire entendre, il faut bloquer ». Il s’agit évidemment d’un jugement extrêmement simpliste et très étonnant de la part d’un homme de media et télévision comme Thierry Ardisson, car que se passerait-il si on reproduisait ce même raisonnement à l’échelle de l’ensemble de la société et que chaque micro-corporation bloque chaque autre pour se faire entendre ? On arrive évidemment à une espèce de dead-lock social, comme on commence d’ailleurs à voir ces jours-ci, où les GJ prennent en otage les péages qui, à leur tour, prennent en otage les usagers, pour essayer de leur faire payer les préjudices qu’ils ont subis.
Et quand bien même on considérait, malgré tous les arguments développés jusque là, que les revendications initiales des GJ sur leur pouvoir d’achat pouvaient avoir un caractère en quelque sorte légitime, comment interpréter alors le fait que, une fois avoir été entendus par le pouvoir, qui a décidé d’ouvrir le portefeuille en leur faveur, tout en prenant le risque de s’attirer les foudres de Bruxelles, les GJ ne semblent subitement plus en clin d’apprécier les efforts faits à leur bénéfice et se mettent à demander ni plus ni moins que la démission du Président de la République, le dissolution de l’Assemblée Nationale, et d’autres fantaisies les unes plus incohérentes que les autres ? Comment expliquer cette haine qu’ils semblent éprouver à l’égard du président de la République, si non par le fait que sa personnalité, d’homme instruit et cultivé, qui a réussi malgré son jeune âge, est un miroir qui leur renvoi l’image de leur propre échec ? Car c’est bien connu, en France on n’aime pas les gens qui réussissent, on n’aime pas les gagnants. Pendant les manifs, on a pu entendre des invectives sans précédents à l’adresse du Président de la République, des ignominies qui ont été scandées par la populace déchainée en délire. Qu’est ce qui peut motiver une telle violence verbale, une telle haine, si non le fait que le Président de la République, ce président là en particulier, incarne la réussite et la France ne peut pas lui pardonner d’avoir réussi. Car réussir en France c’est suspect. En France, quand on a réussi, c’est qu’on a forcément triché, on a forcément fait quelque chose de mal, d’illégal. En France, il n’y a que les « pourris » et les « en***** » qui réussissent, alors que les pauvres et les crèves-la-dalle sont honnêtes, eux, et la preuve la plus irréfutable de leur honnêteté c’est justement leur pauvreté. Car oui Monsieur, en France on est peut être pauvre, mais on est honnête !