Que voit-on à travers la loupe du télétravail ?
Je ne vais pas écrire un énième article sur le télétravail, ses avantages et ses inconvénients, il y en a d'excellents (comme celui d'Olivier Sibony ). Je constate seulement que, comme la crise sanitaire et économique est souvent un amplificateur de difficultés, achevant de briser des entreprises déjà fragiles, le télétravail est un amplificateur de nos fonctionnements d’entreprise. Des défauts comme des qualités.
Du côté des avantages, les premiers retours montrent une nette amélioration de la productivité. Les personnes, dans la mesure où les conditions le permettent (possibilité de s’isoler, matériel et environnement adéquats) sont concentrées sur leur travail, moins interrompues, et plus productives.
Bien entendu, le temps gagné dans les transports est apprécié également. Et la possibilité d’adapter son travail à son propre rythme.
Le télétravail est une loupe grossissante pour nos défauts aussi.
Prenons par exemple notre façon de mettre en avant les extravertis. Ou, disons plus simplement, si nous regardons se dérouler une réunion, dans la plupart des cas, les personnes assertives, qui ont des facilités à s’exprimer en public occuperont une grande part des échanges. Les introvertis, eux, prendront plus le temps de réfléchir avant de s’exprimer, au risque d’être totalement oubliés. Si la réunion est à distance, et pire encore, en audio ou avec une vidéo de mauvaise qualité, il y a fort à parier qu’on ne les entendra même pas.
Prenons aussi notre façon de laisser la place aux idées, ou non. Si le manager a tendance à imposer sa vision, à refuser les idées contradictoires, que pensez-vous qu’il se passe à distance ? Il aura beau jeu de montrer ensuite que les réunions sont beaucoup plus efficaces, pas de temps perdu. Assurément. Pas d’idées nouvelles non plus d’ailleurs. C’est finalement très rassurant pour lui.
La sécurité psychologique est un facteur clé de l’efficacité d’une équipe. Là encore, le travail à distance peut être un facteur aggravant d’insécurité pour les personnes. Les petits chefs se régalent… il est si simple de donner des ordres, il est si difficile d’écouter. Pas ou peu de body-language, beaucoup de malentendus, de mauvaises interprétations, beaucoup de frustrations.
Le télétravail ne peut fonctionner sans outils- c’est d’ailleurs pour cela qu’il a pris une telle dimension aujourd’hui, où il en existe des quantités. Mais c’est avant tout une question de personnes. Une question d’individus, d’équipes, et de managers. Et en cela, le télétravail n’est pas différent du travail en présentiel. Beaucoup d’entreprises s’acheminent vers un mode hybride, où le lieu de travail est étendu : à la maison, à l’usine, chez les clients, dans les transports, au bureau… Cela suppose beaucoup plus de rigueur dans l’animation des équipes et le développement des personnes. Cela suppose aussi d’attacher de l’importance à ce qu’on ne voit pas.
Ce qu’on voit ? L’efficacité à court terme, les résultats, les économies, la productivité du travail. L’exécution.
Ce qu’on ne voit pas ? Les gens qui décrochent, les équipes qui s’individualisent, l’absence de créativité, la dispersion des énergies, les clients qui s’éloignent. L’exploration.
Tout miser sur l’exécution est un calcul à court terme. Tout miser sur l’exploration est intenable. L’enjeu du management est de favoriser les conditions qui vont permettre aux gens d’avoir des idées. Des idées pour garantir l’exécution, en faisant face aux imprévus qui ne manquent jamais de survenir, des idées pour maintenir l’exploration qui va permettre de bouger dans la bonne direction, et de générer de l’innovation.
Le rôle du manager est de mettre en place les conditions pour que les gens puissent avoir des idées
Partant de ce concept, le management consiste à mettre en place les conditions pour que les gens puissent avoir des idées, je vois 5 questions à se poser. Quel que soit le mode de travail.
1 – les conditions de travail sont-elles correctes ?
