Réunir modernité et savoirs des peuples premiers
Dans la Drôme, il y a maintenant un an, s'est déroulé un événement relativement confidentiel qui mérite d'être partagé. Quatre shamans Kogis, peuple racine qui vit dans la Sierra Nevada de Santa Marta dans le nord de la Colombie, sont venus faire un diagnostic croisé du territoire avec 30 scientifiques internationaux. Au-delà des résultats en tant que tels, l'objectif recherché était de confronter deux approches différentes, de connecter deux communautés, deux "intelligences". Partenaires de cette initiative, nous partageons ci-dessous cette expérience, ainsi que des éléments du rapport de diagnostic édité le 9 mai 2019.
Mais pourquoi des Indiens viennent-ils en France ?
Ce peuple n'est jamais sorti de ses montagnes durant des millénaires. Il ne recherche pas le contact. Si nous avons fait le choix de la modernité, eux ont fait celui de l'équilibre et du lien avec la nature et du vivant. Jusqu'alors, la seule raison qui nous a conduits à croiser leur chemin avait pour objectif la conquête de leurs terres.
Mais cette fois c'est différent, c'est eux qui viennent à nous. Malgré les risques énormes que font peser leur exposition et leur ouverture, ils ont un message à nous transmettre :
"On aimerait arriver à un accord pour faire quelque chose ensemble pour faire la paix avec la nature"
Saga Narcisa (femme shaman).
L'association Tchendukua créée par Eric Julien (1) a organisé leur venue dans l'espoir que des liens se créent et que de nouvelles collaborations puissent naître.
Qu'est-ce que les scientifiques ont appris ?
Cette étude a été déroutante.
Tout d'abord dans son approche. Pour mener à bien ses travaux, la communauté scientifique s'est nourrie de données, cartes, études, de prélèvements, d'interviews, et a croisé les compétences de géographes, cartographes, naturalistes, historiens…
Les quatre Indiens, quant à eux, ont demandé une seule information : la cartographie des cours d'eau.
Ensuite sur le partage des analyses. Les scientifiques s'étonnent lorsque les Indiens qui viennent juste d'arriver sur le territoire leur expliquent que certains arbres qui sont présents n'ont "rien à faire ici" et qu'ils "étouffent la végétation native". Comment peuvent-ils savoir, en venant du bout du monde, que ces arbres sont des pins noirs d'Autriche, issus d'une reforestation massive il y a plusieurs décennies ?
Enfin sur les conclusions. Au-delà du constat, les Indiens avancent des analyses qui dépassent la plupart des études scientifiques et proposent des actions concrètes. Le géobiologue Philippe Cissé raconte que l'expérience a été particulièrement troublante :
"Les Kogis vont encore plus loin. C'est incroyable ! Moi je travaille sur une petite échelle, quelques centaines de mètres, eux ils travaillent sur toute une région, voire la terre entière. C'est fou !"
Les Indiens n'ont pas toutes les données que nous générons, mais ils se "connectent" à des forces plus subtiles et "échangent" avec la nature. Ils comprennent en quelques minutes ce qui va, ce qui ne va pas.
Ce monde subtil leur parle et leur permet de se mettre en action rapidement. Ils nous expliquent que c'est à notre portée et ils s'interrogent sur les raisons qui nous conduisent à ne pas agir : "Les petits frères (2) ont beaucoup appris, ils savent explorer les planètes, faire des machines, ils sont écologistes, naturalistes, mais on se demande pourquoi avec toutes ces études, ses savoirs, ils continuent à détruire les choses ? On est arrivé très loin dans la destruction, et tout va être éliminé. Vous ne faites pas attention aux signes, aux connaissances. Finalement à quoi sert un professeur ? Un chercheur ? Quels sont les résultats ? Est-ce que c'est pour faire des débats ? Ou est-ce que cela permet de vivre plus tranquille sans tout abîmer, soigner et s'entraider ? "
Alors, retour à la vie sauvage ?
C'est une peur et une croyance ancrée au plus profond de nous, les Modernes. Lorsque nous entendons parler des Indiens, cela évoque au mieux de la sympathie envers ce peuple que nous avons écrasé, mais le plus souvent, cela nous renvoie l'image de sauvages, à l'opposé de l'image de modernité et de progrès que nous cultivons.
Avouons-le, qui troquerait son frigo, sa voiture, contre un chapeau pointu (3) et retournerait marcher pieds nus dans la forêt. D'autant plus que "Into the wild" on sait comment ça fini(4).
Cependant, en opposant la modernité au sauvage, nous nous privons d'une autre voie qui permettrait de cheminer avec plus de conscience. Malgré l'urgence de la situation, le poids de l'histoire et du génocide perpétué sur leur peuple, aucun des Indiens présents n'a apporté de critiques sur notre mode de fonctionnement. Ils questionnent, nous interrogent, mais ne condamnent pas. Mieux, ils nous ont expliqué à de nombreuses reprises avoir "confiance en nous" dans notre capacité à trouver des solutions. Loin d'opposer leurs pratiques aux nôtres, ils reconnaissent notre maîtrise de la matière, et nous incitent à aller plus loin, à enrichir nos connaissances sur des notions qui sont plus de l'ordre du subtil.
