Référent.e Agissements sexistes et harcèlement : rôle et missions
Conversation entre droit social et psychologie du travail
Noémie LE MENN : Nous avons entendu récemment la Directrice RSE d’un grand groupe industriel dire que certains de leur Comité Social et Economique (CSE) refusaient de nommer un référent.e agissements sexiste et harcèlement au prétexte d’une absence de connaissance de leur mission. Marie-Hélène, tu es reconnue comme une experte en droit social : Que dit la loi à ce sujet ?
Marie-Hélène JORON : Effectivement la mission du référent harcèlement sexiste au CSE n'est pas définie par le Code du travail. Seul le rôle du référent nommé par l'employeur est défini : il est chargé d'orienter, d'informer et d'accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. Il est logique de penser que le rôle du référent CES est le même…
Noémie LE MENN : Quand on parle d’agissements sexistes de quoi parle-t-on ?
Marie-Hélène JORON : L’article L. 1142-2-1 du code du travail le décrit de cette manière : « Nul ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. »
Noémie LE MENN : Donc il faut que les reférent.e.s en question soient capables de qualifier un agissement sexiste, d’en connaître la différence avec un harcèlement sexuel, ce qui n’est pas évident. Il y a là des besoins en formation, nous le constatons bien souvent…
Marie-Hélène JORON : Le(la) référent.e harcèlement du CSE bénéficie de la formation nécessaire à l'exercice de sa mission en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail, au même titre que les membres de la délégation du personnel du CSE. Cependant, on doit bien constater qu’actuellement dans la plupart des cas, ils ne sont pas formés sur la nature et les conséquences du sexisme au travail sur la santé et les conditions de travail…
Noémie LE MENN : Alors qu’il existe des travaux, des études, des ouvrages qui démontrent que le sexisme est toxique pour l’épanouissement professionnel des femmes… En fait si j’ai bien compris toutes les entreprises doivent désigner un.e référent.e ?
Marie-Hélène JORON : Depuis le 1er janvier 2019 toutes les entreprises comprenant au moins 250 salariés doivent désigner un.e référent.e chargé.e d'orienter, d'informer et d'accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. Pour les référent.e.s désignés par le CSE, ce sont les entreprises d’au moins 11 salarié.e.s qui sont concernées.
Noémie LE MENN : Et si l’employeur ne le fait pas, que risque-t-il ? Et si le CSE refuse de nommer un.e référent.e que se passe-t-il ?
Marie-Hélène JORON : L’employeur a une obligation légale en matière de protection de ses salariés contre les agissements sexistes et le harcèlement sexuel. Il doit ainsi prendre toutes les dispositions nécessaires pour prévenir de tels agissements. Il sera responsable si un salarié en est victime, sauf s’il démontre qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour l’éviter… Et s’il n’a pas rempli son obligation de désigner un.e référent.e, il est certain que sa responsabilité sera engagée et risque alors une condamnation ! S’agissant du CSE, si le législateur n’a pas prévu de sanction spécifique, il en va de sa responsabilité vis-à-vis des salariés qui l’ont élu…
Noémie LE MENN : Le cadre de la mission est donné : « Orienter, informer et accompagner les salarié.e.s en matière de lutte contre le sexisme et le harcèlement sexuel», encore faudrait-il savoir ce qu’est le sexisme, ce que sont concrètement les agissements sexistes…Et nous l’avons mainte fois constaté ce n’est pas bien clair pour tout le monde. Par exemple une cadre que j’accompagne actuellement dans le cadre d’un coaching, m’a dit avoir entendu la DRH de son entreprise dire qu’il lui est arrivé à l’occasion d’une manifestation professionnelle de se faire siffler par toute une salle d’hommes parce qu’elle était en jupe ; fièrement elle expliquait qu’elle leur a répondu en prenant le micro « Et oui, 42 ans, trois enfants et un corps de rêve ! » Que penses-tu de cette situation ?
Marie-Hélène : Je pense qu’il s’agit clairement d’actes sexistes commis à l’encontre de cette DRH. Le fait qu’elle ne semble pas en souffrir pas ne change pas la qualification de l’acte. Le sifflement qui a pour finalité d’interpeller la personne de manière dégradante relève même d’un outrage sexiste répréhensible d’un point de vue pénal ! Pareil pour des bruitages obscènes ou des commentaires dégradants sur l’attitude vestimentaire ou l’apparence physique de la victime. Un des rôles de la DRH est de faire respecter le code du travail. La DRH dont tu parles répond avec humour dans ce contexte mais il est dommage qu’elle n’ait pas été dans son rôle. Ella aurait dû recadrer fermement … En tant que DRH, en répétant cette histoire de cette manière, elle dit aux femmes qu’elles n’ont qu’à supporter les agissements sexistes avec humour… Mais ce n’est pas ce que dit pas la loi. En fait l’entreprise est dans l’obligation d’agir pour empêcher les agissements sexistes.
Noémie LE MENN : Dans cet exemple, un salarié ayant assisté à cette scène va se plaindre au référent agissements sexistes et harcèlement, que se passe-t-il ?
Marie-Hélène : Le référent devra intervenir ; il informera ce salarié qu’un tel comportement est bien du sexisme et est interdit par le code du travail. Le référent lui conseillera de signaler ce fait à la direction ; il pourra le faire aussi à sa place tout en protégeant son anonymat si nécessaire. Car même si ce salarié n’est pas la « victime », en tant que témoin, il a pu être choqué et doit aussi être protégé. S’il s’agit du référent « CSE » il pourra aussi en faire état au cours d’une réunion du CSE. Le référent échangera avec la direction sur la suite qui peut être donnée : par exemple un courrier ou une note de service rappelant à chaque salarié que de tels comportements sont inappropriés et qu’ils donneront lieu à sanction s’ils devaient se reproduire.
