Redonner du sens au management
De plus en plus, j’observe au sein de mes missions, des managers déboussolés ne sachant plus quoi mettre en œuvre afin d’assurer l’atteinte des objectifs et le respect des engagements. Il leur tient à cœur de préserver une ambiance de travail et une émulation d’équipe propices à la production tout en limitant les conflits. Sans oublier bien sûr, leur objectif central : maintenir le niveau de motivation individuel et de rendre les personnes sous leur responsabilité autonomes et participatives à la résolution des problèmes. Mission perdue d’avance car ils ne sont équipés pour la mener à bien que d’outils de gestion de processus et de contrôle qui s’avèrent la plupart du temps ne pas coller à la réalité de terrain. On peut facilement comprendre leurs difficultés et leur mal être. Car ce sont eux qui, en première ligne, font « tampon » entre les sphères décisionnelles et opérationnelles.
Est-ce la faute des managers, de leur savoir-faire, des outils et méthodes non appropriés ou inadéquats ou est-ce simplement la fin d’un système managérial ? Une évolution naturelle vers une fonction managériale nouvelle, tournée aussi bien vers les individus que vers les résultats. En un mot, sommes-nous en train de vivre une évolution historique de nos systèmes managériaux ?
Preuve en est : nos systèmes managériaux sont de moins en moins adaptés aux attentes ; on parle de plus en plus de malaise au travail, de stress, de risques psychosociaux et de difficulté à gérer la diversité. Pour généraliser, on pourrait parler ici de besoins non satisfaits en termes de prise en compte de nos identités professionnelle et personnelle. C’est ici que se situe la responsabilité de la fonction managériale. Alors pourquoi ne pas assurer cette responsabilité et intégrer en premier lieu, dans nos organisations managériales, la gestion des individus et de leurs motivations.
Je pense, qu’un premier frein est dû à la complexité à comprendre le fonctionnement de chaque individu mais ce frein est aujourd’hui en phase de déblocage grâce aux recherches en psychologie, en neurosciences et en sciences du comportement.
Deuxième frein, nos organisations managériales ainsi que leurs outils ne sont axés que sur la maîtrise des processus de production (matériel, process, organisation, etc…) en délaissant la gestion du capital humain (motivation, implication, cohésion, etc…). Peut-être à cause du premier frein vu ci-dessus. Et nous ne sommes aujourd’hui qu’au début de cette complexité montante.
Et pourtant comme je le disais plus haut la recherche scientifique nous permet actuellement de comprendre de mieux en mieux les concepts régissant notre cerveau et donc nos décisions et nos actions. Notre système central de gestion, notre cerveau est régi par des concepts fonctionnels relativement simples.
Premier principe, sans hiérarchie, l’homéostasie. C’est notre capacité en tant que système complexe à retrouver un équilibre dans un environnement mouvant. C’est grâce à elle que l’évolution est possible et que nous bâtissons nos habitudes opérationnelles, relationnelles, sociales et humaines. C’est également pour respecter cette loi que notre système central de gestion est organisé en réaction/régulation. Tout ce qui est mis en marche doit pouvoir être arrêté. Ce principe d’homéostasie nous permet également de différencier les environnements qui nous sont favorables c’est-à-dire qui préservent notre homéostasie, des environnements agressifs qui nous forcent au déséquilibre et donc nous mettent en danger. Pour préserver notre homéostasie et nous maintenir en priorité dans des environnements qui nous correspondent, nous nous sommes bâtis un système d’indicateurs composés de nos valeurs et de tout ce qui nous gouverne. Que l’on pourrait aussi appeler notre personnalité, si nous considérons la personnalité comme un ensemble formé de notre caractère de base (héréditaire ou génétique) modulé par l’ensemble de nos expériences vécues, apprises ou transmises par nos pairs.
Deuxième principe, la plasticité. Être toujours en capacité de pouvoir avoir une réaction adaptée en fonction d’un stimulus. Ce qui permet à notre cerveau d’avoir la capacité de se reprogrammer, d’utiliser plusieurs voies pour une réaction identique, de tout faire pour ne jamais manquer de ressources utiles à notre survie. C’est la capacité de notre système central de gestion à créer et d’entretenir des réseaux neuronaux nous permettant de répondre de la façon la plus écologique et la mieux adaptée aux demandes de nos environnements multiples et à conserver cette réponse en vue de sa réutilisation future. Cette plasticité assure le niveau des compétences le plus adapté en fonction de nos environnements. C’est tout simplement ce que l’on appelle notre capacité d’adaptation.
