ROBOTS VS BIOROBOTS : LA GUERRE EST DECLARÉE
Tandis que l’IA dans sa composante informatique attire tous les regards, notamment à travers l’apprentissage machine et la reproduction du raisonnement humain, une guerre a débuté au sein de l’un des domaines de recherche qui étudie les fonctions exécutives (motrices) de l’IA: la robotique. Le développement de biorobots, des organismes biologiques xénomorphes autonomes ou asservis à un ordinateur et à l’Homme, laisse entrevoir la perspective de robots et systèmes synthétiques non pas composés de métal, d’électronique et d’algorithmes mais de muscles et de neurones. Mieux encore, l’hybridation entre des êtres synthétiques et biologiques ouvre des perspectives qui permettront de profiter du meilleur des deux mondes et de faire un pas de plus vers une IA centaure qui œuvrera au bénéfice de l’Humanité.
Vers LA convergence des IA
Bien que l’intelligence artificielle ait été consacrée en 1956 comme un domaine de recherche à part entière (conférence de Dartmouth, 1956), elle n’en reste pas moins dans un premier temps intimement liée à l’apprentissage machine et à l’informatique.
Une étude étymologique du terme nous indique, en ce sens, que le terme « intelligence artificielle » (intelligentia artificialis) peut être interprété comme « faire un choix » en « contrefaisant l’artisan, l’auteur ». Comprendre : « prendre une décision en contrefaisant l’Humain».
Au fil du temps, l’usage de ce terme a évolué et est désormais appliqué à un grand nombre de domaines ou de champs d’application, non seulement dans sa composante de contrefaçon de la prise de décision, mais également dans sa composante de contrefaçon de l’Humain au-delà cette dernière. Certains domaines s’orientent ainsi vers l’usage du raisonnement pour contrefaire d’autres caractéristiques Humaines.
Cette évolution amène les initiés à débattre sur la définition de l’intelligence artificielle. Certains estiment que seuls des programmes informatiques qui impliquent de l’apprentissage machine et l’utilisation de données pour l’apprentissage pourraient être qualifiés « d’IA ». Là ou d’autres entrevoient dans le conversationnel, la mobilité autonome, le biomimétisme ou dans la robotique un domaine d’application de l’intelligence artificielle.
L’IA peut ainsi être perçue comme l’ensemble des systèmes qui s’associent pour contrefaire l’Humain : les fonctions réceptives, la mémoire et l’apprentissage, le raisonnement et la pensée, les fonctions expressives et les fonctions exécutives. S’intéresser à l’intelligence artificielle, c’est s’intéresser à l’Homme, aux sciences qui l’étudient et qui permettent de le comprendre et de le reproduire: la psychologie, la biologie, la philosophie, l’informatique, l’électronique, la biomécanique, les mathématiques, la neurobiologie, la robotique et bien d’autres encore.
Dans cette vision, l’IA embrasse ainsi un très grand nombre de disciplines dont les perspectives laissent entrevoir de multiples applications concrètes, au bénéfice, suppose-t-on, de l’Humanité. Ces dernières sont encore très cloisonnées et les recherches qui y sont consacrées sont très focalisées. Il ne fait cependant aucun doute que nous assisterons dans le futur à une convergence, « LA » convergence qui permettra de créer une IA forte qui dépassera l’Homme en tous points, de la cognition à la motricité, et peut être même dans la poésie, la philosophie, l’art et le spirituel.
Parmi les disciplines qui permettent de mobiliser et de contrefaire les fonctions exécutives, une guerre a débuté et prend de plus en plus d’ampleur. Les ingénieurs en robotique, qui bénéficient également des avancées en matière d’informatique cognitive, et les biogénéticiens évoluent en effet chacun vers la création d’êtres synthétiques en explorant deux voies différentes et parallèles qui ne convergent pour l’instant que très peu.
Robots vs Biorobots
De tous temps, l’Homme a fantasmé la création d’êtres artificiels humanoïdes, du Golem de la mythologie mystique (136 après J.C.) au Frankenstein de Mary Shelley (1818) puis dans la science-fiction moderne. Dans la mythologie Grecque, l’Homme lui-même est une créature fragile et imparfaite créée par le Titan Prométhée à partir d’eau et d’argile (VIIe siècle avant J.C).
