Se faire craquer les articulations : Est-ce mauvais ? Et si le secret du bruit avait été percé ?
Qui ne s'est jamais fait craquer les doigts et à qui on a dit d'arrêter car il allait avoir de l'arthrose ? Mythe ou réalité ? Qu'en dit la littérature scientifique ?
Plusieurs études se sont penchées sur cette question. Le "crack" est une manipulation de l'articulation entrainant un bruit audible le plus souvent. Se faire craquer les doigts est habituel dans la population avec une prévalence* allant de 25 à 54 % [1] [2]. Les études in vitro ont montré que la force nécessaire pour faire craquer une articulation demande une énergie qui peut conduire à des lésions du cartilage. En théorie, cela provoquerait donc de l'arthrose [3].
L'ensemble des études étudiant le risque d'arthrose augmenté par le fait de faire craquer ses doigts montre une non corrélation entre ces 2 éléments [2]. Une étude rétrospective cas-témoins de 2010 sur 215 patients suivis sur 5 ans cherche à voir s'il y a un lien entre arthrose et craquement articulaire et si des facteurs de risque sont retrouvés comme : la quantité (nombre de fois que l'on fait craquer ses doigts), la durée (depuis combien de temps), l'histoire familiale d'arthrose et leur travail. Les résultats confirment ceux des études antérieures. Effectivement, les résultats ont indiqué qu'il n'y avait pas de corrélation entre la durée et la présence de l'arthrose dans les articulations. Il n'a pas été montre d'effet dose (lien entre quantité + durée et présence d'arthrose). Cependant, les études étudient sur des temps courts ce qui ne permet pas de savoir leurs effets à long terme dans les articulations. [4]
Il semblerait donc que se faire craquer les articulations ne favorise pas l'arthrose des mains. C'est l'histoire familiale de l'arthrose et les conditions de travail qui sont les réels facteurs de risque de l'apparition de l'arthrose. Mais ces études ne répondent pas à la question pourquoi la force nécessaire pour faire craquer qui est théoriquement nocive pour l'articulation ne l'est pas ? Les chercheurs émettent l'hypothèse que la pression intracapsulaire n'est pas la même que celle appliquée mais cela reste à prouver par des mesures.
Et le "plok" du crack ? D'où vient-il ?
De nombreuses théories existent sur l’origine du bruit lors du craquement. La plus connue attribue ce « plok » à la destruction brutale d’une bulle d’air formée lors de la séparation des surfaces articulaires. Malheureusement, la destruction d’une bulle d’air comme source du craquement articulaire est incompatible avec les phénomènes physiques qui définissent le phénomène de craquement articulaire.L’université Alberta du Canada a été voir, grâce à l'IRM dynamique à 3.2 images/seconde, ce qu’il se passait lors du craquement au niveau de l’articulation.
Alors que la force de traction augmentait, on observe la formation rapide d’une cavité au moment de la séparation de l’articulation et la production d’un son alors que la cavité restait visible (le flash sur la séquence vidéo). Leurs résultats offrent une preuve expérimentale directe que le craquement articulaire est associé à la formation d’une cavité plutôt qu’à la préexistence d’une bulle.
Ces observations sont compatibles avec la tribonucléation*, un procédé connu où les surfaces opposées résistent à la séparation jusqu’à un certain point critique où elles se séparent rapidement créant ainsi des cavités d’air.
En conclusion, c’est donc la formation de la cavité d’air et non de sa destruction qui est à l’origine du bruit. [5]
Delaville Arnaud - Ostéopathe DO
Bibliographie
[1] S. S. Swezey RL, «The consequences of habitual knuckle cracking,» West J Med, p. 122:377–9., 1975.
[2] A. D. Castellanos J, «Effect of habitual knuckle cracking on hand function,» Ann Rheum Dis, p. 49:308–9, 1990. (lien PDF)
[3] K. W. M. R. Watson P, «A study of the cracking sounds from the metacarpophalangeal joint,» Proc Inst Mech Eng , p. 203:109–18, 1989.
[4] M. F. M. O. M. a. R. O. M. Kevin deWeber, «Knuckle Cracking and Hand Osteoarthritis,»J Am Board Fam Me, p. 24:169–174, 2011. (lien PDF)
[5] Kawchuk GN, Fryer J, Jaremko JL, Zeng H, Rowe L, Thompson R (2015) Real-Time Visualization of Joint Cavitation.PLoS ONE 10(4): e0119470. doi:10.1371/journal.pone.0119470. (lien PDF)
* Le phénomène de cavitation est la formation de bulles dans un liquide à l’intérieur d’une une zone de dépression.
Le phénomène de tribonucléation est un cas particulier de cavitation où la dépression est produite par l’éloignement de deux parois initialement proches ou par frottement.