Si le burnout était conté...

Si le burnout était conté...

Burnout… Le diagnostic tombe parfois comme un couperet, bouleversant la vie de la personne qui l’entend. On essaie de se rassurer. Ca va aller… Une semaine et Hop au boulot ! Sauf que le temps passe… passe… et notre corps ne va toujours pas mieux… Laissez-moi vous conduire sur un chemin qui nous délivre un message à ceux en burnout, à ceux qui côtoient les personnes en burnout, à nous en tant que société…

Il était une fois, une société où tout le monde était membre d’un clan de 5 personnes. Ce clan faisait tout ensemble. Il mangeait, marchait, travaillait, rencontrait d’autres clans et dormait sans jamais se séparer. Dans cette société particulière, comme l’exigeait la culture, 5 personnes se réunirent.

Le premier Thinking avait reçu une éducation particulière. Tout au long de son enfance, on lui avait répété que tout bon citoyen devait atteindre la perfection, l’idéal de vie, le rêve. Un lecteur attentif constatera peut-être qu’il s’agit-là d’une anomalie. En effet, par définition, la perfection n’existe pas ; le rêve n’est pas réalité et l’idéal demeure à jamais une destination qui s’éloigne de plus en plus. Cette aberration ne semblait au premier abord pas gêner l’entourage de Thinking. Déjà petit garçon, Thinking avait tendance à donner le meilleur de lui-même. Par bonheur, il était arrivé dans une excellente famille. Il comprit très vite que les choses parfaites étaient récompensées ; qu’avoir 5/10, à l’école c’était passable, qu’avoir 10/10, c’était encore mieux et que s’il y avait une question bonus, il fallait avoir 11/10. Thinking perfectionniste à la base, développa alors un sur-perfectionnisme.

Les ancêtres maternels de Thinking étaient catholiques et avaient transmis à ce dernier des valeurs fortes, notamment « Tu feras plaisir à ceux qui t’entourent » ; « Tu aimeras ton prochain »… Bref, « Tu deviendras le sauveur de l’humanité ». « Lourde responsabilité pour un enfant », me diriez-vous ? Cependant, Thinking était né altruiste. Se dévouer pour les autres ne le dérangeait pas, d’autant plus que les adultes louaient sa gentillesse. Le processus se répéta et au fil des années, Thinking en vint à penser que « Dire non », c’était « être égoïste ».

Les ancêtres paternels de Thinking avaient enseigné à leur descendant l’importance de l’honnêteté, de la loyauté, de l’engagement. Pour Thinking, une fois qu’on s’engageait dans une activité, c’était pour la vie.

Thinking reçut donc de son éducation, entre autres, trois dons : sur-perfectionnisme, sur-altruisme, sur-loyauté. Il hérita en plus de ces cadeaux, une philosophie de vie : « Avant de jouer, il faut faire ses devoirs, ranger sa chambre, avoir de bons points, finir ce qu’il y a à faire ».

En tant que lecteur extérieur, nous comprenons peut-être qu’il aurait été plus intéressant d’offrir à Thinking d’autres enseignements comme « Parfois, faire les choses moins bien, c’est aussi bien que les faire parfaitement » ; « Parfois dire « non », c’est important pour se respecter soi » ; « Parfois, lorsqu’une promesse n’est pas réalisable, il faut peut-être la rompre » ; « Pour qu’une voiture roule sur de longues distances, il faut s’arrêter pour faire le plein » ; « Pour qu’une plante grandisse, on lui met du terreau adéquat, on l’arrose, on chasse les limaces… Que fait-on pour qu’un être humain puisse s’épanouir ? ». Néanmoins, ni les parents, ni les grands-parents de Thinking ne pouvaient se douter de ce qui allait arriver.

S’il était le plus reconnu, Thinking n’était pas seul durant sa vie. Il était accompagné de 4 amis : Feeling, Corpus, Action et Intui.

