REFLEXIONS. Actifs cotés ou non-cotés: liquides vs illiquides ? Un faux combat mais un vrai débat.

Jamais le discours des sophistes n'a semblé mieux adapté à la situation boursière actuelle : Ce qui est rare est cher. Les interventions des banques centrales monétisant sans vouloir le dire la dette publique, taux négatifs, niveaux d’épargne en hausse, rendements des actifs financiers sous pression, gains de productivité en berne alimentent toujours autant d’excédents de liquidités qui conduisent les allocataires d’actifs à se tourner vers tout actif susceptible d’offrir sinon du rendement au moins une perspective de performance en jouant sur l’effet rareté. Pour caricaturer, je ne serais pas surpris que dans quelques jours nous apprenions le lancement d’un fonds de chaussures de sport à tirage limité, de maroquinerie vintage, voire d’un fonds de cartes Pokémon ou même de pin’s. Passons sur l’effet de mode pour différencier l’aspect liquidité de l’aspect rareté. L’or, le bitcoin, voire l’art gardent une valeur de rareté, et restent liquides quand les autres ne le sont qu’artificiellement, ce qui réduit l’attrait pour le dernier acheteur marginal en cas de crise majeur (économique, sanitaire, énergétique, écologique, …) justifiant in fine une valorisation à zéro en temps de crise (les emprunts russes sont à ma connaissance le seul contre-exemple d’actifs physiques illiquides obsolètes ayant réussi à se revaloriser).  

Une introduction un peu longue pour illustrer combien les actions de PE vont continuer de surperformer même lors d’une correction boursière. La partie émergée de l’iceberg sont les SPAC qui fleurissent, mais elle illustre combien les quelques fonds de PE cotés disposant d’équipes étoffées, de stratégies diversifiées et d’une expérience d’acquisitions et restructurations établie vont continuer d’attirer les flux. J’avais la semaine dernière mis l’accent sur l’attrait des fonds ESG actifs versus fonds ESG passifs, mais ce qui est frappant en ce moment est la capacité de la gestion active longue à créer de l’alpha au détriment des hedge fonds. Non pas que ces derniers déméritent, bien au contraire, mais leur succès a conduit les fonds cotés et non cotés à répliquer leurs stratégies avec une force de frappe bien plus puissante : Pourquoi choisir un HF spécialisé en recherche de primes de M&A si vous trouvez un PE générant à LT de l’alpha grâce à sa politique d’acquisitions, pourquoi prendre un fonds de specials situations si le fonds long activiste alimente des restructurations bénéfiques aux actionnaires des groupes dans lesquels il est investi, pourquoi prendre un fonds L/S quand un fonds diversifié avec une allocation dynamique et tactique parvient à gérer ses risques avec une bonne allocation d’actifs. Et surtout pourquoi privilégier les HF dont les liquidités deviennent de plus en plus journalières quand ceux d’actifs cotés et non cotés sont de plus en plus bloqués pour plusieurs années, réduisant le risque de rachats en période de crise.  

Ceci explique que les grosses sociétés cotées de PE à l’image de KKR aux USA et CVC, EQT AB ou Partners Group en Europe surperforment et disposent d’un bilan qui leur permette de diversifier leurs stratégies. Ils englobent aujourd’hui toutes les classes d’actifs (infra, immobiliers, actions cotées et non cotées), leur permettant de profiter des contraintes politiques : voir le nombre d’opérations de M&A qui ont échoué parce que les gouvernements se sont opposés devant le risque de délocalisations des technologies, des usines, du savoir-faire quand ce n’est pas tout simplement du protectionnisme. Le PE local peut alors profiter d’une décote (argument secondaire) mais surtout d’une opportunité de M&A (argument majeur). Les fonds de PE participent ainsi aux stratégie « relocalisation », « locales », « défense de l’intérêt national » (à chacun de mettre le qualificatif qui lui sied), soignant actionnaires, élus locaux et souvent employés (pour les PE qui ont une vision long terme et non pas à 3 ans, comme c’est le cas pour les sociétés sus-cités), quand le prédateur étranger ou concurrent est bien souvent craint par les politiques et employés.

Bien évidemment toute correction boursière future affectera la NAV des fonds, toute remontée des taux d’intérêts impactera le WACC et limitera l’EVA pour les souscripteurs des fonds et donc la partie de ses capitaux propres que le PE a investi ; mais paradoxalement cela devrait conduire la prime par rapport à la NAV du PE à croître car au même moment cela augmentera les opportunités d’opérations de M&A sans réduire massivement le potentiel de sorties (même si cela doit se faire à des multiples plus faibles). Cela se fera toujours sous forme d’IPO, au regard de l’appauvrissement du nombre de sociétés cotées, mais surtout la dernière décision d’EQT par exemple de ne pas coter en bourse son activité d’hôpitaux vétérinaires mais de recycler quelques parts auprès d’autres PE et Nestlé illustre combien les opportunités de créer de la liquidité sont bien plus nombreuses qu’il y a 15 ou 20 ans. Cette multiplication d’acteurs dans l’écosystème des PE est ainsi une force considérable pour réduire le risque de liquidité d’un PE considérant que les contreparties historiques (fonds souverains ou multinationales) sont de plus en plus affectées par ce risque de protectionnisme financier. 

En conclusion l’attrait des PE qui s’est vérifié dans la récente crise sanitaire en 2020 devrait se confirmer dans la période de hausse des taux, avec un moindre levier financier partiellement compensé par l’afflux de liquidités des particuliers et autres institutionnels. Ce qui conduirait à une situation là aussi contradictoire avec une moindre performance de ses fonds impactés par ce plus faible recours au crédit (en relatif) et une plus forte performance de la maison mère qui profitera de la hausse des actifs sous-gestion, dans un environnement de marges stables voire en hausse. 

A bientôt.

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