RIPORTE - Des chasses d’eau aux cathédrales
Formation taille de pierre à l'AFPA de Bordeaux - Caudéran. Epures au sol

RIPORTE - Des chasses d’eau aux cathédrales

Episode II : Shine on You Crazy Diamond

En septembre 2017, j’ai donc une fenêtre de tir pour prendre « mon nouveau départ ».

En tous cas, c’est comme ça que je le conçois. Je me donne six mois avant, éventuellement, de postuler à un job inscrit dans la suite de ce que je fais aujourd’hui. Six mois pour répondre à une question : peut-on transformer un rêve en projet ?

Je sais déjà que la réponse est oui, car cela m’est arrivé :  quand j’étais en prépa, le rythme était tel qu’on se privait de tout : pas de sortie, pas d’extras, pas d’excès, pas de vacances, pas de copine, pas de bras, pas de chocolat. Ce n’est pas pour rien qu’on appelle les étudiants en prépa des taupins : ils ne voient plus le jour. A 18 ans, bac en poche et nez au vent, c’est rude ! Alors, petit à petit, tout au long de ces deux années de souffrance, je notais tout ce que je ferais une fois sorti du trou noir. Il y en avait des cases à cocher ! Et chacune me paraissait tellement inaccessible que c’en était devenu un rêve. Il y en avait pour tous les goûts, du saut en parachute au tour du monde en passant par les vacances entre copains… Je dois avouer m’être franchement rattrapé pendant mes années d’école et il ne m’en reste plus beaucoup sur la liste. Je pense régulièrement à une case restante : passer une nuit dans un observatoire en haut d’une montagne à regarder les étoiles … one day !

Cette fois-ci, c’est un peu particulier, parce que finalement pour voyager ou appeler un aéroclub, on peut se débrouiller. En revanche, on ne construit pas l’Hermione seul (cf. Episode I : l’envie d’avoir envie).

Assez rapidement après ma visite de l’Hermione, j’ai découvert Guédelon, en Bourgogne. Depuis 20 ans, ils construisent un château fort avec les techniques du Moyen Age. Dès le début, ils ont ouvert le chantier au public, pour en financer le fonctionnement. Formidable ! D’autant que - je peux le dire maintenant - je n’ai pas le pied marin. Mais alors pas du tout ! J’aurais été bien emmerdé, charpentier sur mon Hermione terminée, s’il avait fallu conquérir les Amériques ! Allez-y les gars, moi j’ai poney ! Tellement mieux un château, de la pierre et des chevaliers. Voilà, je veux faire ça. Bon, la Bourgogne c’est un peu trop loin de l’Adour à mon goût… Autre chose plus près ? J’y cours ! Mais non, introuvable. Rêvons. Que pourrait-on lancer comme chantier de ce type ?

Je repense à la méthode TMO que j’ai personnalisée après l’avoir découverte grâce au mec qui avait activé mon siège éjectable. Ça veut dire Transformer la Merde en Or, ou plus joliment transformer une menace en opportunité. Ah bah tiens, ça s’écrit pareil ! Pour généraliser, ma méthode TMO c’est comment imaginer la réponse la plus ambitieuse à un gros problème donné. Donc dans le cas présent, ce serait quoi le plus dingue comme chantier de ce type qui n’existe pas encore ? Et si on construisait une pyramide pour tenter de comprendre comment ils ont fait ? Ça, c’est de l’archéologie expérimentale ! Il paraît qu’ils utilisaient des outils en cuivre, parce qu’ils n’avaient pas d’acier, pour tailler un des granits les plus durs du monde. Nous, aujourd’hui, quand il y a un problème sur un chantier, bah on met du silicone. Y’a quand même un truc à un moment qui a merdé. Comment les fabricants de silicone ont-ils réussi à se rendre aussi indispensables ? Enfin bon voilà ce serait chouette mais une pyramide à Bordeaux, finalement ça ferait un peu tâche. Alors quelle est l’architecture la plus folle en pierre ? Un palais ? Un pont ?

