Rendons la Nature actionnaire de nos sociétés !
Difficile de passer à côté des annonces de Pascal Demurger et Nicolas Thery : La MAIF lance son dividende écologique, Crédit Mutuel Alliance Fédérale son dividende sociétal :
10% et 15% de leurs bénéfices seront reversés chaque année à des projets environnementaux et solidaires sans objectif de rentabilité.
Des sommes vraiment significatives (500 M€ par an pour Crédit Mutuel, 10 M€ par an pour la MAIF) pour des projets de restauration de la biodiversité, de solidarité climatique, d'adaptation et de protection des plus vulnérables ... et des décisions votées à l'unanimité par ces sociétés mutualistes qui démontrent une nouvelle fois leur capacité d'innovation et l'adaptabilité de leur mode de gouvernance, permettant de prendre des décisions radicales dans un contexte qui en exige.
Au-delà de ces sommes bienvenues pour financer la transition, ce qui m'interpelle ici est le choix de parler de "dividende", écologique ou sociétal, et non pas de reversement, de contribution ou de philanthropie. C'est une toute autre dimension et c'est très intéressant, en cela que ça positionne la Nature et le Bien Commun comme Actionnaires de ces Sociétés, qui sont rétribués en proportion des bénéfices réalisés.
C'est un renversement particulièrement intéressant qui renvoie aux réflexions sur les limites du PIB (qu'il est urgent de réformer, mais c'est un autre débat). On le sait, le PIB est un indicateur qui mesure très mal le niveau de bien-être d'une Société en faisant abstraction du capital naturel et des externalités négatives (elles sont même susceptibles de générer de la croissance, pour peu qu'il faille dépolluer une plage, éteindre un incendie, reconstruire un village, soigner une épidémie...). Une des nombreuses manières de l'illustrer : un arbre n'entre dans le PIB qu'à partir du moment où on le coupe, un cours d'eau quand on le met en bouteille, et la pollinisation par mini-drones est excellente pour le PIB (alors que les abeilles qui font ça gratos, ça apporte 0 point de croissance). De même : la solidarité, les embrassades, les fous rires et l'attention aux plus fragiles, le don, l'échange, le spectacle de fin d'année de votre petit dernier ... ca n'est pas du PIB.
Dès lors se pose la question de la manière de valoriser le capital naturel et sociétal dans l'économie et dans la comptabilité des entreprises : Celles qui se servent allègrement dans ce qu'offre "gratuitement" la Nature et se soucient peu des externalités négatives qu'engendre leur activité se retrouvent souvent plus "performantes", au sens de la rentabilité et autres indicateurs financiers, que celles qui intègrent fortement la contribution au Bien Commun dans leurs modèles d'affaires. Logique me direz-vous, puisqu'elles accèdent gratuitement à ce que d'autres choisissent de payer.
Poser le principe que la Nature et les Communs sont actionnaires de nos sociétés, c'est une piste extrêmement intéressante et audacieuse pour comptabiliser et valoriser ce que nos activités économiques leur doivent ; et ainsi leur "rendre" tout ou partie de la valeur financière créée, à proportion des bénéfices dégagés. Ca n'est pas sans rappeler bien sûr le modèle des fondations actionnaires, ou les décisions médiatiques de patrons qui, à l'image d'Yvon Chouinard, choisissent de léguer leur entreprise à une ONG ou une Fondation.
Mais nommer la Nature et les Communs actionnaires, ça va philosophiquement un cran plus loin : parties prenantes quasiment effacées de nos entreprises, la Nature et le Bien Commun compteraient désormais parmi les parties prenantes avec le plus de pouvoir, et les mieux rémunérées.
Recommandé par LinkedIn
Et on pourrait dès lors imaginer que la part du Capital Social détenue par la Nature et les Communs dans les entreprises soit proportionnelle à l'utilisation des ressources par ces dernières, et à leurs externalités négatives. Ce serait de plus très incitatif pour pousser les entreprises à réduire leurs impacts négatifs.
Plus modernes encore que les banques et assurances mutualistes, les Inuits avaient bien résumé ces considérations : "On n'hérite pas de la Terre de nos ancêtres. Nous l'empruntons à nos enfants." Et les assureurs sont bien placés pour le savoir : les taux d'intérêts risquent de pas mal grimper ces prochaines années...
Bravo à Pascal Demurger et Nicolas Théry. Ici la tribune qu'ils publient ce matin dans l'Opinion . (avec une proposition à laquelle je souscris : changer l'actuelle RSE pour une Révolution Solidaire et Ecologique)
Mis à jour le 15 novembre 2024
Un peu moins de 2 ans après l'écriture de cet article, le groupe norsys , qui n'en est pas à sa première innovation en matière d'engagement et de gouvernance, annonce nommer la Nature actionnaire. L'entreprise attribue ainsi à la nature un siège et un droit de vote au sein de son conseil d’administration. Elle crée par ailleurs un Haut Conseil pour la Nature, assurant ainsi la représentation de la nature dans l'ensemble de ses organes de gouvernance, et transforme son CSE en un Conseil social économique et environnemental.
Bravo à Sylvain Breuzard , Thomas Breuzard et à l'ensemble des équipes norsys pour leur audace. On a grandement besoin d'éclaireurs qui, à l'image de norsys avec la permaentreprise, explorent de nouvelles façons de penser l'entreprise et de déployer son action.
La nature devient actionnaire du groupe norsys : Le communiqué de presse