Se conjuger à l'imparfait...chapitre 2

Se conjuger à l'imparfait...chapitre 2

No alt text provided for this image

(Suite du chapitre 1) Ces mutations sont indéniablement génératrices de chocs pour notre cerveau. Tous ces mouvements influencent chaque parcelle de notre vie mais aussi de notre état d’être profond. Notre rythme de vie change, s’accélère, nos modes de fonctionnement sont aussi mis à l’épreuve par une demande croissante d’adaptation au changement.  Tous nos repères sont devenus mobiles, ce qui nous force à revisiter nos représentations et toutes nos habitudes. L’éclatement de la cellule familiale, des frontières, ce que nous pensions tangible, assuré, et en quelque sorte acquis par tradition ou de par notre héritage social et culturel génèrent maintenant d’innombrables peurs et de sentiments d’insécurité. Ne sommes-nous pas en train de nous perdre ?  La récente pandémie a permis d’accélérer la convoitise du bonheur facile.

Certains diront que c’était écrit. Malgré l’accès à un certain confort, nous poursuivons aveuglement la quête du matérialisme. Pendant ce temps, il y en a qui s’ingénient à remplacer l’humain par des robots de plus en plus sophistiqués, d’autres qui cherchent à cloner, modifier l’ADN du modèle humain le plus parfait pour satisfaire les demandes les plus farfelues ou au nom de la science. Nous pouvons maintenant peser le fardeau de notre empreinte écologique, nous ressentons les effets du réchauffement climatique mais nous restons de glace devant l’urgence d’agir. Que dire de ce 1% de la population mondiale qui détient 99% des ressources ; ces faits n’empêchent en rien de voir des masses de gens se faufiler dans cette course effrénée pour obtenir la dernière version d’un téléphone intelligent. Dans les pays où l’eau est crucialement manquante, où les droits et libertés sont parodiés par des dictateurs, il est plus important de vendre sa chemise pour posséder un appareil dernier cri que d’assurer sa survie. Les mises en garde sur l’écart toujours grandissant du ravin entre l’extrême pauvreté et la richesse d’une poignée d’Hommes, font partie du quotidien. Il semble difficile voire impossible maintenant d’interrompre l’érosion de ces parois qui s’effritent à un rythme fou et qui laisse toute une humanité en pièces. Mais, même si tous ces faits s’avèrent tristement dramatiques, un plus grand drame se déroule sous nous propres yeux, mais sous-jacent, et cette route à haute vitesse sur laquelle nous sommes tous engagés, ne nous permet plus de regarder le paysage tel qu’il est aujourd’hui. Nous avons franchi le seuil de saturation dans cette capacité à gérer notre présent, mais aussi nos ressources planétaires.  Les seuls qui ne perdent pas leur sens de l’orientation sont ceux qui possèdent la richesse et qui en veulent toujours plus et qui se bercent d’indifférence face à l’humanité qui s’écroule. Mais au fond, est-ce si grave, puisqu’elle n’en n’est pas consciente.

Lorsque nous sommes confrontés à ce qui dérange, il s’agit maintenant que de changer d’image, de faire une pression du doigt sur un écran pour changer d’icone ou sur une télécommande et se plonger dans le divertissement. Nous nous défilons devant la contrainte, le sentiment d’impuissance, nous voguons sur l’idéalisme, nous construisons une réalité à l’image de peurs intrinsèques et de cet idéalisme charnu de croyances magiques. Le discours politique fait allusion aux besoins des classes ouvrières de trouver leur place et d’être entendues.  Aux États-Unis, ils ont choisi un millionnaire pour les défendre. Est-ce notre désespoir qui nous fait adhérer aux discours mêmes des moins crédibles ? Est-ce plus facile de vendre le mensonge et la manipulation simplement parce que notre niveau de cynisme accélère la fuite par l’imaginaire ? Depuis la campagne de Donald Trump aux Etats-Unis, nous sommes maintenant en mesure d’évaluer que les fausses vérités, les rumeurs sans fondements, les vidéos de chiots ou de chatons sont devenus les sujets favoris des internautes. La publication d’un rapport récent qui a été réalisé par « Facility of Accepted Knowledge and Education (FAKE) » publié par le Journal de Guelph’s University, « The Ontarion » en décembre 2016 nous prouve au moins une chose : Nous n’aimons pas la réalité ni la vérité et nous n’avons surtout pas envie d’éveiller notre sentiment de culpabilité face au besoin de s’échapper de celle-ci.  

Il serait simpliste de déclarer que notre paresse intellectuelle est responsable de cet état de fait. Mais il n’en est rien, enfin pas tout à fait. C’est notre point de saturation, notre point culminant d’adaptation qui a est touché en profondeur et qui attise fortement ce besoin d’évasion. Mais à ceci, se trouve un autre revers. Une fois que le divertissement a joué son rôle, notre retour à ce quotidien obligé fait d’autant plus mal car il est combiné à cette conscience du sentiment d’impuissance devant le cours des évènements. Malgré notre volonté, il nous culpabilise inconsciemment certes, mais affecte notre capacité à croire en notre potentiel et à notre pouvoir d’action en tant qu’individu.  Donc, nous nous pénalisons doublement en cultivant notre fragilisation de par notre conquête à la recherche du plaisir instantané « pour oublier », nous devenons encore plus vulnérables et plus cette vulnérabilité est marquante, plus notre état psychique envoie des signes de détresse.