Une cathédrale gothique ! Mais oui ! Le vertige de la hauteur, la puissance de la lumière, la folie des grandeurs ! Les arcs-boutants, les voûtes, les statues. Les gars ont quand même remplacé les murs en pierre par des vitres de toutes les couleurs, à une époque où le décapsuleur n’existait pas. Ça marcherait forcément, vu le nombre de touristes qui viennent admirer notre patrimoine. Et puis on pourrait ajouter à tous les métiers du bâti les métiers d’art : sculpteur, ferronnier, ébéniste, fresquiste… Vitrail ! Un site comme Guédelon, avec tous ces ateliers en plus, le pied. Mais bon ça n’existe pas.

Et puis finalement, comme ça n’existe pas, assez vite je me prends à rêver que je monte ce projet, et je m’imagine aux commandes de cette aventure. Mener un chantier titanesque, ça me rappelle les histoires de mes aïeux qui ont construit des chemins de fer au Brésil ou des ponts en Suisse. Travailler sur le temps long, arrêter de courir pour sauver un email en retard. Accueillir les visiteurs et ces fameux enfants qui nous regarderont travailler avec des étoiles dans les yeux. Bâtir avec la pierre de Bordeaux, qui prend les couleurs de la plage quand les rayons du soleil lui tapent dessus. Choisir mes compagnons de fortune et mettre la fraternité au cœur de l’aventure. Qu’elle nous lie, qu’elle sente la sueur et la sciure.

Je m’attends à ce que ce doux rêve totalement irréalisable s’échappe après quelques semaines, à l’instar de tous ceux d’entreprendre que j’ai pu formuler, surfant sur des mascarets de bonnes excuses. Mais il n’en n’est rien, et mois après mois, année après année, la bête prend de l’ampleur et remplit l’espace. Elle est là, elle m’observe. Elle m’attend.

En septembre 2017 donc, je me donne six mois pour répondre à toutes les questions que je me pose depuis trois ans : peut-on construire aujourd’hui une cathédrale avec les techniques du Moyen Age ? Comment expliquer cette question à Google ? Combien de temps cela a-t-il duré ? Combien étaient-ils ? De quels matériaux et outils avaient-ils besoin ? Qui voudrait d’un tel projet dans sa commune ? Qui voudrait visiter un chantier comme celui-là ? Suis-je fou ? Suis-je le seul ? Je ne savais pas par où commencer tellement ça bouillonnait, voire ça fermentait depuis ma visite de l’Hermione. C’était du magma en fusion dans mon citron. Les questions s’entremêlaient, se chevauchaient, amenaient d'autres questions qui en croisaient d'autres encore. Du magma de questions, des mots dans tous les sens. Une constellation de questions. Mais là je vais pouvoir m’y mettre, apporter des réponses, enfin ! Pour m’accompagner dans cette période, j’écoute tous les jours Shine on you crazy Diamond de Pink Floyd, je ne sais pas pourquoi. Je ne sais pas non plus pourquoi j’ai toujours assimilé cette chanson à la conquête de l’espace. Maintenant, c’est comme si c’était le thème de mon aventure. L’odyssée des cathédrales.

 

La première réponse que je devais trouver, c’était le lieu. Chez Guédelon, ils ont une carrière de pierre, qu’ils exploitent et sur laquelle ils bâtissent directement, le tout au milieu d’une forêt qui les fournit en arbres, argile et sable. Ils ont 25 hectares et sont autonomes. Ils ont même un cours d’eau avec un moulin dessus. Ils font de la farine et du pain. Ils sont à une heure de route de la ville la plus proche, Auxerre, 35 000 habitants. C’est la brousse. Et ils reçoivent chaque année trois cent mille visiteurs. Guédelon, ce n’est pas un château, c’est une fusée. Qu’à cela ne tienne, je cherche des carrières. Je découvre le sujet passionnant des carrières bordelaises, situées sur les coteaux de la Garonne et de la Dordogne. Il y en a environ 1500 recensées dans une centaine de commune du département. Car à l’époque du développement du port de Bordeaux au XVIIIème, on construisait en pierre évidemment, et il en fallait beaucoup. Tous les champs ont été creusés pour trouver l’or étincelant. La particularité du calcaire de Bordeaux, le calcaire à astéries, c’est que de minuscules bras d’étoiles de mer reflètent la lumière et font briller la pierre, d’où ce nom d’astéries. Ça doit être pour ça que ça me rappelle la plage. Le département est devenu un gruyère car les carrières ont poussé comme des champignons à tel point que des effondrements ont eu lieu encore récemment, emportant parfois des routes, même des maisons, vides heureusement. Le sujet est très sérieux, et c’est pour cette raison qu’elles sont recensées très précisément et suivies. J’ai donc trouvé la liste de toutes les carrières connues, avec commune et parcelle cadastrale. Il ne me restait plus qu’à contacter les maires pour leur proposer de m’aider à construire une cathédrale dans une de leur carrière désaffectée.

