Si je vous dis artisan d'art?

Si je vous dis artisan d'art?

Quand on parle d’artisan d’art, dans le meilleur des cas, on imagine les "petites mains" d’une brodeuse courbée sur un métier ou les "doigts de fée" d’un plumassier avec un accent parisien, perché derrière un établi en bois avec des cahiers de factures quadrillés vert et blanc. Dans le pire des cas, on imagine un marché de province, avec des poteries bariolées et des bijoux «faits mains ».

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Moi, je vois un immense disque irisé qui danse entre les mains d'un souffleur de verre, se déformant délicatement par gravité. Je vois une plaque de chêne cintrée par la chaleur dans une courbe parfaite qui ne parle que de légèreté. Je vois un pétale de bronze sur lequel la feuille d’or joue des mats et des brillants dans un ping-pong avec la lumière.

Je vois des hommes et des femmes qui ont décidé - rarement après leur 15 ans- qu’ils passeraient leur vie à faire apparaître de nouveaux objets sur la planète. Et qu’ils consacreraient à cette tâche leur corps, leur âme et leur esprit.

Je sais qu’ils sont artisans. Parce qu’ils ont appris (de l’école et/ou de leurs maîtres) une technique ancestrale qu’ils réinventent chaque jour. Et parce que cette technique est soumise à la maîtrise et à la transformation d’une matière.

Je sais qu’ils sont créateurs (on pourrait dire designer). Quand ils cherchent et trouvent leurs propres formes, lignes, compositions, équilibres, couleurs. Même si parfois ils mettent cette créativité au service d’un désigner ou d’un décorateur.

Et je vois bien que parfois, ce sont des artistes. Quand leur geste s’affranchit de la matière, de la technique et de l’usage pour produire des œuvres qui sont les fruits de leur pure imagination. Quand leur besoin de créer est non négociable.

Ces hommes et ces femmes me fascinent parce qu’ils connectent chaque jour un peu plus la tête et les mains. Sans intermédiaire. La technique permet cela. Aucun filtre numérique entre la pensée et le pinceau. Entre l’idée et le burin. Entre l’intention et l’aiguille. Ce qui n’empêche en rien l’innovation technologique d’optimiser le temps de fabrication à de nombreuses étapes.

Ils me fascinent aussi parce que leur goût de travailler est plus fort que tout. Obsessionnel parfois. Et qu’il n’est pas imaginable de faire autre chose. Quitte à travailler dans un bar la nuit pour pouvoir prototyper dans l’atelier d’un ami compréhensif le jour. Quitte à revenir à l’atelier le dimanche pour créer tranquille quand la semaine a été consacrée pour toute l’équipe à la production des commandes.

Ces hommes et ces femmes m’inquiètent. Parce que leur réalité économique est difficile. L’achat des outils, des matières, la recherche, la création, la transmission ne sont pas valorisés dans le temps de travail qu’ils facturent. Leur nom n’est que rarement cité par les marques, les designers et les décorateurs qui font appel à eux pour faire apparaître leurs idées. Et parce qu’à ces échelles de chiffres d’affaires, même quand l’année a été exceptionnelle et la reconnaissance internationale, l’annulation d’une commande met en péril tout l’atelier.

Dans mon podcast, The Craft Project (disponible sur toutes vos applications de podcast), je cherche à mettre la lumière sur les artisans d’art en dehors du folklore créatif et de la poussière patrimoniale. Faire entendre la passion bien sûr mais aussi l’intelligence humaine, la sagesse, la poésie ou encore le sens des affaires, la vision politique et l’esprit entrepreneurial.

Métiers Rares, à travers ce podcast et dans ses missions pour les marques, œuvre pour une meilleure valorisation (en argent et en reconnaissance) du savoir-faire et des personnes que sont les artisans d’art.

Par Raphaëlle de Panafieu, co-fondatrice de Métiers Rares.

@raphaelle_metiers_rares

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Raphaëlle Le Baud a 36 ans. Elle est tombée dans les métiers d’art il y a 10 ans en reprenant et développant avec Eloise Gilles la Maison d’éventails Duvelleroy (Entreprise du Patrimoine Vivant). Elle a co-fondé Mayaro en 2015 pour penser un laboratoire parisien pour les métiers d’art. En 2018, elle co-fonde avec Céline Allion Brajou le studio Métiers Rares qui imagine et bâtit des ponts ente les artisans d'art et les marques. Elle est membre du jury de la fondation Banque Populaire pour les métiers d’art et contribue à plusieurs publications en tant qu’expert du secteur.

Crédits photographiques :

Bonzaï de bronze - Pierre Salagnac

Bois gonflable - Arca Ebénisterie

Le plumassier Maxime Leroy Atelier M.Marceau

Vincent BREED

Glass artist & Glass project manager chez Hotshop France

5 ans

Bravo pour ce beau projet.

Solène Le Blévenec

Responsable Formation Retail France Swatch et Flik Flak

6 ans

Maxime est plus qu'un artisan d'art.... un magicien !!

Sylvaine GORGO

Marqueteur de pierres dures. Maître artisan d'art

6 ans

Vous parlez magnifiquement des métiers d'art . Merci. Je vais écouter cela avec beaucoup de plaisir. Il fait nuit, les voix sont belles ...je sens que je vais me régaler.

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