Ces contrefaçons humaines ont parfois été imaginées comme étant créées à partir de matériaux minéraux et à partir de souches humaines avant de prendre plus systématiquement la forme d’êtres mécaniques faits de métal.
Aujourd’hui, le futur des bioloïdes (humanoïdes ou animoïdes) est principalement envisagé comme une copie du réel faite d’électronique, de mécanique et d’informatique, animée par un raisonnement fondé sur l’algorithmique. Cette vision du futur ancrée dans notre esprit est pourtant remise en cause depuis quelques années. Premiers travaux de couplage de structures artificielles avec des muscles de grenouille au MIT en 2000, accélération depuis 2015 environ avec un champ de recherche qui s’élargi : actionneurs biologiques de cellules cardiaques, couplage de capteurs lumineux avec des insectes, robots fabriqués à partir d’ADN et dotés d’un métabolisme biologique en 2019 et création d’organismes vivants qui n’existent pas dans la nature à partir de cellules souches de grenouille en 2020, et qui s’apparentent à des robots biologiques autonomes.
Ces avancées laissent entrevoir le futur de la robotique davantage orienté vers des êtres biologiques, qui pourront ressembler à des animaux, à des Humains ou à aucune autre forme biologique existante. Les transferts de technologie réalisés ces 30 dernières années et les recherches actuelles en matière de robotique montrent cependant qu’une première étape de robotisation sera développée autour de machines synthétiques faites de métal, d’électronique et d’informatique. Mais une seconde génération de robots prendra sans aucun doute une forme plus hybride, avec un couplage synthétique / biologique.
Les débouchés sont multiples. Nous pouvons bien-entendu nous demander si la main d’œuvre du futur sera mécanique ou biologique, si elle sera à notre image, si les Humains synthétiques biologiques devront être considérés comme des Humains ou des machines, et quelle sera la frontière entre les travaux menés dans le champ du clonage d’êtres vivants vs leur construction complète. Il pourra également être question d’Humains augmentés, avec le couplage d’équipements mécaniques et électroniques à des Humains, et inversement, de machines couplées à des équipements nerveux et sensorimoteurs issus du vivant. Il coexistera autant de combinaisons et de formes que de besoins à adresser et d’orientations techniques.
Toutes ces avancées et perspectives, menées au sein de disciplines ou domaines de recherche aujourd’hui différents et indépendants les uns des autres, peuvent aboutir à la construction de contrefaçons humaines (contrefaçon ou reproduction ?). La compétition fait rage et la convergence de ces différents travaux apparait de plus en plus évidente, bien qu’impossible aujourd’hui à réaliser au sein de programmes de recherche coordonnés.
Qui des ingénieurs ou des généticiens arrivera à proposer un être synthétique doté de capacités similaires ou supérieures à l’être Humain ? Quelle sera la part de la mécanique, du biologique et de l’algorithmique dans ces êtres ? Quelle sera leur forme, seront-ils issus davantage des travaux de clonage, de robotique, ou créés via bio-impression ? Impossible d’apercevoir aujourd’hui des réponses claires à ces questions mais il est probable que différents types d’êtres synthétiques cohabiteront ou se succéderont, possédant chacun un degré d’Humanité différent et occupant une place éthiquement différente au sein de notre société. Les fonctions réceptives (vue, ouïe, captation de l’ensemble des stimulis auxquels nous sommes sollicités), la mémoire, les fonctions expressives (parole et langage notamment) et les fonctions exécutives (motrices notamment) seront probablement supérieures à celles Humaines en ayant recours à la mécanique et à l’électronique. En revanche, le raisonnement et la pensée devra faire l’objet d’une hybridation entre machine et biologique afin de permettre de reproduire et de dépasser l’Humain.
Le biologique, chaînon manquant de l’IA forte
Paradoxalement, ce qu’il manquera à l’IA pour être « parfaite » ne viendra très probablement pas des programmes mais de l’imperfection (qui peut être une forme de perfection) Humaine. Cette évolution est d’ailleurs fortement pressentie et il n’est pas rare de trouver des robots dotés d’un cerveau humain dans la littérature et la science-fiction. Les progrès en matière de stimulation transcrânienne et d’implants intracrâniens montrent par ailleurs les progrès en matière d’intégration entre le biologique et le synthétique.
