Réendettement des pays africains: entre risques et opportunités

Publication d'un n° de TFD sur le réendettement des pays d'Afrique sub-saharienne

En mai dernier, le Directeur général adjoint du Fonds monétaire international (FMI), David Lipton, en visite de travail dans plusieurs pays d’Afrique, faisait écho aux propos de Mme Lagarde un peu plus tôt dans l’année pour exhorter fermement les pays d’Afrique subsaharienne à changer de cap et à prendre gare à une augmentation insoutenable de leur dette.

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Pourtant, le stock de dette moyen des pays d’Afrique subsaharienne est l’un des moins élevés au monde. Selon le FMI, en 2015, la dette externe moyenne y pèse pour moins de 30 % du produit intérieur brut (PIB), contre presque 70 % en Europe émergente et 39 % en Amérique latine. Seuls les pays d’Asie du Sud-Est affichent des ratios dette externe/PIB inférieurs (18 % en moyenne en 2015). Qu’est-ce qui suscite donc tant d’inquiétude ? D’autant plus que les pays d’Afrique subsaharienne ont largement bénéficié des initiatives d’allègement de la dette depuis le début des années 2000.

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L’inquiétude naît d’une sourde impression de déjà-vu. Entre 2010 et 2016, le poids de la dette externe africaine aura augmenté de 9 points de PIB, plus vite que dans la plupart des régions du monde, exception faite des pays d’Amérique latine et des anciennes républiques soviétiques. Or l’encours de la dette, en dépit des initiatives d’allègement de dette, reste conséquent tandis qu’au cours de la dernière décennie, les pays africains ont largement diversifié leurs bailleurs.

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La revue Techniques Financières et Développement a accordé un grand intérêt à la question de la dette des pays en développement depuis sa première publication en 1985, époque à laquelle la crise de la dette, notamment du Mexique, était le sujet majeur en matière de développement.

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Le sujet a fait l’objet de nombreux dossiers dans la revue. Ce numéro de juin 2016 est l’occasion de faire un état des lieux de la dette africaine aujourd’hui, d’explorer la dynamique de réendettement que l’on observe depuis plusieurs années et d’analyser les risques qui pourraient porter sur sa viabilité.

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Ce dossier débute par un rapide rappel de l’histoire de la dette depuis les indépendances africaines, présenté par Jacques Legrand. L’article suivant, rédigé par Véronique Genre, dresse un état des lieux assez large de la dette externe africaine actuelle et des changements qui se sont opérés au cours des dernières années : montée de l’endettement privé, apparition de nouveaux bailleurs, phénomène de réendettement rapide dans un environnement conjoncturellement favorable mais en phase de retournement ; autant de caractéristiques qui font peser des risques non négligeables sur les équilibres fragiles des pays africains.

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L’article de Samuel Diop et de Celina Bonnemaison présente une catégorie très particulière de la dette externe africaine, en plein essor, les « eurobonds ». Ces obligations, émises en devises étrangères, sont des instruments flexibles et qui ont permis à l’Afrique subsaharienne des levées de fonds très importantes, rapides et sans les conditionnalités des partenaires traditionnels au développement. Mais elles présentent aussi des risques conséquents et appelle à une discipline budgétaire stricte et rigoureuse.

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En s’appuyant sur le cas des pays de la Zone franc, Françoise Magnan-Marionnet montre comment le développement des émissions de titres de dette souveraines au sens large se généralise dans un but de faciliter l’accès à des ressources de long terme destinées à financer des grands projets d’infrastructures. Elle montre aussi combien de nombreuses contraintes opérationnelles (capacité de gestion et de prévision de la trésorerie publique, manque d’expérience dans la préparation et la coordination des émissions, etc.) continuent d’affecter le développement de marchés de titres de dette souveraine dont l’absence de profondeur pèse sur l’efficacité des politiques monétaires.

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Marin Ferry et Marc Raffinot explorent le problème de l’aléa moral et osent poser la fâcheuse question suivante : les pays qui ont bénéficié d’un allègement de dette profitent-ils d’un effet d’aubaine et se réendettent-ils plus vite, en anticipant un nouveau pardon ? La réponse est ambiguë mais on note néanmoins que le réendettement est d’autant plus rapide que le cadre institutionnel est défaillant et que les pays bénéficiaires des allègements de dette, une fois leur dette effacée, n’ont eu aucun mal à solliciter des bailleurs externes, alléchés par les rendements proposés et l’assurance d’être remboursés à court et moyen termes.

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Philippe Coquart conclut donc ce dossier avec une analyse plus socio-économique, voire philosophique, de la course à l’endettement, alimentée par l’idée prédominante selon laquelle l’endettement enclenche nécessairement une dynamique vertueuse de sortie de pauvreté et de développement économique et rappelle que la dette est aussi un signe de pouvoir créancier et d’une organisation du monde contestable.

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Evidemment, on peut argumenter qu’une dette publique est un capital fictif. Elle n’est jamais remboursée par des Etats immortels et peut se diluer au gré des années dans un refinancement permanent. Mais il est vain de penser qu’une dette excessive ne nuit pas à la fluidité du capital et ne ponctionne pas, au bout du compte, la croissance ou même le travail, quand elle est refinancée par l’impôt. Le mouvement de réendettement des pays africains aujourd’hui appelle à une responsabilité partagée : celle des bailleurs, d’un côté, qui devraient voir dans l’octroi d’un emprunt bien davantage qu’une source de rendement économique ; celle des emprunteurs, d’autre part, dont l’emprunt devrait soutenir les besoins stratégiques d’une vision globale et cohérente visant une croissance de long terme, durable et inclusive.

Marielle Trottier

Avocate chez BLP AVOCATS

8 ans

La question qui n'est pas abordée ici c'est pourquoi un continent avec autant de richesses se retrouve à s'endetter... l'exploitation des ressources naturelles par les pays étrangers sans traitement équitable des employés ou redevance au peuple voir les abus de gestion des dirigeants et de leurs affiliés pourront toujours entrainer une sortie d'argent plus grande que les revenus ou le PIB, peu importe les intrants.

Jean Damascene H.PhD

Économiste senior chez Gouvernement du Québec

8 ans

Bonjour Cette publication est très intéressante car elle donne un aperçu complet de l'enjeu de l'endettement sur le continent africain et comment en faire bon usage

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