Roland Andrès, le peintre et sa difficulté d'être
Roland Andrès dans son atelier

Roland Andrès, le peintre et sa difficulté d'être

À l'âge de 82 ans, Roland Andrès, artiste peintre messin, figure emblématique de la rue des Jardins, est actuellement à l’honneur  grâce à un livre publié récemment sur lui.

Intitulé "Roland Andrès, le peintre et sa difficulté d'être", cet ouvrage est signé par mes soins et édité par les Éditions Jalon.

(https://www.amazon.fr/dp/249106877X?ref_=ast_author_dp)

Bien qu'il ne soit pas mécontent  que l'on parle de lui et de son œuvre, il ressent néanmoins une certaine gêne à être au centre de tant d'attention.

Car  cet artiste  a toujours préféré l'ombre à la lumière, habitué qu'il est à travailler en solitaire dans son atelier du sous-sol, loin des éclats de la ville et des projecteurs de la notoriété.


Cette propension à mener une vie solitaire, en marge du monde, découle en réalité de son passé.


Roland a dû en effet affronter les défis d'une existence difficile dès son plus jeune âge, car très tôt orphelin de père et  pratiquement abandonné par sa mère, il en a  toujours gardé  un douloureux souvenir.


Pendant toute sa jeune existence, il a été, en effet,   constamment  ballotté d'institution en institution tout en supportant  par ailleurs les moqueries de ses camarades en raison de sa candeur d’âme et de sa timidité naturelle.


C’est pourquoi, il a pu faire sienne  cette célèbre citation de Cézanne « C’est effrayant la vie ! » .   

Sa passion pour le dessin et la révélation de Picasso

C’est  vers  l’âge de 10 ans, qu’une aspiration pour le dessin avait germé en lui. Cette passion s’était réellement épanouie grâce notamment à la lecture des Reader’s Digest, un magazine mensuel qui proposait une rubrique intitulée

« l’école ABC pour apprendre le dessin ».

Et c’est également  au cours de la même période, qu’il découvrit Picasso  grâce à la bibliothèque l’établissement des Pupilles de la Nation dans le Jura.

La figuration brisée de cet artiste se présenta à lui comme une véritable révélation en résonance avec sa propre  enfance puisqu’elle aussi fracturée.

Subréaliste ou sousréaliste ?

Andrés, lorsqu’il développa à l’âge adulte son propre art,  revendiquera avec fierté son identité en tant qu'artiste subréaliste ou sousréaliste. Derrière ces néologismes, transparaît une volonté farouche du peintre de se soustraire à toute forme d’emprise, que ce soit d’une école ou d’un artiste en particulier.

Ces nouveaux termes expriment véritablement son vœu le plus cher : jouir d'une liberté totale, même au prix d'une certaine anarchie.

Les préfixes « sub » et  « sous » attachés à « réaliste » expriment parfaitement ce décalage, ce degré moindre par rapport à la réalité.

Si de manière inconsciente, son inspiration sera toujours liée au grand peintre Picasso, en revanche celui-ci n’est pour lui  qu'un catalyseur, impulsant simplement l'élan nécessaire.

Un peintre allusif malgré lui ?

Avant d’aborder réellement la voie de l’abstraction, qu’il considère comme la voie royale,  Andrès va explorer un monde alternatif, peuplé notamment de figures énigmatiques.

Ses débuts l'ont amené à faire des compromis. Ainsi, lorsqu'il pensait avoir raté l'un de ses premiers tableaux abstraits, il se contentera alors de le retravailler pour qu'il devienne finalement un tableau allusif, suggérant des formes et qui sera en fait proche d'une œuvre figurative.

Un monde avec des êtres étranges

Ainsi parmi les traits singuliers de son travail, les personnages qui peuplent ses différents tableaux semblent singulièrement étranges.

Ils se présentent souvent avec des têtes allongées, rappelant les créatures de Modigliani, lui-même inspiré par les Arts premiers d'Afrique ou du Cambodge.

Mais  ce sont plutôt des êtres sans visages que nous montre Andrès. Ils n’ont que l’apparence de personnes humaines.

50x65

Cela renvoie bien évidemment à l’histoire personnelle d’Andrès et à sa difficulté d’exister et à être au contact des autres.

D'où son besoin de se cacher, en ne dévoilant pas le visage de ses personnages, en les affublant de masques, comme cet étrange joueur de flûte à la tête biface.

34x97 cm- le joueur de flûte

Vers une nature transformée

Lorsqu’il aborde le monde naturel, celui-ci subit également une transformation substantielle de la part de ce peintre.

Dans ce bouquet de fleurs ci-dessous, on est effectivement à rebours du réalisme et de la représentation traditionnelle.

L’artiste a tout réduit à un jeu de lignes et de bandes colorées zébrant sa nouvelle composition.

Le chemin vers l’abstraction est déjà bien entamé.

Certes on peut toujours reconnaître par les formes qu’il s’agit d’un bouquet de fleurs avec un vase, mais en fait tout a été modifié au profit de la réalité imaginaire du peintre.

Bouquet de fleurs avec des stries,58x48 cm - 2007

Cette réalisation fait aussi penser à certaines pratiques artistiques des années 1960 aux USA avec le minimalisme ou l’op art.