Les fonctions cognitives de l’être Humain reposent essentiellement sur l’utilisation d’informations stockées et sur un mécanisme de prise de décision qui sollicite les informations enregistrées. Nous savons stocker des données et nous savons les mobiliser, nous tentons par ailleurs de simuler la prise de décision et le raisonnement via des programmes informatiques, depuis le fameux algorithme minimax de Von Neumann et son génial et indissociable élagage Alpha Beta de Mc Carthy que nous ne cessons d’améliorer. Mais que nous manque-t-il pour contrefaire le fonctionnement de notre cerveau ?
Les limites viennent d’une part de la nécessité, pour l’heure, d’apprendre à la machine comment faire un choix pour l’ensemble des décisions auxquelles elle pourrait faire face, et de la manière de fonder les choix selon une mécanique principalement déductive. On parle d’apprentissage supervisé. Lorsque la machine pourra prendre une nouvelle forme de décision face à laquelle elle n’a jamais été confrontée, on parlera d’apprentissage autonome ou non supervisé. L’effort de programmation de l’ensemble du champ du possible dans la logique d’apprentissage supervisé semble pour l’heure inatteignable.
Il manque d’autre part à la machine un paramètre qui ne peut pas être codé, il s’agit de l’influence de la part électrique et chimique de notre cerveau sur les décisions, et de la manière de mobiliser cette influence en fonction du contexte. Ces éléments étant dépendants d’éléments exogènes et d’une part génétique d’autre part. Un être humain, confronté deux fois à une situation strictement identique, ne prendra pas la même décision selon son humeur, son état mental, etc. Ces paramètres sont conditionnés par des éléments hormonaux : le taux, d’adrénaline, d’endomorphine, de dopamine, de sérotonine, de cortisol, etc. et des caractéristiques de fonctionnement électriques qui découlent de cette influence hormonale. Ces équilibres hormonaux dépendent eux-mêmes de l’environnement dans lequel le sujet se trouve : alimentation, fatigue, stress, etc. Plus complexe encore, ceci dépend également de la manière dont l’auteur de la décision perçoit ces éléments chez les personnes potentiellement impactées par cette dernière, par exemple si une décision risque entrainer des représailles ou de rendre triste un tiers.
Le couplage d’équipements biologiques qui permettraient de doter les machines de capacités cognitives humaines ouvre des perspectives intéressantes en matière d’intelligence artificielle et de simulation du raisonnement humain. Le couplage d’une informatique quantique dotée de capacités supérieures au cerveau Humain, d’un système algorythmique neuro-symboliques et d’une composante cognitive chimique et électrique biologique nous permettra de doter la machine de la part imparfaite qui rend le raisonnement plus humain et d’approcher ainsi la chimérique IA centaure. Ceci impliquera de maîtriser l’influence du biologique et de la part hormonale sur l’algorithmique et amènera les développeurs à développer une compréhension et des compétences transverses entre informatique et neurosciences.
Le développement de biorobots permettra donc, au-delà de la question de la forme mécanique ou biologique de nos fonctions exécutives, d’épauler les machines et les programmes dans leur capacité à fonder des décisions de manière plus « Humaine » et préfigure certainement l’Homo Deus de demain évoqué par les Transhumanistes. Le biologique trouvera ainsi sa place en complément du synthétique et les deux aspects vont devenir complémentaires. Il s’agira dès lors de réunir le meilleur des deux mondes. Ce projet de complémentarité rendra à terme difficile la différenciation d’un robot augmenté de capacités biologiques d’un Humain augmenté de capacités robotiques, et pose la question de la place de ces créations dans le monde et de la pérennité de l’espèce Humaine. Paradoxalement, l’IA centaure sera probablement une IA en partie biologique, en attendant que les avancées technologiques ne rendent le synthétique supérieur à l’Humain en tous points.
PARTNER Performance Management & IT transformation at Grant-Thornton France
4 ansMerci Xavier pour ton article qui in fine interroge l'humanité sur la future place de l'Homme sur Terre. Symboliquement l'Homme s'est toujours mis au centre de l'humanité mais cela sera t'il toujours vrai demain ? A suivre ...
Co-fondateur d'Expansio® 🤝 Développement international des entreprises | Expansio.eu.
4 ansPublication très intéressante Xavier GARDIÈS merci. Ton article m'interroge personnellement sur la finalité possible/probable du mythe du transhumanisme...et plus particulièrement sur la place de l'Homme dans son environnement et plus spécifiquement dans l'économie. Une économie au service de l'Homme ou alors l'Homme au service de l'économie?