Quelle souffrance !

Quelle souffrance !

Habitué à des interventions publiques où je peux affirmer mes positions et porter la contradiction si nécessaire à certaines affirmations d'autres intervenants, j'ai accepté d'être animateur-modérateur d'un colloque consacré aux violences intra-familiales sur une journée entière... Animateur-modérateur donc, j'ai du contenir mes envies de réactions-contradictions devant quelques propos d'une des intervenantes, "psychologue clinicienne et psychanalyste réputée" (dixit elle-même), laquelle devait parler des "pervers narcissiques", et : 

- mentionnant plusieurs fois qu'elle passe à la télé (ce qui est le cas, dans une émission les après-midi), 

- n'hésitant pas à parler du DSM3 pour dire que le pervers narcissique n'y figure pas; Le DSM3 date des années 90, nous en sommes au 5, et en effet, le pervers narcissique figure dans L'Obs ou L'Express une fois par an, mais toujours pas dans le DSM, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux utilisé au niveau international...

- énonçant que les femmes-victimes d'un pervers narcissique développait un cancer du sein droit (arghh...) et en précisant (tout de même) qu'il n'y avait pas de preuve scientifique (ce qui ne l'empêche pas d'annoncer cela comme un fait); 

- expliquant que les médecins ne peuvent pas certifier sous peine de poursuite des constats qu'ils font chez ces femmes (ce qui est faux, comme je l'ai rappelé un peu plus diplomatiquement... car induire en erreur à ce point, c'était trop);

- ou encore disant que sur la violence psychologique, la situation depuis 20 ans se dégrade (alors que tous les indicateurs montrent au contraire une plus grande sensibilité, une parole plus aisée et une meilleure prise en compte de ces violences, sans compter un cadre législatif les reconnaissant comme délictuelles, des professionnels de plus en plus formés... La situation n'est pas parfaite, elle est au moins moins pire qu'il y a 20 ans).

Sans oublier des appels à Lacan (on trouve toujours une phrase de Lacan-il-faux;-) et des affirmations enchaînées sans plus de démonstration que ça (du style, en à peine résumé, le pervers narcissique est un homosexuel refoulé qui ferait mieux de le reconnaître). Et plein d'autres choses qui auraient pu être discutées car reposant sur la force de l'affirmation plus que sur un fondement probant.

Effet obtenu ? Tétanisation de l'auditoire (travailleur sociaux-psychos-médicaux) pour une bonne part, chacun ayant "reconnu" au moins un pervers ou une perverse narcissique dans cet alignement de traits et d'anecdotes, désaccord d'une part minoritaire d'entre eux et une star dans la lumière ; la psychologue qui passe à la télé. Ce sera difficile pour certains de ne pas catégoriser dans la case éliminatoire "pervers narcissique" certains des usagers qu'ils vont rencontrer. Comment alors travailler avec des personnes qui, de "pervers narcissique" n'auront que le label qui leur aura trop rapidement été accolé ?

J'ai eu un coup de chaud en l'écoutant. D'autres intervenants du colloque présents ont eu des réserves similaires aux miennes. L'un d'eux, médecin, l'a exprimé à la tribune, revenant sur le fumeux cancer du sein droit provoqué par le pervers narcissique... Cela m'a permis de ne pas exploser ! Qu'il en soit remercié.

Bon, la photo de grenade rouge (trouvée au marché ce week-end) résume bien l'état dans lequel j'étais durant cette écoute attentive et désespérante. Je me suis raccroché aux deux petites choses justes et pertinentes qu'elle a dit. Deux en 75 minutes, c'est peu... Heureusement, les autres intervenant.e.s de la journée ont été d'une grande qualité et ont nourri la réflexion des professionnels. En fait, ils n'ont pas fait un show, ils n'ont pas sidéré leur auditoire, ils n'ont pas donné dans l'émotion et le croustillant, ils n'ont pas inondé de références obscures (et vides) leur public. Ils ont abordé la question des violences au sein du couple avec de la hauteur tout en étant parfaitement concrets. Leurs interventions ont, petit à petit, permis de remonter la pente de la pensée, d'intégrer la complexité, de donner des pistes d'actions, de sortir d'une catégorisation qui empêche de voir les nuances et les personnes derrière la description qui fait peur et seulement peur...

L'animation-modération est donc une fonction intéressante... et frustrante.

Danielle POPOVIC

Cadre développeuse sociale |EQM.11/25ans|Direction Enfance Adolescence et Famille |Département des Hauts de Seine

6 ans

Le psychologues,médecins,et travailleurs sociaux sont pourtant connus pour leurs prises de position,débats d’idées.N’ont-ils pas l’art de faire entendre leurs voix quand cela s’impose !!!Etonnant ce silence,cet état de sidération dans l’assemblée...

Cher Laurent comme je compatis à votre "coup de chaud". Devant cette oratrice se revendiquant d'une croyance du siècle dernier, allant jusqu'à citer un imposteur célèbre. je vous admire pour avoir su puiser dans vos réserve de sérénité! A ce propos ce mois-ci le supplément de Science&Vie est consacré aux pathologie mentales, notamment aux dernières découvertes sur leur causes et les nouvelles pistes en terme de traitements. De quoi répondre aux Gourous... Quand on peut!

Solange MAAS

assistante sociale chez Education Nationale

6 ans

Effectivement la "starisation" 'un professionnel " vu à la télé", comme disait la pub, n'en fait pas un gourou...ou alors il devient à son tour manipulateur de foules...

Valérie LE MOULLEC

Cheffe du service de l'action sociale et responsable du FSL chez Conseil départemental Eure-et-Loir

6 ans

Merci de nous faire partager votre vécu d'animateur-moderateur, c'est une posture et un exercice tenu ! Sur la problématique de fonds, il n'y a ni savant ni sachant, et ce n'est pas une discipline qui peut expliquer, prevenir et resoudre un phénomène complexe et multiple. Non-comment depuis quand le fait de passer sur le petit écran permet d''assoir ses positions et de les imposer aux autres ? Tout cela manque de modestie et de contradictions...

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