Quelle reconnaissance juridique pour la crypto-monnaie ?
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Quelle reconnaissance juridique pour la crypto-monnaie ?

En Juin dernier, Facebook annonçait officiellement le lancement de sa crypto-monnaie baptisée Libra, d’ici à 2020.

Ce phénomène, bien que nouveau et attrayant à de nombreux égards, laisse néanmoins subsister quelques zones d’ombre, à commencer par ce qu’est précisément la crypto-monnaie.

Très simplement, il s’agit d’un système financier entièrement dématérialisé, ce qui suscite de nombreuses interrogations sur le plan juridique notamment.

Constitue-t-elle une monnaie au sens juridique du terme ? N’est-ce pas une prérogative de l’État que de battre la monnaie ? Que recouvre exactement le terme de crypto-monnaie ? Quelle confiance et quelle sécurité juridique accorder à ce mode de paiement ?

A cet égard, Yves Maersh, officiant au Conseil exécutif de la Banque centrale européenne, appelait à ne pas céder aux promesses « séduisantes mais perfides des sirènes de Facebook ».

Alors faut-il s'y ruer ou au contraire, s'en méfier comme la bête noire du village ? Quelle place leur accorder dans notre système actuel ?

  • La crypto-monnaie constitue-t-elle de la monnaie au sens juridique du terme ?

En France, la crypto-monnaie ne connait pas de véritable définition juridique, ni de statut légal explicite. Cet enjeu de qualification est délicat puisque qualifier la crypto-monnaie de monnaie revient à lui appliquer ce régime juridique.

A l’heure actuelle, le législateur commence seulement à s’y intéresser. La loi PACTE II du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, tente d’éclaircir les débats en la qualifiant d'actif numérique. Mais il n’en demeure pas moins que les points de vue divergent.

Afin de tenter de trancher ces désaccords, il convient de s’arrêter sur les fonctions de la monnaie. Dans un Focus, la Banque de France rappelle les trois fonctions traditionnelles de la monnaie :

   - représenter une unité de compte, une unité standardisée

   - constituer un intermédiaire d’échange pour faciliter les transactions commerciales

   - stocker une valeur, permettre l’épargne

La crypto-monnaie remplit-elle ces 3 fonctions ?

Certains auteurs considèrent qu’on ne peut la qualifier de monnaie car il revient à l’État de battre la monnaie, c’est une fonction purement régalienne touchant à la souveraineté étatique.

La Banque de France de son côté qualifie la crypto-monnaie de « crypto-actif », autrement dit l’exclut de la définition de monnaie.

Pourtant, pour ses créateurs, la crypto-monnaie constitue une monnaie et a été créée pour cela; en effet, elle a vocation à être utilisée comme moyen de paiement et d’échange.

Et selon l'Institut national de la consommation la crypto-monnaie peut se définir comme « une monnaie virtuelle qui repose sur un protocole informatique de transactions cryptées et décentralisées, appelé blockchain ou chaîne de blocs ». En définitive, il s’agirait d’un mode de paiement entièrement dématérialisé, fonctionnant sans l’entremise d’institution financière. Une crypto-monnaie consiste en un moyen d’échange et de paiement ne nécessitant ni billet, ni pièce, ni centralisation.

La blockchain est l’outil de transmission des actifs. Le vocabulaire de l’informatique a défini la blockchain comme « un mode d’enregistrement de données produites en continu, sous forme de blocs liés les uns aux autres dans l’ordre chronologique de leur validation, chacun des blocs et leur séquence étant protégés contre toute modification. »

En d’autres termes c’est un système de stockage et de transmission d’informations. Dominique Langeais décrit le fonctionnement d’une blockchain en distinguant trois grandes étapes :

  1. Étape n°1 : l’enregistrement de données (documents ou transactions)
  2. Étape n°2 : le regroupement de ces données dans des blocs qui seront reliés entre eux pour former une chaine
  3. Étape n°3 : le processus de consensus qui fait appel au réseau de nœuds permettant de valider les transactions et de les rendre irréversibles

La blockchain est à l’origine de la crypto-monnaie la plus connue aujourd’hui qu’est le Bitcoin. Née en 2009 beaucoup d’autres ont vu le jour depuis, à l’instar d’Ether ou encore Ripple. Il apparaît donc que la crypto-monnaie puisse être qualifiée de monnaie, notamment en ce qu’elle constitue un intermédiaire d’échange.

