RéZonans 4/4 « Couleurs-matières »
"Songes", 200x200cm, Acrylique sur toile, 2019, Collecton "RéZonans" ©Goodÿ ADAGP, Paris 2023 - Collection Fondation Clément

RéZonans 4/4 « Couleurs-matières »

J’ai obtenu cela en les respectant, en appréciant leurs différences de vibration, en écoutant leur essence me parler de l’existence qu’elles auraient souhaitée maintenant que je les ai libérées. J’ai appris des couleurs en acceptant le dialogue, et de ce rapport de force du début, est née une existence créative qui me gratifie chaque jour.
Goodÿ - Gilles EUGENE (mai 2022)


Les mécanismes physicochimiques de notre nature humaine nous offrent un énorme potentiel pour analyser et comprendre notre environnement par « résonance » avec notre intériorité. J'entends par intériorité, tout ce qui se produit comme processus dans notre corps, dans nos cellules, de manière consciente ou non, au contact de ce que je conçois donc comme étant extérieur à mon être.

Ces mécanismes sont éduqués, le plus souvent, par nos expériences de vie depuis les premiers échos ressentis dans le ventre qui a permis à notre essence de naître un jour pour être révélé au monde, et commencer ainsi notre existence dans la communauté humaine et l’équilibre cosmique. Et, ce, jusqu’à notre fin. Cette fin qui est un début pour certains, et une finalité pour d’autres, une finitude de notre existence.

Quel est le rapport avec les couleurs me direz-vous ? Tout !

Toutes mes réflexions sont basées sur la biologie humaine, du fait de mes formations initiales (science et médecine). Parler de ma pratique uniquement sous l’angle des couleurs est un exercice fort compliqué pour moi, car je dois à la fois restreindre mes champs de réflexion et les angles d’approche même de ma relation aux couleurs. C'est aussi par contraintes, volontaires ou imposées, que tout se crée.

Les couleurs sont enfermées dans un tube, un pot, un contenant dont elles doivent être extirpées pour subir les volontés de l’artiste qui veut les dompter, les modeler, les caresser, les lisser et les plier à ses attentes. Tout comme cet enfant qui naît, les couleurs enfermées dans leurs contenants, naissent par cette volonté que j’ai de les révéler au monde en les couchant sur la toile. Cette naissance est multiple tout comme l’est la nôtre, elle est bouleversante, étonnante, passionnée, triste parfois, mais toujours remplie de promesses, même avortées.

Quand ces couleurs sont dans leurs contenants, elles sont matières inertes, issues de pigments organiques ou synthétiques, leurs essences sont là. Nous savons que, là-dedans, il y a des « couleurs-matières» plus ou moins liquides avec des noms ou des codes sur les emballages. Quand je les sors de leurs contenants, elles deviennent des matières actives : elles sont un jaillissement de la matière dans un nouvel espace. Je me cantonnerai à cette partie des "couleurs-matières", leurs textures pour peindre.

Je les entrevois en ouvrant le contenant, puis je les ressens, je les sens, chacune comme un jour nouveau, un appétit naissant, un désir latent, une répulsion subite ou une attirance irrésistible. Je décide alors de créer un désordre dans l’univers monde, dans cet équilibre d’avant l’ouverture des contenants, d’avant la vision ou l’odeur, et ce faisant, je les dispose sur un support en guise de palette, pour mieux les appréhender et les mettre ainsi à ma disposition. Cela, c’est quand les « couleurs-matières» sont onctueuses, pâteuses, consistantes. Mais, quand ces « couleurs-matières» sont plus souples, voire plus liquides, soit je les transvase dans un plus petit contenant pour les exploiter à ma guise, soit le plus souvent, je les sors des contenants de départ pour les disposer directement sur la toile tendue. Ces « couleurs-matières » subissent dans leur essence même, dans leur inertie emprisonnée, des contraintes, des tensions du fait de leur enfermement. Ouvrir ces contenants, c’est offrir des promesses. C’est libérer de la vibration. Mais, en les sortant de cette prison, je les contrains encore, parfois avec violence, d’autres fois avec une apparente douceur, mais toujours avec une volonté de contrôle.

C’est alors que commence la danse de la création. Cette danse qui donne naissance à des « couleurs-matières » actives. Les « couleurs-matières » sortent alors de leurs essences inertes et visiblement colorées pour subir une existence qui dépendra de moi, du moins dans ma pensée. Tout comme le nouveau-né, les « couleurs-matières » qui naissent n’ont rien demandé et surtout pas de naître. Cependant, nous leur donnons naissance et leur imposons des noms, des surnoms et des codes, tout comme les codes d’humains attribués par l’administration. Mais, leurs vibrations nous imposent un usage dont nous tentons tant bien que mal de nous extirper, quand bien même nous avons déterminé que telle couleur exprime ceci ou cela, il y a tant de possibles que finalement, on en redécouvre en permanence.

