Réflexions autour du livre de Camille Etienne « Pour un soulèvement écologique, dépasser notre impuissance collective »


Je ne suis pas né au milieu des montagnes où se voient sans aucun doute le plus les conséquences du réchauffement climatique, mais je partage ces liens fort à la nature, aux paysages et aux territoires qui m’entourent. Ces liens sont complexes. Ils mêlent émerveillement, dépendances, échanges, adaptations, transformations, craintes … Ils forcent l’humilité et invitent à l’action.

Face aux enjeux du réchauffement climatique je n’ai choisi ni l’impuissance ni la radicalité. Entendons- nous bien : la radicalité dont je parle ce n’est pas « aller à la racine du problème », argument souvent avancé pour justifier du bienfondé de cette ‘soft’ radicalité par celles et ceux qui s’en revendiquent.

La radicalité dont je parle et à laquelle nous sommes concrètement confrontés c’est vouloir détruire certaines racines comme si les autres racines, le tronc, les branches, les feuilles … qui sont pourtant intimement liés et se nourrissent les uns des autres, n’existaient pas.

Je n’ai pas de certitudes. Je me reconnais dans les propos de Camille Etienne « le dérèglement climatique n’est pas une opinion … c’est une vérité factuelle, un fait établi ». J’écoute, je regarde, j’essaie de comprendre les équilibres qui régissent le monde qui m’entoure (ils ne se limitent pas qu’à des bilans carbone), je teste l’acceptabilité et les conséquences des solutions … j’agis, je corrige ...  

Je suis d’accord, la transition énergétique n’est pas qu’une affaire d’ingénieur, de bilans carbone et de calculs d’investissements. Tous ces scénarios et bilans d’ingénieur laissent faussement penser que les solutions sont à portée de la main alors que les véritables enjeux sont la mise en œuvre, l’acceptabilité et la soutenabilité des solutions proposées.

Je suis d’accord : « il est urgent de comprendre les structures invisibles ou criantes, les dynamiques latentes de la société. C'est-à-dire réhabiliter les sciences sociales » non pas comme instrument de transformation à marche forcée mais comme instrument de dialogue, de compréhension et d’ajustement.

Je ne suis pas de ceux qui veulent faire taire les peurs qui s’expriment. Elles doivent s’exprimer. Je partage l’avis de Camille Etienne, il est possible de « faire de la peur un instrument de lucidité et d’adaptation ». Répondre aux peurs c’est toutefois tout d’abord parvenir à dépasser ce qui relève des émotions pour ensuite adopter les bonnes attitudes et prendre les bonnes décisions.   

Les vrais débats que nous devrions avoir

Tous responsables ?

Il y a un débat stérile que Camille Etienne évoque : « j’ai moi aussi été sensible à ce discours de la dépendance, d’une réponse à un besoin. Et puis j’ai compris que c’était une légende qui permettait à ces hommes de se cacher derrière leurs graphiques. C’est bien utile pour l’industriel fossile de rejeter ainsi la faute sur le consommateur. Parce que si c’est lui qu’il faut sevrer, dont il faut changer les gestes, orienter les habitudes, l’industrie fossile peut, elle, continuer comme si de rien n’était. Cet argumentaire déplace la cible, et avec elle l’attention ».

Je ne me cache derrière aucun graphique mais je ne partage pas son analyse. Il ne s’agit en aucun cas de nous renvoyer les responsabilités mais de comprendre que nous avons tous un bout de la solution et que si nous n’avançons pas de manière coordonnée, nous échouerons.

Car il y a une impérieuse nécessité à piloter conjointement les évolutions de l’offre et de la demande. La soutenabilité économique et sociale de la transition énergétique dépend de la préservation de cet équilibre offre - demande.

Il n’y a pas non plus un seul responsable sur une même chaine de valeur, c’est le sens du reste du scope 3 du bilan carbone qui intègre les émissions liées à l’utilisation des produits et vise à responsabiliser l’ensemble des acteurs pour les inciter à se coordonner. Je prends souvent l’exemple des émissions d’un véhicule particulier. En toute logique, ses émissions de CO2 apparaissent aussi bien dans le scope 3 du vendeur de carburant que dans celui du constructeur de la voiture que dans celui de l’assureur de la voiture que dans celui du concessionnaire autoroutier …  et même s’il n’est pas directement concerné par l’application de cette méthodologie dans celui de l’Etat qui prélève plus de 50% de taxes sur la vente des carburants (plusieurs dizaines de milliards par an) … On notera au passage qu’il y a bien une seule personne qui n’est pas rendue responsable des émissions sur une chaine de valeur : l’utilisateur.

La trajectoire

Voilà un débat extrêmement important dont nous sommes malheureusement privés ; celui de la trajectoire. Ou pour être plus exact un débat qui se limite à des extraits d’analyse qui ne sont pas réellement débattus.

Construire avec l’ensemble des acteurs : entreprises, collectivités, associations, société civile … une trajectoire qui préserve les équilibres socio-économiques et adresse les enjeux du réchauffement climatique est fondamental. Je devrais du reste plutôt dire « les trajectoires » car il faut probablement autant de trajectoires que de pays.