Feeling était d’humeur changeante. Tantôt, elle fondait en larmes et déversait une averse torrentielle sur ses amis ; tantôt, pétillante de malice, elle rigolait à pleins poumons ; tantôt, elle criait haut et fort à l’injustice prête à partir au combat ; tantôt, elle semblait pétrifiée. Thinking n’en comprenait pas toujours la raison, mais il avait fini par penser que Feeling était comme ça, volatile, sans constance. Feeling, quant à elle, avait appris très tôt qu’en fonction de ce qu’elle montrait, elle était écoutée. Ses amis l’entendaient plus si elle était pétillante ou si elle se pétrifiait et refusait d’avancer. Peu importe ce qu’elle ressentait, elle finit par sourire plus souvent ou par s’immobiliser alors qu’elle voulait hurler. Mieux valait se faire entendre que se taire tout le temps.

Corpus rythmait ses journées selon les besoins de son corps. Il était éveillé ou endormi. Il avait faim, soif ou il était apaisé. Il avait mal, se sentait tendu ou était détendu. Selon Thinking, Corpus était trop vite fatigué, trop vite limité. Feeling prenait pour elle les sensations que Corpus lui envoyait. Corpus était tendu, Feeling était stressée. Corpus était fatigué, Feeling était plus émotive. Les deux semblaient allés si bien ensemble que tous estimaient de bon augure le nouveau clan qui se formait.

Contrairement à Thinking qui était posé, Action ne réfléchissait pas. Il obéissait aux ordres. Au plus grand plaisir de Thinking, la plupart du temps, c’étaient les siens, mais il suffisait que Feeling pique une crise ou qu’Intui lui lance un signal pour qu’Action n’en fasse qu’à sa tête. Sans oublier que si Corpus disait « non », Action semblait souvent du même avis et refusait d’entendre raison.

Enfin, la dernière de la bande, Intui possédait une compréhension et une vision du monde qui l’entourait phénoménale. Elle se souvenait également de tout ce qu’elle avait vécu. Lorsqu’il prenait le temps de l’écouter, Thinking était parfois étonné de la sagesse qu’elle possédait. Malheureusement, communiquer avec Intui n’était pas simple. Cette dernière étant muette, il fallait se concentrer sur les signes qu’elle envoyait. Au grand désarroi de Thinking, ce dernier ne parvenait que difficilement à décoder les signaux transmis.

C’est ainsi que Thinking, Feeling, Corpus, Action et Intui grandirent ensemble dans une société où pour encourager la jeunesse, pour ne pas leur enlever leur(s) rêve(s) « trop tôt », on ne mentionnait pas les désavantages du monde adulte. Thinking avait donc une vision utopique de leur futur, futur qui remplissait Feeling de joie lorsque Thinking en parlait.

Les études terminées, les voilà en route pour une nouvelle contrée ; une contrée gouvernée par un principe premier : « l’argent ». Thinking comprit que tout clan devait gagner de l’argent. Il cherchait lui aussi à privilégier son clan. Logiquement, il assimila aussi que ce nouveau pays devait gagner plus que ce qu’il ne dépensait, sinon il était voué à s’écrouler sur lui-même et à expulser ses habitants. Les différents clans se rencontraient et cherchaient à marchander pour gagner plus, plus rapidement tout en conservant plus. Alors Thinking, perfectionniste, altruiste, sur-loyal commença à presser Corpus et Action pour fournir de la qualité rapidement. « Laissons de côté Feeling ou Intui… Ca prendrait trop de temps de les écouter » pensait parfois Thinking. Pour la première fois, il rencontra de nouvelles structures : charge de travail et pression temporelle (impression d’être tout le temps pressé par le temps).

Le pays que le clan visitait était aussi marqué par le brouillard qui y circulait souvent. Le clan se retrouvait parfois perdu sans savoir ce qu’il devait faire, où il devait aller, jusqu’où il devait aller, à quel moment s’arrêter. Il arrivait même aux 5 amis d’atteindre une intersection et de recevoir des directives qui les poussaient à aller en même temps à droite et à gauche. Or un clan ne pouvait se séparer, les cinq compagnons devaient voyager ensemble. Thinking, qui jusque-là avait toujours réussi à s’y retrouver, ne sut plus. Feeling se sentit perdue. Action s’empressa de tout faire, mais ne put se dédoubler. Intui avait compris depuis longtemps que peu importe le choix, bifurquer à droite serait voué à l’échec, car ce serait négligé le chemin de gauche, mais aller à gauche serait oublié la directive de droite. Intui fit un signe à ses amis pour les en informer. Cependant, Thinking ne l’écoutait pas. Déjà, il s’acharnait pour répondre parfaitement aux deux exigences.

