Réinventer Bruxelles
Texte intégral de mon interview dd. 7.10.2020 pour BECI, Chambre de commerce & Union des Entreprises de Bruxelles - Photo Georges De Kinder
Quelles leçons peut-on tirer de la crise sanitaire ?
La crise sanitaire que nous traversons est un extraordinaire révélateur de l’état de notre civilisation, autant qu’un accélérateur de la transition qui s’impose à elle. En ce sens, si elle est une catastrophe sanitaire, elle est aussi une opportunité.
Cette crise a mis en exergue autant les mauvais comportements (en matière de consommation, de mobilité, d’hygiène), que les dysfonctionnements (défauts de gouvernance, fragilité de nos démocraties, accentuation des inégalités). Elle révèle aussi, en négatif, ce qui nous manque le plus : privation de liberté, de lien social, de culture, de bien-être, de santé, d’espaces verts.
Pour autant, elle ne change rien fondamentalement : l’aspiration des individus à vivre mieux, manger mieux, travailler mieux, s’épanouir, être responsable et respectueux des ressources de la planète n’a pas attendu cette crise pour s’exprimer avec vigueur.
Les bonnes pratiques en matière d’architecture existent aussi depuis longtemps : construire de manière plus vertueuse utilisant les matériaux biosourcés, tendre vers l’économie circulaire et le zéro déchet, se préoccuper du bien-être, de la mixité sociale, de la biodiversité… Cette crise va simplement, on veut le croire, servir d’électrochoc, élargir la prise de conscience, accélérer le changement de paradigme.
Ce qu’on n’ose pas imaginer cependant, c’est un retour de manivelle brutal : les instincts primitifs qui reviennent, la recherche du profit à tous prix, la crise économique et la précarisation, puis par extension, la tentation des populismes. Il faut donc plus que jamais être mobilisé sur tous les fronts.
Quelles sont pour vous les priorités pour la future ?
Le développement durable de notre civilisation, c’est-à-dire au sens où l’activité humaine doit être soutenable par la planète dans un juste équilibre préservant ses ressources naturelles, ce développement doit activer tous les curseurs simultanément, il n’y en a pas un à privilégier. Tous les paramètres sont interconnectés dans un équilibre systémique. Il faut donc agir sur tous les vecteurs de création de valeurs ajoutées, qu’elles soient écologiques, économiques ou sociales, à commencer par l’éducation et la culture (« La transmission du savoir est la condition du progrès », J. Attali).
Mais s’il y a une priorité à mon sens, c’est celle de la gouvernance du territoire. L’autorité publique a un devoir d’exemplarité en la matière. Elle doit proposer un cap ambitieux et créer les conditions pour que ce cap puisse être adopté par tous, avec des règles claires et des décisions rapides.
Le processus de mutation permanente de la ville, à l’image d’un organisme vivant, fait interagir nombre d’intervenants qui ont tous une légitimité (promoteurs, auteurs de projet, administrations délivrant les permis, citoyens), mais pas toujours les mêmes intérêts. Il faut non seulement organiser la conversation, mais aussi la conduire avec intelligence. Non pas pour faire consensus, ce qui va rarement dans le sens de l’intérêt général, mais pour créer de la valeur ajoutée profitable à tous.
Il faut aussi investir massivement dans l’espace et les équipements publics. Ils sont l’expression de la gouvernance, c’est-à-dire de la bienveillance à l’égard de tous et de chacun, quel que soit son statut social. Plus le citoyen est respecté, plus il respecte l’espace public et le processus démocratique.
Cependant, la gouvernance ne s’improvise pas, elle doit être l’affaire de professionnels de la gouvernance, et la fonction publique doit être attractive. Ne manque-t-il pas en Belgique une école d’administration publique digne de ce nom ?
Quelles initiatives concrètes, par exemple en ce qui concerne les actions en matière de performance énergétique des bâtiments et de construction durable ?
Nous n’avons pas à rougir à Bruxelles des initiatives qui se sont développées ces dernières années, entre le standard passif imposés aux immeubles neufs en 2015, les différents appels à projets exemplaires et la méthodologie mise en œuvre par la cellule du bouwmeester.
Cependant, les initiatives reposent encore trop sur la bonne volonté des acteurs privés qui s’époumonent et finissent par aller voir ailleurs, tant le millefeuille institutionnel est un frein inouï au développement. Qui peut prétendre sans rougir que Bruxelles est la capitale de l’Europe quand on voit l’état de nos quartiers et de nos infrastructures en déliquescence ?
Il y a pourtant un véritable savoir-faire en Belgique en matière de développement durable, que ce soit au niveau des bureaux d’études et des entreprises. On conçoit mieux et on construit mieux en Belgique qu’ailleurs, c’est un trésor sous-exploité !
Nous avons une responsabilité collective par rapport à ce que nous léguons aux générations futures. Cette responsabilité impose la modification des comportements et des usages, mais elle nous impose aussi de sortir de notre zone de confort, de nous réinventer.
Il y a quelques années, la Ville de Paris avait lancé « Réinventer Paris », un grand plan d’action catalyseur d’innovation en matière d’aménagement du territoire, vivier d’un dynamisme économique et écologique remarquable aujourd’hui. A quand un grand plan « Réinventer Bruxelles » ?