Avec un lieu de travail étendu comment être sûr que les outils mis à disposition, l’environnement physique et numérique (oui, même dans un monde digital, on s’assoit encore sur une chaise…) offrent de bonnes conditions ? Bien entendu, on pense au confort du poste de travail, à l’accès aux données et aux outils. Il ne faut pas oublier non plus les outils de mise en relation : vidéo, audio, micro et casque de qualité, plateformes partagées, mais aussi salles de réunion, zones de travail collaboratif…
2 - L’environnement de travail est-il sécurisant ?
Comment s’assure-t-on de la sécurité psychologique des individus ? Comment détecter ceux qui se sentent seuls, isolés ? Comment savoir quand le sentiment d’inutilité prend le dessus ? Comment garantir le droit à l’erreur et l’apprentissage, qui sont seuls gages de créativité ?
3 – La boussole est-elle claire pour tous ?
Comment être sûr que tout le monde va dans le même sens ? Comment faire pour que le client soit réellement l’étoile du Nord de l’équipe ? Comment montrer à chacun/chacune en quoi son travail participe à la création de valeur pour le client ? Comment s’assurer que non seulement tout le monde avance dans la même direction, mais en plus que la collaboration est un élément clé de cette progression ?
4 – Le challenge est-il clair ?
Exécuter un plan défini à l’avance ne suffit pas, loin s’en faut. Une foule d’obstacles, petits et grands se présentent tous les jours. Est-on capable de les voir ? De les résoudre ? Comment mobiliser tout le monde, tous les jours, pour avoir des idées nouvelles, améliorer les façons de travailler, innover ? Où est placée la barre de ce qu'il faut améliorer ?
5 – Le socle technique est-il constamment développé ?
Dans tout travail, il y a transformation. Transformation de connaissance, de données, de matière, pour construire un produit, un service, un système, une appli… Toute transformation s’appuie sur des gestes techniques, des gestes dont la maîtrise fera la qualité du produit. Il est assez parlant de constater que lors du passage brutal en télétravail, au moment du confinement, certains managers qui avaient abandonné depuis longtemps la technique à leurs équipes se sont trouvés « largués », là où ceux qui étaient capables d’aider leurs équipes à maîtriser les gestes à distance ont retrouvé un rôle plus fort qu’avant.
Ces cinq questions se posent tout le temps, où que l’on travaille, quel que soit le modèle. Par ailleurs, la réponse à ces questions orientera sans doute vers une définition du lieu de travail adaptée à chaque situation d’équipe.
Profitons de l’effet de loupe apporté par la situation actuelle pour améliorer nos façons de travailler. Cherchons encore et encore comment mettre en place les conditions de réfléchir. Plus les choses vont vite et sont imprévisibles, plus les réflexions et les idées nouvelles sont précieuses. Il ne faut pas avoir peur de l’esprit critique, c’est le carburant de toute créativité, de toute progression. Le monde digital ne doit pas être un monde sans réflexion, sinon nous courons à la catastrophe.
Innovation Portfolio Management Leader
4 ansTrès intéressant, je pense qu'un équilibre entre présentiel et télétravail doit se trouver, le relationnel doit continuer en majorité. J'ai testé des ratios de 80 présentiel / 20 télétravail ou 60/40, et je trouve cela efficace. Comme on n'a pas tous un bureau spécifique avec une chaise confortable ou un bon réseau wifi, la répartition des tâches à faire en présentiel ou en télétravail est un élément clé pour l'efficacité ;-)
Intelligence relationnelle -Coach certifié ACTP- Master Black Belt Lean Management-Formateur-Conférencier
4 ansMerci Cécile, pour ce post pertinent et bienvenu....
Directrice
4 ansÁ mon avis cette formule va se mantenir, mais il faut avoir attencion afin de comment bien garantir la communication
Directrice commerciale - Aménagement du territoire - Enjeux et stratégies pour des espaces ludiques et sportifs
4 ansMerci pour cet éclairage! le mix Présentiel /Distanciel est un enjeu pour nos entreprises et fait partie intégrante des réflexions actuelles quant à notre Agilité d'aujourd'hui et de demain.
Direction de l'innovation
4 ansJe le pose la question maintenant de l'arrivée des nouvelles générations Millenial (voire Post Millenial) dans nos environnements de travail. Il semble que la qualité de l'environnement de travail, la culture agile, les contacts horizontaux soient des éléments clé pour demain attirer les talents que l'on cherche.