Renault: un avenir sous surveillance
Il y a de l’électricité dans l’air dans le secteur automobile. Tour à tour, les constructeurs dévoilent leur stratégie pour électrifier leur gamme, le dernier en date étant Stellantis (ex-PSA-Fiat, etc.), qui devait présenter son plan jeudi 8 juillet. Mais pour Renault, qui s’est livré à l’exercice une semaine auparavant, l’expression doit être prise au sens propre comme au figuré, tellement la tension est palpable.
Un indice parmi d’autres : alors que généralement ce type de présentation est accueilli avec enthousiasme par les marchés financiers, l’action Renault a enregistré ce jour-là l’une des plus fortes baisses du CAC 40. Dans cette délicate période transitoire pour l’industrie, la firme au losange se trouve dans une situation particulièrement difficile qui hypothèque son avenir.
Renault est en train de payer au prix fort son manque d’anticipation. Un comble, alors que le constructeur a été pionnier dans la course à la voiture électrique (VE). Pour comprendre, il faut remonter à la période où Carlos Ghosn dirigeait encore l’entreprise. Lorsqu’il s’est agi de programmer une remplaçante à la Zoe, la petite citadine électrique, ni lui ni son directeur général, Thierry Bolloré, ne prirent le risque de s’opposer au réseau commercial du constructeur qui n’en voulait pas. Ghosn avait bien piqué une colère en avril 2016 lorsque Elon Musk avait annoncé 400 000 commandes de Tesla Model 3, trois semaines à peine après sa présentation. Mais la décision de ne pas remplacer la Zoe ne fut pas renversée pour autant.
L’erreur stratégique est majeure car aujourd’hui, après dix ans de bons et loyaux services, le modèle est en bout de course. Longtemps sans concurrence frontale, la Zoe est en train de se faire dévorer par la concurrence de Volkswagen (VW), Peugeot et Tesla, dont la Model 3 est désormais numéro un en France.
Dans un marché de l’électrique en forte croissance, Renault recule au point de se retrouver en situation de payer des pénalités pour non-respect des normes européennes d’émission de CO2. La direction assure que cette éventualité n’est pas à l’ordre du jour. Pourtant le défi est bien réel au regard du durcissement des règles qui s’appliquent dès cette année. Pour les respecter, il faudrait que Renault augmente de 20 % ses ventes de VE. Une gageure compte tenu de la pression concurrentielle et des difficultés d’approvisionnement en microprocesseurs. Si Renault perd son pari, il serait le seul constructeur européen à devoir payer ces pénalités. La honte. Pour ne rien arranger, les voitures hybrides sont sur la selette. La Commission européenne considère que ces motorisations ont finalement des performances médiocres en terme de rejets de CO2, les utilisateurs n'utilisant que marginalement le mode électrique au profit du thermique.
Dans l’auto, les erreurs sont longues à produire leurs effets. Les rectifier demande encore plus de temps. L’arrivée de la Mégane électrique en 2022 aura du mal à redresser le tir. Malgré ses qualités prometteuses, le modèle aura fort à faire avec la Tesla 3 vendue à un prix comparable. Il est peu probable qu’il donne suffisamment de travail à une usine de Douai qui est aujourd’hui quasiment à l’arrêt : 25 000 voitures devraient être produites cette année, soit 8 % de la capacité du site. Il faudra attendre la R5 électrique, qui n’est pas prévue avant 2024, pour espérer un rebond significatif des ventes.
Réduction de la voilure
Comment Renault tiendra-t-il jusque-là ? Au moment où tous les constructeurs annoncent des montants gigantesques d’investissements pour assurer la transition énergétique, le groupe français doit au contraire fonctionner à l’économie faute d’une profitabilité suffisante. Son nouveau patron, Luca de Meo, tente de faire avec les moyens du bord. Les 10 milliards d’euros d’investissement sur cinq ans qu’il vient d’annoncer sont à comparer aux 73 milliards promis par VW. D’ici à 2024, Renault devrait disposer d’une usine de batteries d’une capacité de 9 gigawattheures (GWh), contre 40 pour le constructeur allemand. Si l'écart avec la concurrence de Stellantis et de VW continue à se creuser à ce rythme, le retard risque de devenir irrémédiable.
