Qu'est-ce que le travail ?

Voici un concept purement humain, auquel la société vous prépare dès votre plus jeune âge : travailler. Cette activité participe à la cohésion sociale et au maintien d’un système d’échange. On retrouve des activités hiérarchisées liées à la survie du groupe chez certains espèces animales, comme la fourmi ou l’abeille. Je ne vais ici qu’effleurer une infime partie de la grande question du travail et en proposer une définition qui n'engage que moi.

Pourquoi travaille-t-on ? D’une part, car c’est ce qu’on nous enseigne à l’école. Qui plus est, la profession est un acte générateur de flux financiers. Nous avons besoin de produire de la valeur, cette valeur étant un concept plus ou moins abstrait et détaché de nous. La valeur peut être proposée, mais c’est notre client ou consommateur final qui sera seul juge : est-il prêt à échanger de la valeur pour l’activité ou l’objet suggéré ? Tandis que cette notion monétaire nous saute aux yeux lorsque l’on évoque le travail, elle est pourtant secondaire. La téléologie, le but du travail, peut être tout autre. Imaginez que vous vous leviez tous les matins pour vous occuper de votre jardin, qui vous procure une grande partie de votre alimentation. Vous ne vendez rien de votre production, vous la consommez simplement. Pas d’échange monétaire. Est-ce ou non du travail ? Pour moi, cela en est à première vue, dans la mesure où cette activité vous permet d’exister (physiquement). Mais il n’y a pas d’échange, pas d’acte de soumission (quant à l’attribution de valeur) à un client. Jardiner pour soi est donc une activité de subsistance, mais pas un travail dans le sens développé ici. Maintenant, imaginons que vous soyez médecin : votre objectif premier est de soigner et sauver les gens. Vous en attendez probablement un revenu, mais je doute (et j’espère) que ce n’est pas votre objectif premier. C’est l’empathie et, quelque part, le service du bien commun qui vous agite. Enfin, dernier exemple, imaginez que vous soyez commerçant. Vous faites de l’achat-revente. Cette fois, l’activité est détachée de tout maintien de la vie : vous ne manipulez que des objets inertes. Pourquoi cette activité existe-t-elle ? Car sans vous, le producteur de l’objet ne saurait pas le vendre. Vous comblez un manque dans une chaîne de valeur : vous satisfaites un besoin.

Travailler est donc ici défini comme l'acte de satisfaire le besoin de quelqu’un d’autre en échange d’unité monétaire (sinon, c’est par exemple du bénévolat, ou au contraire, de l'esclavage) : gagnant-gagnant. Mais cela va plus loin. Hannah Arendt a développé le concept de « Vita activa », opposé à la « Vita contemplativa », qui élargit notre champ d’action. Celui-ci décrit trois activités humaines fondamentales : le travail (plus ou moins futile mais procurant de la joie, lié aux processus biologiques, à la survie), l’œuvre (qui est une maîtrise de la nature, de l’homo faber qui s’en extirpe et peut être transcendé par ses artifices, le rapprochant de l’immortalité) et l’action (l’apparition du nouveau, l’initiative, l’entrepreneuriat, les relations entre les hommes sans intermédiaire). La pensée d’Arendt suggère un déséquilibre des forces lié à un conformisme croissant, au profit du travail et au détriment de la quête d’immortalité et de transcendance. Cela en tête, le travail peut désormais être envisagé comme point de départ possible à l’œuvre et à l’action.

Dernier élément qui mérite d'être ajouté : par-delà l'échange monétaire, l'échange de pensées. Le travail, envisagé en tant que lieu public, est un endroit privilégié de la relation, de la socialisation ainsi que de l’expression, qu’elle soit artistique ou politique. Il est ce qui extrait l’homme de lui-même en le confrontant à l’altérité, tout en renforçant son identité et sa capacité à (sur)vivre. Reste à laisser au travail une certaine souplesse vers l’œuvre et l’action pour ne pas glisser vers l’aliénation, l'enfermement identitaire et de classe. Car s'il nous confronte aux autres de façon constructive, il est parfois une étiquette qui nous cloisonne.

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