Au cours de leur voyage, les saisons défilèrent devant les yeux des cinq membres du clan. Ce qui au départ avait ressemblé à un paradis s’était transformé en enfer d’un claquement de doigt. Plus elle observait le paysage qui l’entourait, plus Intui se rendait compte que la contrée qu’ils traversaient ne leur correspondait pas. Elle n’était contente ni de la quantité de travail, ni de la reconnaissance, ni des relations avec les autres clans, ni de leur autonomie, ni de la justice et encore moins des valeurs de ce pays. C’était finalement logique. Suivant l’avis de Thinking, le clan avait choisi la première contrée qui leur avait ouvert ses frontières sans se demander s’ils avaient envie d’y vivre. Intui souhaita faire passer le message à ses camarades, mais resta frustrée de ne pouvoir se faire comprendre.

Les clans continuaient de les regarder de travers, ne les aidaient pas, étaient compétitifs et n’étaient absolument pas solidaires. A tel point que même Thinking, qui d’habitude exigeait beaucoup de son clan, décida de ne compter sur personne d’autres.

Bref, Intui le savait. Ce monde était voué à détruire leur clan. « Quel est le sens de continuer ? Nous pourrions trouver un lieu qui nous convient » songe-t-elle, « avec plus de bois, plus de montagnes ou peut-être plus d’océans ». Thinking lui ne fut pas de cet avis. Si le pays ne convenait ni à Corpus, ni à Feeling, ni à Intui, ils n’avaient qu’à faire une révolution et changer la mentalité de la contrée. Il dynamisa Corpus et Action et les voilà qu’ils s’acharnèrent. Abandonner serait signe d’échec, de non-perfection, de trahison, d’égoïsme. Intui, quant à elle, ne se voyait pas vivre dans un monde sans y mettre son cœur et son enthousiasme. Le clan commença à déplacer des montages, redéfinir les cours d’eau, semer de nouvelles graines… Cependant, rien n’y fit. Les ravages continuèrent de se faire sentir. Thinking refusa d’entendre raison. Chaque clan devait atteindre son idéal et le leur y arriverait également. Cependant, plus Thinking s’acharna, plus il négligea d’écouter Feeling, plus Corpus se sentit fatigué. Plus Corpus se plaignit de fatigue, plus Feeling essaya de se faire entendre et plus Thinking prenant Action sous son aile décida de continuer.

« Attention, Attention », hurla un beau jour Corpus « j’ai mal aux épaules, je ne sens plus mon dos »

Thinking haussa les épaules. « Il fera comme tout le monde » songea-t-il, « il prendra sur lui ». Et le voilà qu’il incita Action à porter de lourds morceaux de bois afin de réparer le pont qu’ils étaient en train de traverser.

« J’ai l’estomac noué. Je suis malade », se plaignit Corpus en s’allongeant le long de la route.

Néanmoins, Thinking ne l’entendit pas de cette oreille, il redressa Corpus et le poussa à continuer. Feeling fit part de son ras-le-bol par-dessus la voix de Corpus. Elle n’en pouvait plus, elle avait peur de l’obscurité qui l’attendait au détour de la forêt. Elle en avait marre de se démener sans même recevoir un merci. Thinking se rendait bien compte que Corpus et Feeling n’étaient plus ce qu’ils avaient été, mais il n’avait pas le temps de leur prêter attention. Alors pour ne plus les entendre, il recouvrit Feeling d’une longue cape et détourna le regard de Corpus.

Thinking devint insensible. Plus rien ne le toucha. Comme s’il fonctionnait en mode « robot ». Action, également, sembla métamorphosé par cette décision. Ses proches ne le reconnaissaient plus. Un instinct terrible qu’il ne comprenait pas, le poussait à éviter un maximum de se lever le matin, de sortir. Heureusement, Thinking était là et le convainquait de lutter contre cette pulsion. Et c’était le cœur lourd, les pieds trainant qu’Action se déplaçait tous les matins pour modifier ce monde tandis que Thinking croisait les doigts en espérant que les choses changent. Corpus nauséeux soupira :

« Ah si au moins je pouvais avoir une jambe cassée ou un cancer. Peut-être que Thinking m’écouterait enfin ».