Noémie LE MENN : Oui effectivement, le témoin d’une scène est impacté par le mécanisme des neurones miroirs, il peut en souffrir moralement et/ou physiquement sans toujours relier ses symptômes à leurs origines ; nous en parlons dans nos ateliers et je détaille dans mon livre. De nombreux mécanismes et biais cognitifs renforcent le sexisme. En fait, les agissements sexistes font tellement partie du quotidien qu’ils passent inaperçus, ; ils sont quasiment intégrés dans les normes comportementales. Sans un travail d’une part de prise de conscience et enfin d’apports de connaissances on maintient le sexisme…Les référent.e.s plus spécifiquement que les autres doivent intégrer des connaissances sur ces mécanismes puisqu’ils et elles doivent informer les autres salarié.e.s. Mais en fait nous devrions être tous et toutes vigilant.e.s et éviter les « dérapages ». Récemment un journal a publié un article à propos d’une femme en commençant par « Elle est jeune, elle est belle, elle est blonde et elle a énormément de talent. Elle, c'est … dont je fais le portrait dans Le journal de jeudi...… », ce type de commentaire relève-t-il de propos sexistes ? Quelles sont les limites entre la liberté de la presse, la liberté d’expression et les propos sexistes ? Les journalistes bénéficient-ils/elles d’un statut particulier qui leur permettrait de tenir des propos sexistes ?
Marie-Hélène : Ces propos relaient des clichés sexistes : il y est presque dit que les femmes jeunes, belles et blondes n’ont habituellement pas de talent. La frontière entre liberté d’expression, qui est un droit fondamental qui doit être protégé dans l’entreprise, et des propos infâmants, dégradants prononcés contre telle ou telle personne ou catégorie d’individus, est quelquefois difficile à faire par certaines personnes. Les journalistes comme toute personne dans l’entreprise doivent veiller à ce que ce droit d’expression ne se traduise pas en « droit » de rabaisser ou d’inférioriser. On peut conclure de ce fait divers que les journalistes aussi ont de sérieux besoins en formation !!!
Noémie LE MENN : Les journalistes, certains publicitaires aussi en auraient besoin ! Revenons au rôle du référent : Quand le législateur dit « Orienter et accompagner » à propos du rôle du référent, que veut-il dire ?
Marie-Hélène : Cela signifie que la personne qui a subi des violences sexistes (agissement ou harcèlement) peut se défendre. Elle doit savoir auprès de qui et comment et c’est là où le/la référent.e l’oriente. La victime n’a pas toujours connaissance des outils et des dispositifs existant dans l’entreprise ou à l’extérieur pour l’aider à défendre ses droits. L’accompagner est nécessaire parce que la victime n’a pas toujours l’énergie et la confiance en elle pour le faire seule. En tant qu’experte en psychologie du travail que peux-tu nous dire sur les conséquences du sexisme au travail ?
Noémie LE MENN : Les conséquences sont nombreuses. Synthétiquement, elles se concrétisent pas le fait que les femmes font deux fois plus de burnout et de dépression que les hommes. Il s’agit donc d’un dosser de santé publique…Le( la ) référent.e a donc une mission d’écoute, de conseil et d’accompagnement. A ce titre il/elle doit être capable de recueillir voire de solliciter la parole d’une victime…Il y a là des compétences spécifiques : les comportements, la parole et le discours des victimes ont certaines caractéristiques qu’il faut connaître. Parce qu’en fait, il n’arrive e pas souvent qu’un.e salarié.e dise: « Je crois que j’ai subi un agissement en raison du sexe de ma personne ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à ma dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. » Les propos et la posture de la victime sont d’une autre nature, plus difficiles à décoder et qualifier…Au-delà des compétences il est important aussi que ces référent.es aient des qualités comme l’empathie par exemple. Et qu’ils ne soient pas l’incarnation de réflexes sexistes. Lors d’un atelier quelqu’un nous a expliqué que le référent nommé par l’entreprise avait la réputation d’être l’auteur de harcèlement sexuel. Souviens-toi ,nous avons vu un référent pratiquer du « mecsplication » (c’est-à-dire qu’il se sentait toujours obligé d’expliquer aux femmes présentes ce qui se disait pendant la réunion) ; il coupait même la parole de sa manager devant nous, sans que cela ait l’air de choquer quelqu’un ( à part nous) !!! Dans mon livre, j’appelle ces comportements les stéréobeaufs ! Bien évidemment qu’il y a du travail à faire du sujet, à commencer par la formation des référents qui doivent plus particulièrement que les autres « travailler » leurs réflexes sexistes.
Marie-Hélène : Pour exercer leurs missions, il est nécessaire pour les référent.e.s d’intégrer des connaissances en droit pour cadrer et légitimer leurs actions ; savoir jusqu’où ils peuvent aller par exemple, mais aussi en psychologie pour comprendre les mécanismes du sexisme et de faire un travail sur leur propres réflexes sexistes… Il relève de la responsabilité de l’entreprise de former ses salarié.e.s pour que la santé et leur sécurité soient protégées.
Les entreprises doivent veiller à ce que ces professionnel.le.s aient les moyens d’accomplir leur mission car les sanctions seront réelles et couteuses.
Pour éviter des risques importants, il est donc primordial pour les entreprises de bien connaitre leurs nouvelles obligations en matière de lutte contre le sexisme au travail.