Quels voeux pour la biodiversité en 2022 ?
Photo J.F. Silvain 2022

Quels voeux pour la biodiversité en 2022 ?

Pour celles et ceux qui étudient, défendent, protègent ou gèrent la biodiversité, le temps des vœux prend, en cette année électorale, une importance particulière. Que pourrait-on souhaiter qu’une nouvelle présidence fasse pour la biodiversité en danger, en France comme à l’international ?

Voici quelques souhaits personnels, qui ne se veulent pas exhaustifs bien sûr : 

-       Qu’un effort significatif soit fait pour favoriser un changement de perception, ou de regard des personnes en faveur de la biodiversité et de sa préservation. C’est en cours, et il faut remercier individus, associations, médias, gestionnaires, etc., qui s’y emploient, mais il faut aller plus loin et, surtout, plus vite en mobilisant les ressources du monde de l’éducation. Il faut faire comprendre au plus grand nombre que l’Humanité a, du fait des transformations majeures qu’elle impose à la planète, des responsabilités très fortes vis-à-vis des autres espèces vivantes, les non-humains. Il faut, en conséquence, que l’espèce humaine accepte de partager la planète et ses ressources avec ces non-humains, même si cela demande des efforts et génère pour elle des contraintes ou des limitations d’activité. Enfin, compte tenu des services qu’elle retire de la biodiversité, l‘avenir même de l’espèce humaine ne peut pas s’envisager sur une planète où l’essentiel des autres espèces aurait disparu ou régressé sur le plan démographique.

-       Que la connaissance de la biodiversité fasse l’objet d’un effort majeur. On connaît très mal la vie terrestre en termes de diversité spécifique, populationnelle et on connaît aussi encore très imparfaitement le fonctionnement des écosystèmes ; cela alors même que la mise en avant de solutions pour freiner l’érosion de la biodiversité ou pour utiliser celle-ci comme moyen de réguler le climat, passe nécessairement par une connaissance aussi précise que possible des mécanismes qui, justement, assurent le fonctionnement des écosystèmes. Cela veut dire que s’il y a des mobilisations financières significatives en faveur de la protection de la biodiversité, ces financements doivent aussi assurer un développement considérable de la recherche sur la biodiversité. C’est d’autant plus vrai que les phénomènes biologiques sont des phénomènes extrêmement complexes qui présentent une part aléatoire significative rendant difficile l’élaboration de solutions simples et efficaces.

-       Que les deux enjeux majeurs auxquels l’humanité est confrontée, le réchauffement climatique et l’érosion de la biodiversité, soient traités simultanément et avec le même degré de priorité. En d’autres termes, il ne faut pas que les efforts faits pour tenter de répondre à la crise climatique se traduisent par un accroissement de l’érosion de la biodiversité, notamment lorsqu’il est question du nécessaire effort de transition énergétique (l’incidence des énergies renouvelables, la question du bois-énergie, etc.) et du maintien ou de l’accroissement du potentiel de stockage du carbone (la question de l’afforestation, le calcul précis du « zéro déforestation » qui a fait l’objet d’un accord lors de la COP 26 Climat de Glasgow). Il faut rapidement faire en sorte que les conventions internationales en charge des grandes questions environnementales (Climat, Diversité biologique et Déforestation) fonctionnent dorénavant en lien les unes avec les autres. Ce n’est pas très facile à faire, mais il faut arriver à trouver un processus qui permette une synergie effective et efficace entre ces entités conduisant à l’élaboration de recommandations communes. Si on veut traiter simultanément les enjeux interconnectés de la biodiversité et du climat, il faut aussi que les moyens mobilisés soient équivalents. Dans un éditorial récent de la revue Nature les auteurs ont rappelé qu’aujourd’hui le financement de la biodiversité équivaut à un cinquième des financements mobilisés pour le climat ; on est donc très loin ici d’une équivalence. Il va falloir rattraper ce déficit si on veut réellement traiter au même niveau de priorité et d’importance ces deux enjeux.