Sol Le Witt, artiste minimaliste, utilisait beaucoup les bandes de couleurs rayonnantes rappelant la géométrie mystique des premiers modernistes et les pyramides aztèques.

De même le travail du bouquet de fleurs d’Andrès rappelle également les réalisations propres de l’op art qui exploitaient la faillibilité de l'œil à travers des illusions ou des jeux d’optique.

L’artiste Bleckner utilisait notamment les motifs répétés des rubans pour concrétiser ces jeux d’optique.

Ses abstraits

Pour lui, l'abstraction représente la quintessence de la liberté artistique, symbolisée parfois de manière anecdotique par la possibilité d'accrocher un tableau dans tous les sens.

Peindre demeure donc une source de plaisir inépuisable pour Andrès.

Incapable, comme il le dit lui-même, d'exprimer ses pensées par l'écriture, il voit

dans la peinture une autre voie pour révéler son être le plus profond.

Une harmonie parallèle à la nature

Parmi ses oeuvres abstraites, ce tableau de 1995 qui résulte d’un système de touches colorées, reflète bien le style adopté par l’artiste pour échapper à la réalité empirique.

Sur bois - 1995, 73x93 cm

Mais abstrait ne peut signifier pour Andrès se  déconnecter totalement du monde environnant. C’est pourquoi l’artiste semble puiser son inspiration dans une harmonie parallèle à la nature.

Cette oeuvre peut évoquer, en effet, des mondes telluriques, illustrant des paysages avec une sédimentation de couches géologiques.

La difficulté d'être de cet artiste l'amène à trouver refuge dans cette nature primitive, à la fois primaire et hostile, un monde en formation sans formes définies.

Les fondations géologiques de ce paysage austère, minéral, découpé par des tranches de lumière d’un ocre intense nous invitent à explorer ses profondeurs.

Comme la découpe horizontale d'une falaise révélant ses entrailles géologiques, dévoilant un monde au début de sa formation dans un chaos apparent.

La beauté qui en résulte se situe alors aux origines, dans une géographie virginale où le bleu apaise et stabilise, et le marron évoque la terre, couleur naturelle par excellence.

Cette matière rocheuse devient alors presque vivante par ses épaisseurs et ses veinages.

Dans un détail du tableau (voir ci-dessous) éclairé sous une lumière rasante, la texture de la composition se révèle, avec la rugosité de la matière picturale qui rappelle les couches géologiques sédimentaires.


Détail

Ses créations récentes

Avec le temps, Andrès a l'impression de retrouver l'esprit de Picasso dans ses œuvres les plus récentes. L'influence de Picasso semble indéniable, bien qu'elle ne soit pas toujours prédominante.

110 cm x 176 cm

Ainsi Andrès semble avoir repris quelques éléments principaux du décor de la dernière toile de Picasso dénommée « Femme nue couchée et tête » de 1973, 130x195 cm.

On retrouve, effectivement chez Andrès quelques éléments emblématiques du dernier tableau de Picasso : un dessin très cubiste au centre (un être humain dessiné très schématiquement avec ses deux yeux ?) ainsi que d’autres formes dessinées dans le bas de l’oeuvre.

Ensuite pour le reste, il s’agit davantage d’éléments apportés par Andrès.

Ainsi à gauche une femme (selon l’interprétation du peintre lui-même) qui tient un petit tableau « le petit picador » dans sa main et à droite c’est son miroir qui renvoie sa propre image. Plus haut on voit apparaître des morceaux sous forme de débris qui se détachent, comme ceux tirés de la mort selon Andrès, comme le résultat d’une sorte de décomposition.

Andrès commente lui-même cette oeuvre en ces termes:

« Picasso ne s’est jamais détaché réellement de la figuration et il a toujours eu besoin de raconter une histoire.

Pour moi, le vrai sens de la création c’est l’abstraction qui conduit à l’infini.C’est pourquoi, en partant de la dernière oeuvre de Picasso, j’ai voulu réunir le figuratif et l’abstrait.Une façon aussi pour moi de continuer l’œuvre du grand maître en réconciliant la figuration avec l’abstraction. Ainsi dans ce travail le plus récent, j’ai bouclé la boucle avec celui qui m’a fait découvrir la peinture. »

Toujours faisant écho à la dernière oeuvre de Picasso, Andrès a réalisé une toile de facture encore beaucoup plus abstraite comme un nouveau coup de chapeau à son maître de prédilection.

110 cm x 176 cm

Andrès construit une structure abstraite constituée de cinq formes allongées blanchâtres grossièrement dessinées et réparties individuellement tout le long du tableau, auxquelles il rajoute en surimpression les formes figuratives du tableau de Picasso.

Ces dernières, extraites également du dernier tableau du maître espagnol, se traduisent sous la forme de traits verts.

Selon Andrès «  le vrai sens de l’art c’est la création sans limites et le figuratif, selon moi, ne sera jamais en ce sens créatif à 100% !

C’est pourquoi la vraie création c’est l’abstraction qui conduit à l’infini. »

Aussi pour Andrès, la figuration, même poussée à son paroxysme dans le réalisme sera toujours réduite dans les limites de la représentation humaine.

Ce peintre qui travaille  secrètement dans le sous-sol de la rue des Jardins semble avoir trouvé le moyen d’ouvrir les portes de l’infini !

Christian Schmitt - www.espacetrevisse.com

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