Quelles leçons retenir des « Mémoires de Guerre » de Winston Churchill ?
Ce tome 1 des Mémoires de Guerre de Churchill, publié chez Tallandier en 2009, est entré entre mes mains par la grâce de Joaquim Fritsch, que je tiens à remercier. Ce livre, qui couvre la période 1919-1941, a été pour moi un moment de lecture agréable, assez inattendu.
Cette édition, remarquablement bien traduite, relate cette « guerre évitable » selon l’homme d’Etat britannique. Je dois dire que j’en tire quelques leçons qui peuvent s’appliquer aussi bien dans la vie privée qu’en matière de management ou de politique contemporaine.
En voici déjà trois, en attendant la suite que je ne rédigerai qu’au vu des réactions à celles-ci.
Leçon N°1 Eviter la guerre : une question de timing et de courage politique
Sur la scène internationale, deux grands acteurs, la Grande Bretagne et la France, deux grands vainqueurs de la première guerre mondiale, se retrouvent face à leur ancien adversaire, l’Allemagne, qui porte en 1933 un ancien caporal, aux plus hautes fonctions de l’Etat.
L’enchaînement des faits est le suivant.
- Dès 1933, Hitler commence à réarmer. Pas de sanctions. Hitler s’enhardit.
- 1934-1935 : L’Allemagne développe ses forces aériennes, à un niveau supérieur à celui des forces britanniques. Pas de réaction. Hitler s’enhardit de nouveau.
- Mars 1936 : Hitler décide de réoccuper militairement la Rhénanie. Lâcheté de l’Occident. Hitler gagne encore en légitimité.
- Mars 1938 : Hitler annexe l’Autriche. Pourtant, un grand nombre de ses chars tombent alors en panne. Les grandes nations occidentales laissent faire. Le prestige d’Hitler gagne encore.
- Septembre 1938 : à Munich, la France et la Grande-Bretagne abandonnent la Tchécoslovaquie. Avant cet événement, considérant que leur chancelier va trop loin, plusieurs généraux allemands fomentent un complot pour faire tomber le dictateur. La lâcheté des occidentaux, sous couvert de préservation de la paix, les amène à abandonner leur projet. L’image d’Hitler grandit encore.
- Septembre 1939 : l’Allemagne envahit la Pologne. Peu de temps auparavant, Mussolini, qui était resté en fait assez proche de la France et de l’Angleterre, se rapproche du dictateur allemand. Encore là, plutôt que de prendre l’initiative, ce qui aurait pu diviser les forces allemandes, France et Royaume-Uni attendent à l’abri de leurs frontières que l’Allemagne prenne l’initiative.
- C’est avec l’attaque de la Norvège en avril 1940, puis de la France en mai que la « drôle de guerre » s’achève.
Depuis 1933, de lâchetés en renoncements, les vainqueurs du premier conflit mondial ont laissé leur ancien ennemi réarmer massivement, se préparer à la guerre. Or, jusqu’à l’invasion de la Tchécoslovaquie incluse, leur supériorité militaire était établie, et ils seraient sortis vainqueurs d’une confrontation.
Toutes proportions gardées, de funestes enchaînements de ce type se rencontrent malheureusement dans la vie professionnelle ou personnelle. Et l’ « esprit de Munich » se retrouve souvent dans des décisions managériales marquées par ce que l’on appelle aujourd’hui la « bienveillance ». Un collaborateur met une boîte en danger, on hausse un sourcil. Une seconde faute lui vaut un blâme. Inutile de décrire la suite.
Mais aujourd’hui, le domaine où je trouve cette analyse la plus inspirante et appropriée est celui de l’énergie et de l’environnement.
Les années se succèdent, notamment depuis Kyoto (1997), les COP se succèdent, les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent. Les dirigeants des grandes nations oscillent entre refus pur et simple des informations alarmistes des scientifiques spécialistes du climat ou bien affichent une sensibilité de façade qui reporte toujours au lendemain les actions nécessaires.
De Jacques Chirac à Johannesbourg en 2002 (« la maison brûle et nous regardons ailleurs ») à Emmanuel Macron (« make our planet great again »), l’inaction politique française est criante.
A l'inefficacité de la SDN des années trente a succédé l'échec des différentes COP.
Il est clair que dans une démocratie, où l’on doit jongler entre des peuples qui refusent toute restriction à leur appétit de consommation, et les lobbies, qui financent les campagnes politiques ou qui font du chantage à l’emploi, le chemin du courage est couvert de ronces.
Churchill nous a pourtant expliqué que la lucidité impose de réagir à la fois dans le bon timing et avec le courage nécessaire.