Malheureusement, lorsque nous sommes à ce stade, moins nous croyons en nous-mêmes plus nous avons besoin du regard des autres et plus nous sommes enclins à rechercher l’approbation sociale.   Le regard des autres est un pouvoir fort qui fait figure de maitre chez beaucoup de gens au point d’être la seule référence qui détermine ce qui doit ou ne doit pas être dans leur façon de se vêtir, de manger, de se comporter et de penser. Bien sur, nous avons besoin de nous identifier à ceux qui nous ressemblent, mais ce besoin se transforme en une compulsion lorsque nous n’avons plus de référence en rapport avec sa propre personne. Si nous sommes fragiles, nous ne croyons pas en nos propres ressources.  Notre guide, notre conscient n’est plus rattaché à ce que nous sommes, mais à ce que nous devons être, avoir et faire pour être accepté. Ce besoin d’identification excessif devient une recherche d’approbation sociale, soit la mise à prix de son individualité, une forme de perte identitaire au profit de l’acceptabilité et du besoin d’être rassuré. L’approbation sociale n’est pas un geste de ralliement pour défendre une idée ou un concept. Elle est une démarche de d’assimilation pour gagner la reconnaissance des autres. Je pourrais citer en exemple David Cameron, l’ancien Premier Ministre Britannique qui a conduit un sondage sur le Brexit pour obtenir une approbation socio-politique. Il a admis avoir perdu en cherchant à plaire. Il a en quelque sorte marchandé ses valeurs au profit de cette approbation. La recherche d’approbation sociale est donc un jeu risqué car moins nous avons confiance en soi, plus nous en avons besoin, et plus nous en avons besoin, plus nous sommes à sa merci.  Mais encore, la conjoncture actuelle ne fait que mettre sous lumière nos dérives. C’est cette incapacité de se poser au temps présent, c’est-à-dire prendre conscience de soi maintenant avec ce qui est, qui complexifie largement la dynamique et qui laisse peu d’espoir pour ne pas dire aucun à un revirement de situation.  

Les plus optimistes diront que l’équilibre finit toujours par trouver sa route mais il ne faut pas que ces aspirations dissimulent les faits, car l’optimisme à ce titre devient aussi une fuite. L’équilibre ne peut pas trouver sa voie si nous sommes incapables d’accepter ce qui est maintenant et si nous sommes envahis par un sentiment d’impuissance en pointant les autres comme responsables. S’il est vrai que l’Histoire fait foi de notre prédisposition à se relever de multiples grandes tragédies, nous sommes aussi responsables des plus meurtrières.  Mais encore, nous ne sommes plus là où nous étions, même juste cinquante ans en arrière. Si aujourd’hui le terrorisme apparait comme une réelle menace à notre paix sociale, c’est que nous oublions que nous devenons progressivement, collectivement, un danger pour nous-mêmes et pour les autres juste en étant ce que nous sommes.

D’ailleurs, le fait que l’humain a toujours été confronté à sa capacité d’autodestruction, l’extrémisme demeure la manifestation du besoin excessif de reconnaissance et du besoin d’emprise, de pouvoir. Les groupuscules se rallient et se font justice. Leur quête de sens même si elle ne correspond pas à ce « bon sens bienveillant » en est une malgré tout. A la différence avec la préhistoire, c’est aujourd’hui notre savoir, l’accessibilité à une bibliothèque mondiale garnie de fausses vérités, de mensonges, de faits et de faux, un genre de fourre-tout planétaire où les plus machiavéliques ou les plus belles histoires sont à la même proximité.  L’état d’esprit dans lequel nous sommes, le niveau de saturation que nous témoignons ne fait qu’ajouter à l’importance du risque réel. Si cette accessibilité se fait sans la conscience d’être, alors nous avons tous, à notre niveau, un bouton rouge de la bombe nucléaire entre nos mains.

"Ce cerveau qu'on présente comme l'organe le plus complexe de l'univers et dont on chante les louanges à coups d'émissions de télévision et au fil de rayons entiers de librairie, est en réalité un organe au comportement largement défectueux, porté à la destruction et à la domination, ne poursuivant que son intérêt propre et incapable de voir au-delà de quelques décénnies". Sébastien Bohler , Le bug humain, Ed. Robert Laffont.

En lisant son livre, j'ai eu l'impression de trouver un ami, sans doute pour avoir fait cavalier seul dans mon pessimisme assumé depuis vingt ans. Sébastien Bohler un neuroscientifique prestigieux démontre avec finesse et un vocabulaire accessible pourquoi notre destinée ne peut que se retourner contre nous-mêmes. Il raconte et analyse nos comportements en lien avec la gestion des défis climatiques et il tire des conclusions percutantes mais qui me confortent dans mes propres constats, même s'ils sont affligeants. Mais il faut surtout accepter que notre capacité à haïr, notre désir de dominance et de perpétuelle autojustification et le besoin d'avoir raison joue tout à l'encontre de notre nécessité d'humilité.

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets