Repenser la relation pédagogique en études supérieures | Introduction
« J’ai l’impression d’être materné ».
Adrien, étudiant en 5e année d’école d’ingénieurs
D’où vient le fait que les étudiants manifestent le sentiment d’être maternés, pas pris au sérieux, ou tout simplement dénigrés par le corps professoral en études supérieures ?
Comment expliquer qu’ils sont souvent pressés d’aller en stage et de se confronter à l’entreprise, alors que leurs derniers moments de cours sont vécus comme une véritable purge ?
Des adultes en formation
Le saviez-vous ? En études supérieures, les étudiants sont des adultes. Ou en tout cas, ils gagneraient à être considérés comme tels.
Il existe une forme d’ambiguïté dans la manière dont le corps professoral traite le plus souvent les étudiants : à la fois nous attendons d’eux qu’ils puissent produire un travail supérieur à celui d’un simple élève, qu’ils fassent preuve d’initiative et sachent prendre du recul par rapport à leurs expériences vécues ; et à la fois nous muselons leur parole et considérons leurs avis et remarques comme des plaintes de consommateurs gâtés et irrespectueux.
Nous leur dénions tout attribut de rationalité, et nous vivons leurs soupirs comme des procès d’intention auquel le jugement et l’expérience feraient défaut.
Et pourtant, si l’on considère le parcours de formation d’un étudiant en école d’ingénieur, l’on s’aperçoit qu’il est maillé de stages et de confrontations au monde de l’entreprise où ses remarques et avis seront considérés à leur plus juste valeur (postulons que le « stagiaire » est mieux traité que « l’étudiant »).
Ces ambiguïtés génèrent des décalages monstrueux dans la manière dont les étudiants construisent leur rapport à l’enseignant, leur rapport au monde, et se construisent eux-mêmes en tant qu’adultes : là où le prof devrait être perçu comme un compagnon d’apprentissage, il est plus souvent envisagé comme une ressource matérielle, un expert pourvoyeur de contenu, voire un empêcheur de tourner en rond.
S’adresser à la personne
Si nous repensions la relation pédagogique que nous imposons à l’étudiant ?
Les étudiants ne sont ni des vases à remplir, ni des pâtes à modeler, mais des personnes dotées de pensée complexe. En leur parlant comme à des adultes, en acceptant qu’ils sont des clients d’un dispositif d’apprentissage, qu’ils sont NOS véritables clients, nous repositionnons la relation sur un terrain réciproque.
Comment faire en pratique ?
Il suffit de se poser la question : comment dois-je me comporter avec les autres adultes de mon environnement professionnel ? Voici quelques simples observations qui peuvent nourrir une relation pédagogique pensée sur la confiance et la réciprocité.
1) Comme à mes autres collègues, je dis bonjour à mes étudiants quand je les croise. Si j’ai le temps, je leur serre la main et les appelle par leur prénom.
2) De la même façon, je les incite à m’appeler par mon prénom. Cela évite les phrases du style « j’ai cours avec Matton », « je dois rendre un devoir à Spencer », plutôt qu’à M. Matton ou Mme Spencer, ou Alain et Elise. A mon sens, ce type de phrase renforce l’objectivation du prof, et enferme l’étudiant dans une position d’infériorité par rapport à une autorité incontestable.
3) S’ils me vouvoient, je les vouvoie. Si je les tutoie, je les incite à me tutoyer.
4) Je m’intéresse à eux, à leurs envies, à leur culture et à leurs passions.
5) Je leur demande de me faire un « cours » sur les choses qu’ils maîtrisent et que je ne connais pas : des bases de solidworks à la récolte du miel en passant par la programmation d’un ARDUINO et les échelles de Likert… ils ont tant de choses à m’apprendre
6) Je mange à leur table, ils mangent à la mienne.
7) Je leur présente mes excuses lorsque je romps le contrat de confiance (ex : j’arrive en retard de 5mn, je ne peux tenir un engagement que je leur ai fait, je commets une erreur d’appréciation d’une situation). Réciproquement, je souhaite qu’ils présentent leurs excuses lorsqu’eux-mêmes ne tiennent pas leurs engagements.
8) Si je n’ai pas la réponse à leur question, je les oriente vers la personne qui pourra les aider.
Changer les pratiques avant de changer les outils
Innover en matière de pédagogie n’est pas qu’une question de méthodes et d’outils technologiques : classe inversée, classe renversée, simulations, rapid learning,… n’ont qu’un effet limité s’ils ne sont pas accompagnés par un changement radical de posture et de représentations.
Au contraire, un enseignant traditionnel aura tendance à blâmer ces outils et leur efficacité, alors que le nœud du problème réside dans la manière dont il construit son rapport à l’étudiant.
Changer les représentations n’est pas chose aisée : cela nécessite un accompagnement des professeurs et une préparation des étudiants à un nouveau mode de fonctionnement, très éloigné de ce qu’ils ont connu durant leurs études secondaires.
Lors de prochains articles, je vous propose d’explorer ensemble plusieurs solutions que nous avons pu expérimenter aux ADICODE (les ateliers de l'innovation et du codesign, Yncréa Hauts-de-France).
Elles s’articuleront autour de 3 axes de travail qui nous tiennent particulièrement à cœur :
- Les espaces et leur animation
- Le vocabulaire et les missions de l’équipe encadrante
- L’auto-évaluation et l’approche par compétences
Growth Lead @ Najar | Helping businesses reduce costs while transforming complex financial processes into a seamless experience.
5 ans"Les étudiants ne sont ni des vases à remplir, ni des pâtes à modeler, mais des personnes dotées de pensée complexe" 👏👏👏
Enseignant chercheur, ludopedagogue, auteure
5 ansCe titre a frappé ma rétine. C'est si vrai que la relation aux étudiants doit être repensée. Mais je ne partage pas tout à fait votre optimisme, pourtant j'aimerais croire que ces éléments (simples) suffisent. J'enseigne, comme vous, auprès d'étudiants insérés dans la vie active. Ils sont apprentis depuis un, deux ou même trois ans. Ils occupent des fonctions de responsabilité et sont traités comme des collaborateurs de l'entreprise. De ce point de vue, ils ont les mêmes caractéristiques que vos étudiants. De mon côté, je tolère qu'ils m'appellent par mon prénom, je les salue, m'intéresse à eux sans m'imposer. Je ne suis pas leur copine mais j'essaie d'être un mentor bienveillant. Je mets en place de nombreux dispositifs pédagogiques pour casser le cours magistral tout en cherchant à être aisément comprise. La documentation de mes enseignements (ici dans le cadre d'article ou de post) essaie de faire le lien entre activités et concepts. Dans la mesure du possible, j'essaie de leur faire apprendre de façon ludique et renouvelé mais en leur mettant aussi toute les ressources pour qu'ils puissent approfondir, voire apprendre de manière plus classique si ils sont mal à l'aise avec mes approches. Alors ? Alors, même si une majorité de mes étudiants sont satisfaits de ce fonctionnement, je suis tout de même étonnée du comportement de certains de mes étudiants. Certes, être apprenti, c'est une grosse charge de travail et peut être que l'Université devient le lieu de souffler mais tout de même, passer une commande sur un site web pendant un cours.... OK, ils portent le costume tous les jours d'entreprise, mais tout de même, arriver en tenue sportwear alors que nous allons rencontrer un responsable d'entreprise.... D'accord, le regard des autres est important mais "pourrir" l'évaluation d'un enseignement parce qu'on a pas pu passer sa présentation sous le modèle voulu (changement uniquement de la forme du ppt, pas du fond).... Le besoin de professionnalisme, c'est des deux côtés. Je pense, à titre personnel, que nous devons davantage valorisé nos lieux de formation et exiger que l'effort de code social qu'ils fournissent soient l'équivalent de celui qu'ils fournissent en entreprise. C'est une question de respect.