A quoi sert l’imagination sociologique (aux entreprises) ?
L’expression “d’Imagination sociologique” fut inventée par le sociologue américain Charles Wright Mills dans son ouvrage de 1959, The Sociological Imagination, pour décrire le type de nouvelles perspectives produites par la discipline sociologique. Ce livre est l’une des bases de la formation au métier de sociologue dans les pays anglo-saxons et c’est toujours un best-seller depuis sa publication.
L’Imagination sociologique symbolise notre capacité à lier notre propre biographie à l’histoire générale
L’Imagination sociologique est ainsi définie par Wright Mills comme symbolisant notre capacité à faire le lien entre notre propre biographie et l’histoire générale, c'est-à-dire entre notre expérience personnelle et la société globale (« the vivid awareness of the relationship between experience and the wider society »).
Quelle est l’utilité de ce concept ?
A quoi cela nous sert-il ? Mills prend un exemple, encore parlant aujourd’hui : si je suis chômeur, je peux me trouver dans une situation délicate, financièrement, professionnellement et moralement. C’est mon histoire personnelle, j’en suis responsable. Mais si maintenant des millions de personnes se retrouvent en même temps au chômage (comme dans les années 1930 ou depuis 2008 en France) et qu’elles en prennent conscience, alors le chômage devient un phénomène social (tragique) indépendant de ses « victimes » individuelles, qui n’en sont plus responsables. Être chômeur ne dépend plus de ma destinée individuelle mais du contexte économique : lorsqu’on fait ce lien, l’Imagination sociologique est ainsi déculpabilisante.
'Les problèmes personnels deviennent des enjeux à traiter collectivement.'
Car en reliant sa situation personnelle à de grandes variables sociales, on prend conscience des grandes évolutions des structures : le chômage n’est plus une faute morale mais il est bien vu comme un phénomène général, économique et social, de nos jours. C’est à la sociologie et à la science économique de les régler, et non plus à la morale. C’est tout l’avantage du concept sociologique : les problèmes personnels deviennent des enjeux à traiter collectivement (« Personal troubles are public issues »). Il y a de quoi trouver cela réconfortant !
Mais comment l’imagination sociologique pourrait-elle être utile à l'entreprise ?
Outre son côté déculpabilisant, l’Imagination sociologique peut aussi permettre de déceler les problèmes fonctionnels ou productifs dans l’organisation. C’est le propre de la sociologie des organisations d’Ehrard Friedberg et de Michel Crozier de lier la biographie à la structure, les acteurs aux stratégies et à leurs intérêts. Connaître le point de vue sociologique, c’est-à-dire utiliser l’Imagination sociologique, c’est considérer l’organisation comme un ensemble d’enjeux de pouvoir, de zones d’incertitudes et constituée de rationalité limitée : cela permet de repenser la structure de l'entreprise et les relations entre individus plutôt que de voir que des individus enfermés dans leur bulle et leur responsabilité individuelle. L'Imagination sociologique libère les collaborateurs.
L'Imagination sociologique libère les collaborateurs
Enfin, dans l’entreprise, pouvoir utiliser l’Imagination sociologique c’est aussi penser hors des sentiers battus et des routines quotidiennes pour voir les choses différemment. Les petites choses prennent plus de sens lorsqu’on les rattache aux grandes variables économiques et sociales. Par exemple, que signifie se voir pour « prendre un café » ? Parle-t-on ici du plaisir pris à avaler ce liquide chaud ou bien plutôt de la socialisation qu’on apprécie autour du rituel matinal ? Se voir pour « prendre un café », c’est finalement plus important pour le moment passé à discuter et échanger qu’à boire ce breuvage.
Une société (petite ou grande) qui utilise l’Imagination sociologique peut devenir un peu plus épanouie et déculpabilisée – à l’aide d’un concept moins onéreux et plus simple qu’une formation en QVT !
Qui est l'auteur ?
Baudry Rocquin est sociologue des organisations et consultant en entreprise basé à Strasbourg. Formé à Sciences Po Paris et à Oxford, il applique la sociologie aux problématiques de l’entreprise et accompagne les dirigeants dans leurs transformations (fusions, management, conflits sociaux). N'hésitez pas à me suivre pour lire de nouveaux articles chaque semaine !
Sociologue de l'organisation HR spécialiste
5 ansParfait merci , il y a un peu de déterminisme quand on rattache un phénomène à des variables globales , l'acteur jouit d'une rationalité limitée et une liberté d'action, donc une marge de manœuvre qui le réconforte momentanément en attendant une nouvelle configuration qui impose un autre jeu, en revanche, il n'est pas totalement libre. Le développement de l'acteur de son imagination par son adhésion a d'autres groupes transforme l'entreprise en un champ ouvert à toutes les imaginations ... magnifique ......
Fondatrice chez ELANCEO | Bac+5 en Management
5 ansBravo pour cet article
Professeur de SES en classes prépa HEC 📈 Chercheur associé à l'Université de Strasbourg 🎓
5 ansNouvelle livraison ! Pour info Eric LEMAIRE, Amandine Mazenc, Hélène Cascaro, Manon Vivière, Pierre Vendassi, Francesca Croce 🇮🇹, Francesco Paolo De Sanctis, Nelly Margotton