Il y a sans aucun doute des divergences d’analyse mais il y a déjà la perception commune d’un double enjeu des temps courts et des temps longs. Je suis d’accord, « il y a urgence, des mesures doivent être prises rapidement. Mais sans démissionner totalement du temps long, car on agira mal si l’on n’a pas d’horizon. Il s’agit surtout de trouver la juste mesure du temps » ; …

La RSE

Le livre de Camille Etienne soulève indirectement le débat du périmètre de la RSE. Il y a un mouvement de fonds depuis plusieurs années pour que les entreprises se saisissent des enjeux sociétaux et environnementaux. C’est une réalité que la grande majorité des parties prenantes a appelé de ses vœux. S’agissant d’une réalité issue d’un mouvement collectif, je n’ouvrirai pas ici la discussion sur la pertinence de ce mouvement.

Si les entreprises se saisissent de ces enjeux, répondent aux sollicitations et apportent leurs contributions à des projets portés par des associations ou des collectivités, on ne peut pas ensuite taxer ces contributions et la visibilité qui leur est donnée « d’emprise » ou « d’infiltration ».

Il y a aussi des limites complexes à appréhender. Notamment celles de la confrontation de cette responsabilité avec le respect de la souveraineté des Etats qui curieusement redevient un sujet de débat. Je dis curieusement car je fais partie de cette génération qui a assisté à la dénonciation du paternalisme occidental qui a entrainé (à mon sens à juste titre) la fin de ces ingérences. Mais soit, le débat mérite peut-être d’être réouvert mais si tel était le cas faisons-le avec sérieux.

Il y a enfin probablement matière à discussion sur l’évolution de la complémentarité entre le secteur public et le secteur privé. Les entreprises font l'objet de très nombreuses sollicitations pour financer le monde associatif dont les dotations ont été réduites alors que dans le même temps les collectivités décident de financer parfois de façon très significative des investissements dans les énergies renouvelables que les entreprises seraient en mesure de financer avec une temporalité bien plus rapide.

Le capitalisme

Le capitalisme est au banc des accusés et sous le feu des critiques sans prendre le temps de faire un examen précis de ses qualités et de ses défauts. Camille Etienne évoque « un cadre moral ». S’il s’agit de cela alors il y a probablement matière à discussion.

Mais ce qui transparait plutôt en filigrane car ce n’est jamais (sans doute à dessein) clairement exprimé, est le projet d’un grand soir de la fin du capitalisme. Si la réponse aux enjeux du réchauffement climatique c’est la destruction du capitalisme, alors quelle alternative au juste est proposée ? Il faut jouer cartes sur table ! Nous ne pouvons pas occulter cette discussion. Lutter contre le réchauffement climatique et les atteintes à la biodiversité n'est pas un projet politique. C'est la façon et les solutions mises en œuvre pour lutter qui constituent le projet politique que les citoyens et les citoyennes doivent démocratiquement choisir.

Pour conclure

Les mots « rationalité », « réalité », « solutions », ces mots que Camille Etienne ne veut plus entendre, font effectivement partie de mon quotidien. Ils ne sont ni un frein à mon engagement ni un frein à accélérer chaque fois que nous le pouvons.

"J’exècre" clairement toute forme de radicalité. Si la mondialisation ne devait avoir eu qu’un seul effet positif, ce serait sans aucun doute celui de nous avoir fait prendre conscience que le monde n’est pas manichéen. C’est pourtant dans cette vision d’un monde bipolaire et sans nuances, d’un monde où s’affronteraient sur chaque sujet le « camp du bien » et le « camp du mal » que l’on essaie de nous enfermer.

Je ne souscris pas à l’idée de conflits de générations. J’ai pu néanmoins mesurer à la lumière de ma propre expérience de vie les risques d’une radicalité qui nous tente plus naturellement dans nos jeunes années. Si je n'ai pas retenu la radicalité, ni pour faire évoluer celles et ceux qui m’entourent, ni pour guider mes enfants, ni dans le cadre de mes engagements associatifs … comment pourrais-je envisager de choisir le chemin de la radicalité pour faire évoluer le monde ? 

Je fais partie des ainés de Camille Etienne et même plus précisément de ceux dont le « comportement quotidien est droit et plein d’écogestes (1), qui achètent bio et consentent à faire des écogestes dans leur vie privée ». Je fais aussi partie de ceux qui sont chaque jour confrontés aux difficultés de la construction de la transition écologique et énergétique dans les territoires. Camille Etienne parle de « débats ubuesques en plateau télé ou en consultation publique pour savoir si oui ou non une éolienne détruit un paysage … ». Ces débats agitent effectivement tous les territoires et constituent de vrais freins à la transition énergétique.

Et je suis d’accord « nous cherchons sans cesse la solution parfaite. Un projet de transition s’inscrit dans un territoire, toujours particulier avant d’appuyer sur le détonateur, si bien que nous implosons de contradictions internes et de piailleries intestines. Il faut se lancer. Il n’y a plus de doutes sur l’existence de solutions … Aucune d’entre elles n’est parfaite car nous habitons le monde imparfaitement. »

Je suis également d’accord : l’aventure doit être collective. Mais ce collectif a mille visages, mille aspirations, mille attentes ... et il ne s’agit pas de fondre ce collectif pour le rallier à une pensée unique. Il ne s'agit pas non plus de constituer des camps dans la perspective d'un affrontement.

La tâche est grande. Je reste persuadé qu’unir nos forces est possible. 


(1) enfin, j’ai bien conscience que ce n’est pas à moi de juger de cela.

Jean-Luc Gaffard

Professeur émérite d'économie Université côte d'azur

1 ans

Très bon commentaire

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