Mais y a-t-il une place pour une monnaie non-étatique ? Ainsi que le mentionne l’Institut Sapiens, les crypto-monnaies ne peuvent-elles pas coexister avec les monnaies nationales en remplissant des usages différents ?

  • Quels sont les apports de cette monnaie face aux moyens de paiement existants?

Acheter en crypto-monnaie peut paraitre absurde. En effet, pourquoi vouloir acheter de la monnaie alors qu’il existe déjà des possibilités de payer (euros, dollars..) ?

C’est à ce sujet que la crypto-monnaie marque des points par rapport aux autres moyens de paiements traditionnels : la crypto-monnaie est un modèle ultra-compétitif de par le fait que le paiement s'opère de manière instantanée, sans frais transactionnel, et cela, même à l’étranger.

En effet, inutile de rappeler que lorsqu’un paiement est effectué par carte bancaire ou par le biais de plates-formes telles que PayPal, ces dernières empochent une commission sur chaque transaction.

Cependant, il est à noter qu’au sens de l'article L111-1 du Code monétaire et financier « la monnaie de la France est l’euro ». Ainsi, un commerçant français reste libre d’accepter comme de refuser ce mode de paiement.

  • Quelle sécurité pour les utilisateurs de crypto-monnaie ? 

Jusqu’alors, les banques occupaient un rôle important dans les opérations puisqu'elles rendaient traçable l’ensemble des transactions et permettaient de réguler et de contrôler la monnaie.

A l’inverse, la crypto-monnaie est conçue à partir d’un système décentralisé fonctionnant de manière autonome, sans l'intervention d'une tierce personne (d'une banque ou d'un État). Les opérations se font donc instantanément. C’est donc une monnaie visant potentiellement le monde entier et non rattachée à un État, de quoi en inquiéter plus d’un.

Quels risques encourent les utilisateurs ?

Le risque majeur de la crypto-monnaie est lié à la volatilité de son cours : les acheteurs s'exposent à des pertes financières importantes.

Cependant il faut nuancer ces propos puisque cette monnaie a tout d'un actif comme les autres en ce que cette volatilité est similaire à celle des actions et des obligations, et répond donc à des stratégies de placement. A titre d'exemple, le Bitcoin a vu son cours atteindre des taux inédits avant de chuter puis enfin remonter, c'est le jeu !

En outre, à l’heure actuelle, en dépit du système très sécurisé sur lequel repose la blockchain, aucune technologie n’est infaillible, et le manque d’encadrement législatif n’offre aucune garantie aux utilisateurs des crypto-monnaies. En outre, l’utilisation de la crypto-monnaie comme une « tirelire » risque d’affaiblir la sécurité de l’épargne.

Enfin, le système de transactions est aussi pointé du doigt par les détracteurs de la crypto-monnaie en ce qu’ils sont totalement anonymes. A ce titre, les risques de blanchiment ne peuvent être ignorés.

Ainsi, ce nouveau système comporte des côtés pervers, lesquels sont cependant observables dans toute nouvelle création technologique. De ce fait, il incombe au droit de sanctionner les mauvaises pratiques afin d’apporter une réelle sécurité juridique aux utilisateurs.

A l’heure actuelle, cette technologie, sans réelle gouvernance, dérange et fait peur.

Ainsi, faut-il construire un droit parallèle applicable uniquement à ce genre d’actif ou faut-il adapter notre système juridique actuel ? Quelle juridiction serait alors compétente ? Quelle responsabilité en cas de défaillance du système ?

Alors en dépit d’un système pour l’heure bancal, une chose est sure : la crypto-monnaie s’étant développée dans notre monde économique, il ne reste plus qu’à lui faire une place au sein de notre système juridique.

Tout reste donc à bâtir... !

Diane Lechevranton

Sources :

Blockchain et actifs numériques, Dominique Langeais, Lexis Nexis

Mythes et légendes de la blockchain face à la pratique, Eric A. Caprioli, Avocat à la Cour - Docteur en droit - Membre de la délégation française aux Nations unies

Blockchains : entre mystères et fantasmes, Mustapha Mekki, Agrégé des Facultés de droit - Professeur à l'Université Paris 13 - Co-directeur de l'IRDA

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