 

Paradoxalement, s’il y avait à l’époque des centaines de carrières en activité dans toute la Gironde, il n’y en aujourd’hui plus qu’une  seule qui continue d’exploiter : les Pierres de Frontenac. Pour plusieurs raisons.

La première, c’est que depuis l’avènement du ciment et l’histoire des trois petits cochons, on ne construit plus en pierre mais en béton. Regardez autour de vous, à part quelques irréductibles gaulois, on ne bâtit plus en pierre depuis plus de cent ans. On a perdu beaucoup de savoir-faire, et aujourd’hui un maçon ne sait pas travailler la pierre, que je ne lui jette pas pour autant ! Aujourd’hui, un maçon dit traditionnel, c’est un maçon qui pose des parpaings. Ce n’est pas que la technique soit très différente, mais les produits liés à la pierre sont très particuliers et ne souffrent pas l’à peu près. Par exemple, les mortiers et enduits doivent être à la chaux systématiquement. Il y a 70 ans, on a beaucoup rénové le patrimoine en pierre avec du ciment. C’est catastrophique, cela a fait beaucoup de mal.

L’autre raison, c’est la complexité des démarches administratives pour exploiter une carrière. En effet elles sont considérées comme des ICPE, des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement. Les dossiers sont lourds, les autorisations rares, les enquêtes publiques pimentées… Pour ouvrir une nouvelle carrière aujourd’hui, c’est 10 ans de démarches sans la certitude d’aboutir.

 

Je m’intéresse ensuite  au métier, les tailleurs de pierre. Je découvre qu’ils ne sont pas tous compagnons, qu’il existe une multitude de moyens de se former. A Blanquefort, près de Bordeaux, le lycée Léonard de Vinci propose un bac pro « métiers de la pierre ». Pour les adultes, l’AFPA de Caudéran propose un « titre pro » en 6 mois. Un titre pro, c’est, dans ce cas-là, un équivalent CAP mais délivré par le ministère du travail (le CAP, lui, est délivré par le ministère de l’Education Nationale). Je me renseigne un peu plus, je vais aux journées d’accueil où ils présentent les filières. Et là, j’apprends quelque chose qui va changer ma vie. Il reste plein de places non pourvues pour la prochaine session. Si on veut devenir électricien ou plombier chauffagiste, il y a une sélection à l’entrée. Ils en prennent un sur dix. Mais pour la taille de pierre, ils acceptent tout le monde. Les critères sont : il n’y a pas de critère. Si je résume, les tailleurs de pierre sont en voie d’extinction. A tel point que la Région Nouvelle - Aquitaine finance la formation aux chômeurs, qui peuvent continuer de percevoir leur indemnité de chômage pendant la formation. Et c’est pas fini, la prochaine session est dans 3 mois et il reste donc des places…

Donc moi là, je suis chômeur et j’ai deux bras. Ça veut dire que je pourrais apprendre les bases d’un métier qui pourrait me servir pour mon chantier médiéval, ou pour mon métier de conducteur de travaux si le projet explose en vol. Comprendre la technique, approcher la matière, manier les outils. Reconversion assurée dans les métiers du patrimoine, voilà comment je suis devenu apprenti tailleur de pierre ...la pierre à étoile de mer.

Cerise sur le caillou, j’allais faire une rencontre avec un maire qui allait me placer sur orbite.

 

***


Julien Marcotte de Quivières

Cofondateur de Fumette Cap Ferret

1 ans

C'est excellent!! Il est ouf ce projet et ton cheminement est palpitant!

Solène Eloy

Dirigeante de L'Atelier du Mur

1 ans

C’est fou!🔥

Sebastien REUZIAUX

Responsable travaux associé chez DST

1 ans

Quelle aventure …👏👏👏👍👍👍💪💪💪

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