Rupture du contrat

Rupture du contrat

Le salarié qui abandonne son poste est présumé démissionnaire

Loi marché du travail art. 4

Définitivement adoptée le 17 novembre 2022, la loi portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi institue une présomption de démission en cas d'abandon de poste du salarié et fixe les principales modalités de mise en œuvre de ce dispositif inédit.

Le nouvel article L 1237-1-1, inséré dans la section du Code du travail consacrée à la rupture à l'initiative du salarié par la loi marché du travail, a pour objectif de limiter le recours des salariés à l'abandon de poste. Son entrée en vigueur est subordonnée à la décision du Conseil constitutionnel, qui a été saisi d'un recours, et son application nécessite la publication d'un décret.

À noter

La pratique de l'abandon de poste, qui consiste, pour un salarié, à cesser le travail sans autorisation, ne caractérisait pas jusqu'à présent une démission, car, selon la Cour de cassation, il ne peut y avoir de démission en l'absence de volonté claire et non équivoque de rompre le contrat de travail (Cass. soc. 24-1-1996 n° 92-43.868 P : RJS 3/96 n° 255). Il revenait à l'employeur de prendre l'initiative de la rupture en prononçant un licenciement disciplinaire, le salarié pouvant alors prétendre aux allocations de chômage.

L'objectif des députés qui ont introduit la présomption de démission est de mettre un terme à cette forme « d'autolicenciement » afin de limiter les perturbations dans les entreprises et les conséquences sur les finances de l'assurance chômage. Les sénateurs ont insisté sur le fait qu'il n'est « pas souhaitable qu'un salarié licencié à l'issue d'un abandon de poste dispose d'une situation plus favorable en matière d'assurance chômage qu'un salarié qui démissionne » (Rapp. Sén. n° 61).

La présomption de démission peut également être mise en perspective avec l'introduction du dispositif dit « de bonus-malus » (voir inf. 4 n° 5 s. p. 7), qui s'applique à certains employeurs et secteurs d'activité depuis le 1er septembre 2022 et permet de moduler la contribution chômage en fonction du taux de séparation de l'entreprise. Dans la mesure où le calcul de ce taux ne fait pas abstraction des licenciements (à la différence des démissions), les abandons de poste pouvaient pénaliser l'employeur.

Une mise en demeure pour s'assurer que le salarié veut réellement quitter son emploi

Selon le nouvel article L 1237-1-1 du Code du travail, le salarié qui abandonne volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste dans le délai fixé par l'employeur est présumé avoir démissionné à l'expiration de ce délai.

Une présomption de démission en cas d'absence volontaire…

Le texte instaure une présomption simple de démission du salarié, qui peut être renversée si le salarié conteste la rupture de son contrat de travail devant la juridiction prud'homale (voir n° 10).

L'application de cette présomption de démission est subordonnée au caractère volontaire de l'abandon de poste du salarié. En d'autres termes, si cet abandon de poste est contraint et résulte, par exemple, du comportement fautif de l'employeur, la démission ne peut pas être présumée.

À noter

Les députés à l'origine de ce nouveau dispositif ont d'ailleurs indiqué dans l'exposé des motifs de la loi que la mesure ne s'appliquerait pas aux salariés qui quittent leur poste pour des raisons de santé ou de sécurité. Pour rappel, le Code du travail prohibe les mesures discriminatoires fondées sur l'état de santé du salarié (C. trav. art. L 1132-1).

Par ailleurs, les sénateurs ont précisé dans leur rapport que certaines situations, considérées comme des motifs d'absence justifiée ou légitime, ne peuvent pas être qualifiées d'abandon de poste. Il s'agit notamment (Rapp. Sén. n° 61) :

-  de l'exercice du droit de retrait, autorisé lorsque le travailleur estime se trouver dans une situation de danger imminent (Cass. soc. 28-1-2009 n° 07-44.556 FS-PB : RJS 4/09 n° 361) ;

-  de l'exercice du droit de grève (C. trav. art. L 1132-2 et L 2511-1) ;

-  du fait pour un salarié de quitter son poste sans autorisation en raison de son état de santé afin de consulter un médecin (Cass. soc. 3-7-2001 n° 99-41.738 FS-PF : RJS 10/01 n° 1133 ; Cass. soc. 2-12-2009 n° 08-40.156 F-D : RJS 2/10 n° 172) ;

-  du fait pour le salarié de ne pas revenir travailler à l'issue d'un arrêt de travail si la visite médicale de reprise n'a pas encore eu lieu (Cass. soc. 20-3-2013 n° 12-14.779 F-D : RJS 5/13 n° 360 ; Cass. soc. 9-11-2017 n° 16-16.948 F-D : RJS 1/18 n° 13) ;

-  du refus du salarié d'exécuter une instruction de sa hiérarchie contraire à la réglementation (Cass. soc. 14-10-1997 n° 95-43.719 D) ;

-  du refus d'une modification unilatérale du contrat de travail, telle que le passage d'un horaire de jour à un horaire de nuit (Cass. soc. 22-5-2001 n° 99-41.146 FS-P : RJS 8-9/01 n° 992).

… subordonnée à l'envoi d'une mise en demeure au salarié…

Pour pouvoir se prévaloir d'une présomption de démission du salarié qui abandonne son poste, l'employeur doit au préalable l'avoir mis en demeure de justifier de son absence et de reprendre son poste dans le délai qu'il fixe.