2. Leçon N°2 : garder une réserve stratégique
Quand les forces allemandes, violant la neutralité des Pays-Bas et de la Belgique, attaquent la France, notre pays, aidé par les forces britanniques, mobilise un très grand nombre de divisions. Gamelin puis Weygand tentent d’enrayer la percée de la Wehrmacht, mais sans succès.
Et quand Churchill demande « où sont les réserves stratégiques ? », c’est-à-dire les divisions que l’on peut employer pour relayer celles qui ont été débordées, la réponse qui lui est faite est « il n’y en a pas ».
Toutes les forces ont été mobilisées dans la bataille, il n’y a pas de troupes pour contre-attaquer.
Face aux désordres climatiques et environnementaux, le problème est aujourd’hui plus simple. Il n’y a personne, ni en première ligne, ni en réserve.
C’est pourtant un sujet d’ordre militaire. Que se passerait-il si nos centrales nucléaires ne disposaient plus d’eau des rivières ou des fleuves pour leur refroidissement ?
Que se passerait-il si l’eau se mettait à manquer de manière récurrente ?
Qui agit pour renforcer la résilience de nos pays face aux désordres qui pourraient intervenir. Qui prépare activement une agriculture moins gourmande en eau, en énergie ?
Ainsi, notre société doit se préparer aux changements environnementaux qui s'annoncent : notre agriculture doit se préparer à utiliser moins d'eau et moins d'énergie. Il en est de même pour notre industrie, nos transport, nos villes, nos logements.
De plus, nous devons constituer des réserves d'eau et d'énergie (bien au delà de ce que l'on appelle les "réserves stratégiques", qui nous permettront de faire face en cas de crise.
Leçon N°3 : disposer des bons armements
Quand Hitler entame la bataille d’Angleterre, son pays ne dispose pas d’une flotte maritime capable de rivaliser avec la Royal Navy. Il envoie au combat ses bombardiers, qui vont semer la terreur en Grande-Bretagne. Mais sans s’imposer.
Certes, les pilotes britanniques ont été d’un courage extraordinaire. Ils ont gagné cette bataille. Mais leurs avions étaient clairement au niveau, et si leur nombre était faible, ils n’était pas insuffisant.
Du côté de la France, on était en retard d’une guerre aussi à ce niveau-là. Certes, les spécialistes d’histoire militaire diront que les meilleurs chars français, les SOMUA S35, étaient plutôt bons, mais ils ne disposaient que d’une seule radio par peloton, donnaient à leurs équipages une mauvaise visibilité et enfin, étaient d’un entretien long et fastidieux.
Et du côté des forces aériennes, c’était pire. Une bonne partie des avions de chasse français étaient en bois, et tous étaient surclassés en vitesse par les avions allemands. Nos chasseurs étaient tellement lents et dotés d’une altitude maximale tellement basse qu’ils étaient incapables d’intercepter les bombardiers ennemis !
Aujourd’hui, la guerre se déroule sur le terrain des données informatiques, de l’intelligence artificielle, des drones de combat. J’ai entendu à la radio que la France venait de s’équiper de tels appareils (made in USA), et que nous faisions désormais partie des 10 seules nations à en disposer.
N’est-ce pas bizarre que la 7e économie mondiale - on ne vous l’a pas dit qu’on a encore perdu une place dans le classement, n’est-ce-pas ?- ne soit pas capable de tenir son rang dans ce domaine ? Et qui plus est, quand nous sommes le 3e plus gros exportateur d’armes au monde ?
Pour le reste, analyse de données et IA, nous sommes dépassés. Vassalisés.
Pour éviter de perdre totalement le contrôle sur notre propre avenir, nous devons donc, en tant que nation, investir massivement dans les domaines de l'IA, des technologies de hacking et des armements militaires de pointe.
Êtes-vous intéressés par d’autres leçons des mémoires de Guerre de Churchill ? Si oui, je vous serais reconnaissant de manifester votre intérêt, car la rédaction de cette synthèse représente elle aussi un travail important.
Voici un teaser de la suite (si ce premier texte recueille suffisamment de retours positifs) :
- L’empire britannique : une métropole tête de pont, pas si isolée.
- La France : une métropole vaincue, mais pas vraiment conquise dans son entièreté
- Chamberlain : il y a un moment où ne faut pas jeter mémé dans les orties
- Mein Kampf : une lecture pas très fun, mais qui aurait donné un peu plus de lucidité aux dirigeants alliés avant 1939.
Jean-Pascal SCHAEFER, décembre 2019
Co Founder SYNCHRONICITY / ECOSENS - Circular economy in cooperative & digital functionality Expert
5 ansMétaphore intéressante mais pas certain que ce soit le bon média