Robotisation
Sujet d‘Economie, juin 2219, académie de Lille, Bac M (maths et philo) :
“Dans l’élan positiviste de la fin du XIXème siècle, certains penseurs remarquaient que l’industrialisation avait du bon : le travail disparaissait petit à petit.
Dans le repli postmoderne du début du XXIème siècle, certains s’inquiétaient d’un effet pervers de la technologie : le travail disparaissait petit à petit.
Selon vous, lesquels des deux avaient raison ?”
Les allumeurs de becs à gaz n’existent plus. Ils ont été remplacés par la technologie. Ils ont été suivis de peu par leurs collègues, les extincteurs de bec à gaz, qu’un certain corporatisme a permis de regrouper parfois dans le même métier. Un peu comme il a pu sembler impossible, au début des années 2000, qu’un seul conducteur puisse faire la ligne complète du RER B sans changer à Gare du Nord, SNCF contre RATP, ou RATP contre SNCF en fonction du sens du train, nord-sud ou sud-nord.
Cette menace, nous disent les journaux, plane sur tous les métiers. C’est la robotisation. On a même inventé un nom, en anglais, pour ceux qui résistent à la suppression de leur job par la technologie : “Luddite”. Un luddite, en langue commune, c’est quelqu’un qui déteste la technologie. Comptez sur un luddite pour vous citer Rabelais : “Science sans conscience n’est que ruine de l’âme.” Et ruine tout court : c’est la dévastation des milieux artisanaux que décrit Dickens dans ses romans, William Blake dans sa poésie, qui évoque les « sombres usines sataniques », William Turner dans ses tableaux, qui annoncent déjà le mouvement du futurisme du début du 20ème siècle en Italie, et Flora Tristan dans sa critique de l’industrie du gaz en Angleterre au 19ème siècle, qu’elle recueille dans ses « Promenades à Londres ».
Car les Luddites ne sont pas une invention récente : le terme apparaît au cours du conflit qui oppose en 1811–1812 les artisans du nord et du centre de l’Angleterre aux employeurs et manufacturiers dans le travail de la laine et du coton. Il décrit ceux qui cassent les machines qui leur font concurrence.
Hier, les métiers à tisser, aujourd’hui les rames de métro, demain les camions de livraison ?
Pourquoi cette soudaine découverte de la robotisation ? C’est que la transformation digitale s’accompagne de projets fous : privatisation de l’espace, voitures électriques, énergie propre et conduite automatique de véhicules, comme la ligne de bus entièrement autonome testée depuis le début de 2019 à Lyon.
Les algorithmes permettent des applications dans le monde de la ville qui font plus rêver que des suites de 1 et de 0 qui caractériseraient le machine learning, l’AB Testing et une énième recommandation de contenu sur Facebook. Si le matching sur site de rencontres fait de nous des robots, si la communication sur Twitter risque de nous déshumaniser, le monde physique, lui, au moins, nous permet de voir des robots en chair et en os, si l’on peut dire.
Ce n’est pas tout à fait Blade Runner, on est encore loin du corps humain complètement remaniable, mais enfin, cela y ressemble un peu, au moins pour le souffle anti-luddite que cette vague d’innovation nous apporte dans notre quotidien, celui des foires de la technologie, du journal de 20h, des films comme Her de Spike Jonze ou Wall-E de Pixar. L’attrait de la robotisation, c’est l’attrait éternel de la Science Fiction.