Si le salarié ne répond pas, la procédure peut se poursuivre. Mais, si le salarié justifie d'un motif d'absence légitime - notamment l'un de ceux évoqués précédemment (raison de santé, droit de retrait, etc.) - ou réintègre son poste de travail, la présomption de démission tombe. Cette mise en demeure permet ainsi de s'assurer que l'abandon de poste est volontaire et réitéré (Rapp. Sén. n° 61).

À noter

Le texte ne précise pas le délai que l'employeur peut impartir au salarié pour justifier de son absence et reprendre le travail. En tout état de cause, celui-ci ne peut pas être inférieur à un minimum fixé par décret à paraître (voir n° 7). Rappelons que, pendant la période d'absence injustifiée du salarié, dans la mesure où celui-ci n'exécute pas son travail, il ne peut pas prétendre à sa rémunération.

La mise en demeure peut être transmise au salarié par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge.

À noter

En pratique, dans la mesure où le salarié ne se présente plus au travail, le recours à la lettre recommandée semble plus adapté.

… et au respect d'un délai minimal

Le salarié qui ne justifie pas de son absence ou ne reprend pas le travail dans le délai qui lui a été imparti par l'employeur dans la mise en demeure (n° 5) est présumé démissionnaire à l'expiration de ce délai. Celui-ci ne peut pas être inférieur à un délai minimum qui sera fixé par décret en Conseil d'État (à paraître).

À noter

Ce délai devrait commencer à courir à compter de la date de notification de la mise en demeure, et non à partir de la date de l'abandon de poste. Il serait souhaitable que le décret à paraître précise si le délai court à compter de l'envoi de la mise en demeure par l'employeur ou de sa réception par le salarié.

La date d'expiration du délai imparti au salarié pour répondre constitue la date de rupture du contrat de travail. Cette date marque le point de départ du préavis de démission du salarié, qui sera vraisemblablement inexécuté, et donc non rémunéré.

À noter

Le salarié qui n'exécute pas son préavis peut être condamné à verser à son employeur une indemnité compensatrice au titre du préavis inexécuté (Cass. soc. 18-6-2008 n° 07-42.161 FS-PB : RJS 8-9/08 n° 889), même s'il n'a subi aucun préjudice (Cass. soc. 24-5-2005 n° 03-43.037 F-P : RJS 8-9/05 n° 835). L'employeur pourrait former une demande reconventionnelle en ce sens si le salarié saisit le conseil de prud'hommes d'une contestation de la présomption de démission (n° 10), voire prendre l'initiative de saisir le conseil de prud'hommes.

La date de rupture du contrat de travail permet également de déterminer la date de fin de contrat, située à l'issue du préavis (n° 8) et à laquelle doivent être effectuées les formalités de fin de contrat (liquidation des droits du salarié, déclarations, remise des documents de fin de contrat, notamment l'attestation Pôle emploi, etc.).

À noter

L'attestation Pôle emploi doit mentionner le motif exact de la rupture du contrat de travail. Ce pourrait-être, par exemple, « présomption de démission ».

Une procédure accélérée de contestation devant les prud'hommes

Le salarié présumé démissionnaire peut contester la rupture de son contrat de travail en saisissant directement le bureau de jugement du conseil de prud'hommes, qui se prononce sur la nature de la rupture et ses conséquences.

À noter

Le juge devrait observer une procédure similaire à celle qui s'applique lorsqu'un salarié démissionne sans faire état de réserves, puis saisit la justice d'une demande de requalification de la rupture. Le juge peut en effet considérer que cette démission est équivoque. S'il juge la démission équivoque en raison de manquements reprochés à l'employeur, celle-ci sera requalifiée en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifient ou, dans le cas contraire, d'une démission (Cass. soc. 9-5-2007 n° 05-40.518 FS-PBRI : RJS 7/07 n° 823).

Le juge prud'homal doit statuer au fond sur la demande du salarié dans un délai d'un mois.

À noter

En pratique, le délai d'un mois n'est pas tenable, pour des raisons tenant tant aux moyens des conseils de prud'hommes qu'aux règles de procédure telles que le principe du contradictoire. Il n'en demeure pas moins que la procédure accélérée, également prévue en matière de prise d'acte de la rupture du contrat de travail (C. trav. art. L 1451-1) ou en cas de demande de requalification d'un CDD en CDI (C. trav. art. L 1245-2), permet au justiciable de voir son affaire jugée plus rapidement qu'avec la procédure de droit commun.

Quid des salariés protégés ?

Le texte ne prévoit pas de procédure spécifique pour les salariés protégés. Si la démission de ces salariés n'est en principe pas soumise à la procédure spéciale de rupture du contrat de travail, il pourrait en aller autrement de la présomption de démission, qui implique l'application d'une procédure à l'initiative de l'employeur. Eu égard à la gravité des sanctions civiles et pénales encourues en cas de violation du statut protecteur, des précisions de la part de l'administration seraient les bienvenues. En tout état de cause, on conseillera la plus grande prudence aux employeurs de salariés protégés confrontés à un abandon de poste de leur part.

NA-I-2650 ; MS n° 69032

(c) 2022 Editions Francis Lefebvre  

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