À cet instant du rapport aux « couleurs-matières », l’existence des couleurs devient un problème de peintre, devient mon problème. Parce que ma peinture ramenée à l’usage des couleurs se résume à résoudre des questions sensibles : pourquoi, comment, où ?

À cet instant, je me rends compte que la vibration de chaque « couleur-matière » me parle par résonance, je conçois son épaisseur, sa transparence, sa dureté, sa souplesse sans aucune autre unité de mesure que notre relation frontale. Car oui, chaque couleur résiste différemment aux tensions que je lui impose. Que ce soit avec mon couteau à peindre ou mes pinceaux et d’autres outils encore.

À mes débuts, j’utilisais les « couleurs-matières », telles que me l’imposaient leurs essences, telles que leurs existences sur la palette me le permettaient. Empattement, superposition, matière et transparence étaient des faits aléatoires suggérés par mes sensations. Je cherchais alors la sensibilité de chaque couleur pour exprimer mes idées. J’avais, à cette époque, l’impression de faire du coloriage et les « couleurs-matières » rejetaient toutes mes tentatives. Aucune création n’avait de résonance en finalité. Pour dépasser ce bref moment, j’ai abandonné le dessin un instant, pour faire corps avec les couleurs.

Pour ce faire, j’ai créé un plan d’œuvre me permettant ce cheminement afin de raconter une histoire du monde que j’étudiais depuis mes 6 ans, et pouvoir ainsi revenir au dessin. J’ai projeté ainsi environ 20 ans de créations par étapes, périodes, collections, séries… J’ai appelé ce plan d’œuvre imposé par les couleurs « Regard sur l’évolution du monde », un fil directeur qui sous-tendrait ma démarche et ma quête au travers des couleurs. Non pas une quête de qui je suis ou autres questions de ce genre… une quête purement picturale, une quête de maitrise des couleurs pour dire au monde ce que j’avais et que j’ai à lui dire.

Ce cheminement dans les couleurs m’a permis de m’adapter à leurs résistances, puis cela m’a permis de rentrer en résonance avec leurs essences, ce qu’elles sont en dehors de ma volonté, et de ressentir le niveau vibratoire de chacune d’elles. Non pas en approchant ma main ou en les regardant, mais en matérialisant dans mon âme, mon intériorité, la couleur qui devait aller ici ou là. Je n’avais nul besoin de connaitre leurs noms, du moins dans mon atelier, tout comme je n’avais nul besoin de me rappeler du nom d’un individu : seule la relation était mémorisée dans cette mémoire sensible.

Les « couleurs-matières » sont devenues un autre moi-même, telle une continuité de la réflexion initiale. Je concevais les œuvres, les titres, les couleurs en mon intériorité. Je réalisais mes scénographies sans avoir conçu aucune toile, tout se réalisait par résonance. Au fil du temps, j’ai accepté cette relation, ce qui m’a imposé certaines contraintes en retour : j'ai besoin d’avoir une certaine quantité et des colories précises de « couleurs-matières » avant de commencer une collection.

Ce procédé m’est resté jusqu’à aujourd’hui.

Je dispose les contenants par catégorie, chaque couleur à sa place. Quand je peins, je sais quelle couleur, quelle densité il me faut. Je ne peux pas vous l’expliquer en termes de mesures, de microns, de volumes, d’épaisseurs de couches. Je peux simplement vous décrire la relation au fil du temps.

J’ai appris des « couleurs-matières » comment parler à ceux qui regarderont l’œuvre finale. J’ai obtenu des « couleurs-matières » qu’elles me laissent les détourner, les travestir, les soustraire à leur propre existence. J’ai obtenu non pas l’obéissance des couleurs, mais leurs complicités. J’ai obtenu cela en les respectant, en appréciant leurs différences de vibration, en écoutant leur essence me parler de l’existence qu’elles auraient souhaitée maintenant que je les ai libérées. J’ai appris des couleurs en acceptant le dialogue, et de ce rapport de force du début, est née une existence créative qui me gratifie chaque jour.


Goodÿ - Gilles EUGENE, Artiste auteur. Extrait de la réunion/ débat sur l'harmonie des couleurs, thème du CFC à l'occasion des journées internationales de la couleur, le 21 mai 2022

Jonny Randolph

Piasecki Aircraft R&D UAV/Helicopter Technician

1 ans

Well done

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