-       Que les instances internationales et les gouvernements partagent l’idée qu’il est essentiel de donner une priorité à la sauvegarde de la biodiversité au travers de la multiplication, de l’extension et du renforcement des aires protégées terrestres et marines, où la priorité est donnée à la libre évolution des non-humains. Encore faut-il qu’il s’agisse d’aires protégées qui aient un vrai sens au plan écologique, c’est-à-dire une vraie efficience en termes de bénéfice pour la biodiversité, ce qui est rarement le cas aujourd’hui au plan mondial du fait du manque de moyens financiers et humains, du manque de volonté aussi d’assurer la protection de ces surfaces de manière adéquate, face aux pressions croissantes des activités humaines. L’objectif « 30 par 30 » (30 % des terres et des mers protégés d’ici 2030), objectif phare initial de la COP 15 diversité biologique, doit continuer à être porté par la COP en 2022 et soutenu en particulier par le gouvernement français, en n’oubliant pas que ce chiffre de 30% est un minimum et qu’à l’échelle de notre pays cette ambition s’accompagne de la mise sous protection forte de 10% de ces surfaces. Plusieurs travaux scientifiques récents ont montré que l’on pouvait, en développant avec ambition les surfaces protégées, sauvegarder la biodiversité, assurer la protection des peuples autochtones et … sauvegarder des surfaces clés pour le stockage du carbone.

-       Qu’à l’échelle de la France, qui se veut, dans la perspective de cette Cop 15, un des pays moteurs pour la promotion d’avancées fortes en faveur de la biodiversité, une ampleur beaucoup plus grande soit donnée à la traduction nationale de cette ambition. Cela signifie :

o   Qu’il faut discuter des pratiques de chasse. On ne peut plus accepter des pratiques cruelles pour le monde animal, la chasse à la glu par exemple ou d’autres pratiques de chasse non sélective, la destruction massive des populations de renard, la chasse atroce aux blaireaux, la fameuse vénerie souterraine, dont on peut difficilement considérer que notre pays puisse se glorifier. Il faut arriver à mettre tout le monde autour de la table et à dire, OK, la chasse existe, on ne va pas la supprimer, mais il faut qu’elle soit acceptable pour la majorité de la population, ne soit pas non plus une gêne pour celle-ci et surtout qu’elle ne se traduisent pas par des actions inutilement cruelles et dommageables à la biodiversité.

o   Qu’il faut aussi que la question de la cohabitation avec les grands prédateurs sur le territoire métropolitain se règle par le haut. On parle ici du loup, de l’ours, du lynx, sans oublier les prédateurs marins côtiers comme les phoques, ou encore les rapaces, et puis, demain, peut-être, le chacal doré, puis qu’il arrive depuis le Sud-Est. On ne peut pas promouvoir la restauration de la biodiversité, la restauration des écosystèmes et n’avoir en tête que la régulation stricte des populations de prédateurs partout et tout le temps, au motif qu’ils gênent certains humains. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas prendre en compte la complexité de certaines situations de conflits, et leurs conséquences humaines, y compris économiques, mais qu’il faut faire la part des choses, notamment dans les aires protégées. Il n’est pas interdit de gérer certains prédateurs là où les activités agricoles et pastorales sont dominantes, mais, en échange, il faut laisser de vraies surfaces de libre évolution à la faune sauvage, et c’est pourquoi il faut sanctuariser les cœurs de parcs nationaux et multiplier les surfaces placées en réserves intégrales au bénéfice bien sûr de la recherche, mais aussi et surtout de la libre évolution de la biodiversité, c’est-à-dire l’ensemble des non humains, animaux, végétaux, champignons, micro-organismes. On doit sortir de cette sorte de pente naturelle qui fait que lorsqu’il y a recherche de compromis sur un territoire entre la biodiversité et les activités humaines, c’est toujours au détriment de la biodiversité et des non-humains. C’est vrai que les non-humains ne votent pas et ne payent pas d’impôts et que celles et ceux qui viennent découvrir la biodiversité des aires protégées, en général, ne votent pas non plus localement et ne payent pas non plus en échange du service qui leur est offert. D’ailleurs, ne pourrait-on pas, pour assurer le difficile financement des aires protégées en France, s’inspirer d’exemples étrangers, comme au Québec par exemple, où l’accès aux aires protégées est payant et permet, même si les sommes demandées sont modestes, de financer infrastructures d’accueil et d’observation tout en responsabilisant les visiteurs ?

o   Que la question du devenir de la forêt française, dans sa diversité (des forêts d’altitudes aux forêts urbaines), fasse l’objet de discussions approfondies associant scientifiques, gestionnaires privés et publics, ONG, décideurs publics, etc. Il est évident que face aux pressions du changement climatique, au contexte de l’érosion de la biodiversité et aux stratégies associées à la transition énergétique, les options sont multiples et les stratégies de gestion très différentes allant de la non-gestion à l’intensification de l’exploitation en passant par l’introduction d’essences exotiques et, même au sein de la communauté scientifique, les désaccords sont fréquents et forts. Ici encore, vu sous l’angle de la préservation de la biodiversité, la notion de surfaces en libre évolution, et leur multiplication, doit faire partie des stratégies.