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En attendant, chez Renault, l’heure est pourtant à la réduction de la voilure contrainte et forcée. Les investissements ont été coupés d’un tiers et les mesures d’économies obligent le personnel de l’ingénierie à travailler quatre jours par semaine, le cinquième étant payé en chômage partiel au titre des mesures de soutien post-Covid. Une situation qui met en porte-à-faux le discours de la direction qui affirme que la réduction des coûts fixes dans le cadre du plan de restructuration annoncé en janvier 2020 est indépendante des dispositifs liés à la pandémie. Ces libertés prises avec l’information financière n’a pas l’air d’émouvoir l’Autorité des marché financier (AMF), tout comme la définition à géométrie variable du flux de trésorerie disponible (free cash flow) en fonction des annonces. Toujours est-il que si le dispositif de chômage partiel permet de passer ce moment difficile, la mesure a pour effet mécanique de rallonger d’un cinquième les délais de développement des nouveaux programmes. Dans ces conditions, rien ne garantit que la R5 sorte dans les temps.
Renault assure qu'après 8 milliards de pertes en 2020, les résultats du premier semestre, publiés fin juillet, sont en amélioration. C’est probable. La trésorerie devrait profiter de la cession de la participation dans le groupe allemand Daimler et de la vente de concessions à des indépendants. Mais l’astuce n’est pas reproductible. Ensuite, si la baisse des investissements réduit effectivement la consommation de cash, c’est au détriment de l’avenir. Là encore, la recette ne pourra pas être répétée éternellement. Dès qu’il faudra relancer la machine, les problèmes de fond ressurgiront. Pour compliquer un peu plus la situation financière, l'agence de notation S&P vient de dégrader une nouvelle fois RCI, la filiale bancaire du groupe qui est tout juste désormais considérée comme "investment grade". Si par malheur la banque était de nouveau dégradée, elle ne pourrait plus se refinancer sur les marchés.
Quant à la gouvernance, on peut s'étonner que le conseil d'administration ne soit pas plus demandeur d'objectifs trimestriels chiffrés. La plupart ont été supprimés, soi-disant pour se protéger de fuites potentielles à l'extérieur. Argument étrange lorsqu'on sait que l'existence de ce type d'instrument de pilotage n'avait jamais de problème auparavant. Vis-à-vis de l'extérieur et des marchés financiiers, Renault est le seul constructeur à rester aussi vague sur ses perspectives.
Alliance fragile avec Nissan
Autre inquiétude, l’état de l’alliance avec Nissan. Selon plusieurs sources en interne, les projets sont au point mort au moment où les deux entreprises devraient au contraire s’épauler. L'envie de travailler ensemble est passée au second plan. S'il n'y a plus de frictions comme l'affirme le président de Renault, Jean-Dominique Senard, c'est surtout parce que les sujets de fond ne sont plus mis sur la table. Les échanges entre les ingénieurs sont devenus épisodiques et chacun semble se concentrer sur ses propres difficultés. La plate-forme commune sur laquelle sera produite la Mégane électrique est une décision qui date d’il y a cinq ans. Quand à celle de la future R5, qui n’avait pas été conçue initialement pour accueillir des VE (ce qui explique peut-être les difficultés à résoudre l'équation financière du modèle), Nissan ne semble pas pressé de l’utiliser.
Dans ce contexte, le maintien de la participation de Renault au capital de Nissan à hauteur de 43 % pourrait rapidement se poser. Des hypothèses de cession partielle circulent en interne alors que le groupe français a besoin de cash, comme en témoigne le prolongement du prêt garanti par l’Etat malgré un coût élevé.
Quand l’Agence des participations de l’Etat, premier actionnaire de Renault, tirera-t-elle la sonnette d’alarme tant au conseil d’administration qu’auprès de l’Elysée ? Son mutisme a de quoi étonner au regard d’une situation qui n’est pas près de s’améliorer.
Gestion privée
3 ans⚠️📌