Quelle vie en EHPAD !
J'ai accompagné tout au long de la période covid l'IDEC d'un des premiers EHPAD à avoir fait les titres de journaux pour l'exemplarité de son équipe ayant fait le choix dès la première heure de se confiner avec les résidents pour optimiser la non intrusion du virus.
Souffrances ou pas, la vie reprend.
Seule à manager à la suite du burn out pré-covid de la directrice de l'établissement, explosant son quota horaire mensuel pendant le covid, gérant ici l'anxiété des résidents, là les insomnies de l'équipe, trouvant in extremis une jeune IDE dévouée, l'IDEC a cependant, dans les premières semaines du confinement, fait le constat d'une amélioration notable de la qualité de vie des résidents et des salariés.
La vie reprend me dit-elle, on s'organise, on invente. Tout le monde participe, résidents et professionnels, on a même un papi que l’on pensait aphasique qui se remet à causer. Un mieux dans la qualité de vie ? Mieux encore une vie de qualité ? L'espoir d'un travail qui retrouve du sens?
Et puis les choses se gâtent à nouveau. Directives de l'ARS incomprises de la direction générale, mise en place en urgence d'un directeur "à l'ancienne" pour rétablir l'ordre. Confinement en chambre des résidents, incompréhension des familles, apparition d'un trafic de sucrerie sous les grillages d'enceinte, démission de la jeune IDE, recul de la qualité de vie des résidents. La dépression refait surface, massivement. Décision du directeur de tester tous les résidents, deux cas asymptomatiques, panique à bord.
Quelle qualité de vie pour qui ?
Je propose à l'IDEC de se concentrer sur les événements positifs, d'écrire et de publier dans la presse locale et réseaux sociaux les moments de mieux-être vécus dans l'établissement. Elle adhère à l'idée, mais c'est trop tard, pas le temps, plus l'énergie. L'IDEC craque, arrêt maladie. L'équipe est en souffrance, les familles à bout.
Qui va endosser la responsabilité de cette organisation ubuesque... l’animatrice ? Y a-t-il des coupables dans cette histoire ? Non il n'y en a pas.
Le problème réside dans une vision péjorative de la vieillesse, dans le refus de l'institution d'adapter son rythme à celui de ses « clients" et plus encore, dans le débat philosophique entre valeurs morales (la loi avant l’autonomie) et valeurs éthiques (l’autonomie avant la loi).
Un tabou non abordé
Une direction générale prisonnière de sa tour d’ivoire, un directeur parachuté prisonnier de sa servilité comme aurait dit Bernanos, une ARS prisonnière de ses contraintes administratives, une équipe de terrain prisonnière de la perte de sens de son travail "asynchrone" auprès des vieux, des familles qui n’ont pas les mots pour s’indigner. Pas de place pour l'intelligence collective, pas de temps pour la réflexion sereine coordonnée et proactive.
Quid de la souffrance de chacun ? Quid des sentiments et émotions ravalés par chacun comme une soupe aux cailloux ? Quid des frais cachés, des compétences gâchées ? Quid du caractère privatif des libertés des EHPAD (cf. Rapport du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté - 2012) ? Quid de la voix étouffée des vieux ? Quid des idées innovantes appelées de ses voeux par la NGP ?
Cet EHPAD comme tant d'autres (pas tous) est en grande souffrance. Ne se cacherait-il pas derrière tout ce fatras un rapport à la mort autrefois apprivoisée, devenu aujourd’hui étrangement pathologique, administratif et marchand ?
Crise sanitaire ou pas, il ne fait pas bon vieillir de nos jours dans nos contrées où l’on ne peut plus vraiment prendre le risque de mourir. Il ne fait pas bon parcourir 450 km pour visiter à l’improviste les vieux que l’on aime. 2 milliards d’euros et des brouettes attribués au 5ème risque de la SECU. Un début très prometteur, oui, mais "pour faire quoi" ? L’ehpad de demain sera-t-il ouvert physiquement et spirituellement ou ne sera-t-il pas ?
Il me semble que dans l'expérience que vous citez, il manque de la part des décideurs, non seulement une réflexion sur le sens mais également la (re)connaissance de ce qui se vit sur le terrain. Quel gâchis à tous les niveaux !
Formateur gérontologie Ehpad, troubles du comportement maladie d'Alzheimer dans un cadre légal et éthique
4 ansMerci Colette EYNARD, je partage votre sentiment. La question du sens est centrale dans le travail en EHPAD (et en toutes choses de l'existence, cela semble si trivial à dire). J'ose espérer que les choses liées au respect de la liberté des résidents évolueront favorablement dans un futur, sinon proche, pas trop lointain...
Consultante en gérontologie sociale ARCG
4 ansMerci, Paul POLATO. pour votre réflexion si juste et humaine, le tableau que vous faites de la situation dans cet EHPAD montre bien la difficulté, mais aussi la nécessité, de donner du sens à ce qu'on fait malgré les injonctions contradictoires du système actuel. Je crains pour ma part que rien ne change vraiment dans le futur proche et que la liberté des résidents ne soit octroyée que pour être mieux reprise "pour leur bien".