-       Que les efforts visant à entrainer le maximum d’acteurs économiques sur le chemin de la réduction des pressions qu’exercent leurs activités sur la biodiversité soient poursuivis et amplifiés pour diminuer les impacts négatifs de beaucoup d’entreprises. Pour cela, il faut surmonter le manque d’indicateurs pertinents pour la biodiversité afin de lever les hésitations face au « comment faire ».

-       Qu’en matière agricole, à l’échelle européenne et nationale, tout soit fait pour assurer une évolution de l’agriculture favorable à la biodiversité locale, mais aussi à la biodiversité de pays plus lointains, puisque les importations vers l’Europe de certains produits agricoles génèrent dans ces pays des changements d’usage des terres qui détruisent des écosystèmes peu anthropisés. Dans notre pays, cette évolution de la stratégie agricole doit se faire en préservant les spécificités des terroirs et la diversité des choix alimentaires et en veillant à assurer l’avenir d’une profession indispensable, pas assez valorisée et fragilisée. Cela passe par une série d’actions promouvant la diminution de l’intensification agricole, notamment la diversification des productions, le rétablissement d’une hétérogénéité au niveau des paysages agricoles, la diminution de la taille des champs, l’installation de bandes fleuries et le retour des haies, la réduction au maximum de l’usage des pesticides de synthèse, le recours à la lutte intégrée et le maintien des populations de pollinisateurs, la généralisation des techniques préservant la biodiversité des sols, etc. Et puis, même si la nouvelle PAC 2023-2027, ses écorégimes et ses paiements pour engagements environnementaux et climatiques va dans le bon sens, on pourrait s’inspirer de la stratégie agricole de l’Angleterre qui affiche beaucoup plus clairement une ambition stimulante et dynamique qui vise, au travers des payements pour services environnementaux (PSE), à faire des agriculteurs des acteurs de la protection de l’environnement, du bien-être animal et de la réduction des émissions de carbone. Enfin, les liens entre agriculture, biodiversité et environnement et climat, étant évidents, on pourrait aussi imaginer la création d’un super-ministère regroupant, comme le DEFRA (Department for Environment, Food and Rural Affairs) au Royaume-Uni, environnement et agriculture. Idéalement, au vu de ce que l’on sait maintenant des risques que la destruction des milieux peu anthropisés fait courir en matière d’émergence de zoonoses, il faudrait aussi associer le domaine de la santé, tant humaine qu’animale ou végétale. L’objectif est de mieux coordonner les stratégies destinées à faire face aux enjeux actuels en matière de biodiversité, de climat, d’alimentation et de santé et d’éviter les différences de regards, les luttes d’influence et éventuellement les oppositions entre ministères telles qu’on les a encore vu récemment à l’œuvre à propos de l’usage des néonicotinoïdes.

La biodiversité est très menacée, et pas seulement au Sud, mais de l’individuel au collectif, jusqu’à l’échelle gouvernementale, il y a encore moyen d’agir rapidement pour la sauvegarder. Il reste à espérer que ces quelques souhaits, et d’autres encore, soient pris en compte, non pas par un parti politique, mais par le plus grand nombre de ceux-ci.


Jérémy Dumont

Planneur Stratégique : Innovation & Transformation | Facilitateur de projets à impact positif

3 ans

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gilles fediere

Auditeur pour la sécurité présidence de l'IRD chez INSTITUT DE RECHERCHE POUR LE DEVELOPPEMENT

3 ans

Tres cher Jean-Francois, Felicitation pour ce riche message de voeux 2022 ! Cela fait plaisir de te voir en forme et d'attaque ! Cela me ferait plaisir de te parler aa telephone ! 06 69 55 73 39 Je suis à la retraite à Montpellier depuis 2018, mais affaibli. Tres amicalement à toi. Vieilles amitiés.

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