Troisième principe et pas des moindres : avoir la meilleure réaction en dépensant le moins d’énergie possible. Notre système central de gestion gère une quantité impressionnante d’informations et ne possède qu’un nombre limité de ressource disponibles en un temps donné, donc il privilégie la loi « du moindre effort ». Comment cela se concrétise-t-il ? De la façon la plus simple : notre cerveau préfère utiliser des ressources existantes plutôt de de créer de nouvelles ressources (nouvelles connexions), même si parfois ces ressources ne sont pas les mieux adaptées. Ne vous est-il jamais arrivé de faire une action en sachant que vous auriez pu faire mieux mais que cela vous aurait demandé trop d’effort au vu du gain possible. C’est ce que nous pourrions appeler notre motivation à évoluer. Nous mettons systématiquement en lien dans nos prises de décisions le coût de l’effort à réaliser pour évoluer et le bénéfice que cela pourrait nous rapporter. Ce concept du « moindre effort » s’articule autour du couple bénéfice/déficit et impacte notre motivation.
Quatrième principe : le continuum. Dans nos activités cérébrales, la loi du « 0/1 » n’est pas de rigueur. Le principe de continuum force la nuance, on ne passe pas d’un état à un autre instantanément. Tout changement demande un processus lié au temps. De même, rien n’est noir ou blanc, même si parfois nous sommes relativement tranchés, nous savons bien au fond de nous-même que notre rigueur et notre positionnement ne sont pas le reflet exact de la réalité. C’est ce principe de continuum qui nous permet de moduler nos comportements dans un cadre incarné par nos valeurs. C’est également ce principe qui nous permet de nuancer nos valeurs, de faire des entorses à nos convictions, tant que ces écarts ne sont pas trop éloignés du point de référence. C’est notre flexibilité, non pas celle qui permet de nous adapter mais plutôt celle qui nous autorise à être moins rigides et donc plus globaux. C’est pour cela qu’il est très difficile d’appréhender un individu dans son intégralité.
Ces principes s’appliquent à la fois sur nos systèmes de ressources rationnelles qui sous-tendent nos décisions « cartésiennes », nos procédures « dures » mais également sur nos systèmes de ressources émotionnelles, nos procédures « molles »
Quel rôle peut avoir le manager afin de respecter ces principes ?
Avant tout, un rôle de facilitateur. Faire tampon entre les systèmes décisionnels et les systèmes opérationnels afin de faire transiter des informations en respectant le concept d’homéostasie. D’une part, en régulant les décisions afin qu’elles intègrent les données opérationnelles. D’autre part, en facilitant l’assimilation de ces informations par les systèmes opérationnels en limitant les déséquilibres et en accompagnant leur évolution et leur retour à une nouvelle homéostasie.
Deuxièmement, un rôle de leader pour emmener ses équipes à se dépasser à réaliser des performances et des prouesses. Pour ce faire, il faut comprendre les mécanismes et les leviers de motivation individuelle en ne limitant pas sa vision à la « carotte » et au « bâton ». C’est ce rôle de leader qui repose sur le principe de plasticité. Se dépasser et aller là où nous ne serions jamais allés seuls.
Troisièmement, un rôle de régulateur afin de contrôler le système opérationnel, le maintenir dans un environnement limitant les déséquilibres et assurer l’efficacité de l’ensemble de par son rôle transverse et sa position périphérique au système. Mais aussi être garant de la bonne marche et du respect des engagements en assurant l’homéostasie du système opérationnel. C’est ce rôle de régulateur qui assure le principe de continuum.
Et pour finir, un rôle de validateur afin de formaliser les processus efficaces dans un but de duplication par un feedback approprié. Ce rôle de validateur permettant au système opérationnel de se maintenir en adéquation avec son environnement et ses attentes en respectant le principe du « moindre effort ».
Ces 4 rôles constituent les piliers de l’intelligence managériale. Nos organisations ont acquis l’expertise dans leurs rôles de régulateur en réponse à la gestion de nos processus rationnels. Dans leurs rôles de facilitateur et de leader, nos organisations font encore aujourd’hui seulement appel aux compétences naturelles ce qui restreint le nombre de « bons » managers. Or nous avons toutes les connaissances aujourd’hui grâce aux sciences du comportement qui ont su modéliser les « best practices » pour acquérir l’expertise dans nos rôles de facilitateur et de leader.
Pouvons-nous nous accepter le fait que nos organisations managériales ne soient pas outillées dans leurs missions alors qu’aujourd’hui nous avons les moyens nécessaires pour apprendre à tout individu motivé à maîtriser ces 4 rôles.
C’est grâce à notre intelligence managériale que nous retrouverons l’envie et la fierté de l’opérationnel en y trouvant un sens.