Il n'est donc pas question de "retour en arrière" ou de vivre comme des Indiens, mais simplement d'utiliser nos connaissances, de continuer à progresser en embrassant un spectre plus large qui nous aidera à comprendre et à respecter les équilibres du monde.
L'existence de ce peuple est une chance immense. Dans le contexte qui est le nôtre, ils sont une source de solutions concrètes, réelles et éprouvées. En apprenant à les écouter, ils peuvent nous enseigner de nombreuses pratiques pour nous remettre en lien et envisager l'avenir différemment.
"Il faut retrouver l'esprit des enfants, agir comme des enfants. Autrement il va y avoir des endroits où le feu va se déclencher, la mère (5) va vouloir nettoyer les choses, les purifier". Shamans Kogi
Et de conclure avec leur sourire et l'optimisme qui les caractérisent : "Je repars content, maintenant je sais qu'on peut être deux à partager ces connaissances pour essayer de s'engager sur ce chemin, et c'est vraiment bien ! Merci beaucoup".
Pourquoi avoir soutenu cette initiative ? Le lien avec le monde de l'entreprise
Dans le cadre de l'expérience que nous conduisons pour organiser notre entreprise (Insight Outside) autour d'une organisation sans hiérarchie, nous avons recherché des expériences récentes ou passées d'organisation ou civilisation qui ont vécu de cette façon. Sur ce chemin, les écrits d'Eric Julien nous ont fortement guidés. Les Indiens vivent dans une société sans hiérarchie, organisée autour de responsabilités claires et réparties, et ils cultivent la notion de liens (entre les êtres, la nature…). Leurs processus de réunion, de prise de décision, de gestion de crises sont inspirants et relèvent d'une profonde humanité. Le premier retour d'expériences que nous pouvons faire aujourd'hui est que, loin d'être opposées à notre fonctionnement, leurs approches peuvent être transposées dans nos sociétés et permettent d'envisager une autre façon de vivre et travailler ensemble.
C'est dans ce cadre que nous avons contribué (avec nos moyens) à l'initiative d'Eric et de l'association pour aider leur venue et créer ce lien. Une expérience bien entendu exceptionnelle, mais également fortement responsabilisante, dont on ne sort pas indemne.
(1) Eric Julien est géographe et consultant. En 1985, lors d'un trek en Colombie, il est sauvé d'un oedème pulmonaire par des Indiens Kogis. Depuis, il a créé l'association Tchendukua pour leur venir en aide grâce notamment à la restitution de leurs terres ancestrales.
(2) "Petits frères" : Nom donné aux étrangers par les Kogis. Il signifie que nous faisons partie de la même famille, mais aussi, que nous avons encore du chemin à parcourir, et que notre comportement est plus proche de celui d'un adolescent irresponsable que de celui d'un adulte.
(3) Le chapeau des Kogis représente le lien spirituel et la connexion avec le ciel.
(4) Into the Wild est un film américain réalisé par Sean Penn qui conte l'histoire réelle d'un étudiant américain qui rejette la société moderne et qui (attention spoil) ne survivra pas à son immersion dans la nature.
(4) La mère fait référence à notre planète Terre (la Terre Mère).
Pour aller plus loin et se mettre en liens :
- Association Tchendukua
- Les livres d'Eric Julien
- Un autre livre, celui de Frederika Van Ingen sur les peuples premiers : Sagesses d'ailleurs pour vivre aujourd'hui.
- Article wedemain sur la venue des Indiens Kogi dans la Drôme
Avec KOKOPELLI, mon mentor, je suis curieux, je veille, l'équipe devient robuste 🔸 Attention & parler-vrai font la bonne ambiance
4 ansMerci Alexis GUICHARD, bravo Rochex Frédéric, ce témoignage est bouleversant. #Maurice4ReverseMentoring #InterG #HighChloeCloud
Executive Coach & Psychothérapeute. Pratique EMDR. Instructeur Pleine Conscience. ZÈBRE. Travail avec l'invisible et la spiritualité
5 ansTres puissant. Merci pour ce partage.
Coach Professionnel Certifié ✨Enseignant de Coachs ✨ Superviseur ✨Intervenant & Conférencier en entreprises✨ Formateur
5 ansMerci Frédéric de partager cette magnifique histoire qui contribue à ton chemin et à toi Eric merci merci merci de me ramener aux racines, au vivant À très vite 🙏
Executive Coach - Acteur de la Transformation I Stratégies et solutions aux cotés des leaders pour réussir un projet à fort enjeu IPerformance durable collective et individuelle
5 ansMerci Frédéric de partager ton regard au travers de cet article inspirant et interpellant. « L’homme EST la nature », selon ces peuples racines. Ils le savent depuis toujours et n’ont jamais perdu ces connaissances. Là, où nous ( re)cherchons à (re)mettre de l’intelligence... du vivant, ils mettent de la conscience... du vivant. Et si on apprenait également d’eux pour agir au plus juste ?
Information, relations presse, relations publiques, digital
5 ansBelle découverte que cette expérience et un intéressant témoignage avec une vérité à diffuser : "continuer à progresser en embrassant un spectre plus large qui nous aidera à comprendre et à respecter les équilibres du monde."