« Tu n’as pas honte », le rabroua Thinking, « Quel manque de dévouement ! Quel égoïsme ! Es-tu à ce point paresseux ? Allons courage, retroussons nos manches et construisons ces nouvelles villes ! »

Pourtant, vint le jour où les mains tremblantes de fatigue, aucun des membres du clan ne parvint à modeler les briques dont ils avaient besoin. Thinking les encouragea et après bien des essais qui allongèrent la journée déjà chargée, ils arrivèrent à créer un résultat potable.

« Ah non ! » déclara Thinking, « Nous avons pris trop de temps. Le travail s’accumule. Nous ne nous coucherons pas tant que ce ne sera pas fini ! Nous ne nous détendrons pas tant que l’agenda de ce jour ne sera pas complété. »

Et le voilà qu’il accéléra le pas pour aller plus vite. Ses camarades furent bien obligés de le suivre. Un clan ne se divisait jamais. Corpus eut beau crié sa souffrance, il ne reçut que de l’indifférence. Plus personne ne regardait Intui la réduisant efficacement au silence. Quant à Feeling, son manteau était tellement long qu’elle disparaissait sous les ombrages.

Un matin arriva ce qui devait arriver… Les briques qu’Action avait construites de ses mains abîmées s’effritèrent et un premier bâtiment s’écroula. Une fois n’est pas coutume, Thinking resta pétrifié devant cet échec flagrant et remit en question toutes ses compétences. Enfin, Thinking reprit le dessus :

« Nous vérifierons tout deux fois plutôt qu’une », décida-t-il, « comme ça plus aucun défaut ne pourra passer. Nous dormirons moins, nous réveillerons la nuit et affronterons les difficultés qui se présentent à nous. Il suffit de le vouloir et de se donner à fond. Nous ne sommes pas comme tous ces clans qui prétendent être en burnout. Courage mes amis ! Encore une montagne à traverser et nous bénéficierons d’une semaine de repos bien méritée ».

Thinking motiva une nouvelle fois son clan à avancer. Du coin de l’œil, il constata qu’Action s’empiffrait de tout ce qui lui passait sous la main : sucres, graisses, médicaments, caféine, alcools, tabac. « A ce rythme, il va prendre du poids » songea Thinking « Heureusement, bientôt, nous aurons des vacances, pourrons nous allonger et tout rentrera dans l’ordre. »

Enfin, le clan atteignit sa destination. « Ouf » songea Thinking « Je commence à ne plus rien retenir et ma vision est floue ». Corpus ne prit même pas la peine d’enlever son sac à dos, il s’écroula sur la terre et s’endormit aussitôt. Thinking resta alerte… Ses amis avaient une semaine pour se reprendre en main. Après quoi, ils devraient recommencer. Thinking avait-il réussi à clôturer toutes les demandes avant le congé ? Peut-être pourrait-il profiter de ce repos pour contacter des amis ? Ou réparer leurs vêtements ? Ou tenter d’éliminer les tâches qui s’accumulaient sur sa liste d’attente, cette liste qui s’allongeait de jour en jour ?

 La semaine s’écoula et deux jours avant de recommencer, Feeling se sentit mal. Elle avait peur. Et si tout recommençait comme avant ? Et si le clan était débordé ? Qu’allaient-ils pouvoir faire ? Elle était si agitée que Thinking ne parvenait pas à réfléchir calmement. Thinking se mit à marcher en rond pour se calmer, réveillant au passage Corpus qui n’était pas du tout reposé. Malheureusement, la semaine était écoulée. Puisant dans un ultime réservoir d’énergie, Thinking mobilisa son clan pour aller de l’avant. Ils avaient du retard à rattraper. Corpus ne put se relever tout à fait mais parvint à avancer en claudiquant tandis que Feeling ayant remis sa cape, s’enfonçait de nouveau dans un silence effrayant et qu’Action procrastinait pour éviter d’en faire trop.

Combien de temps, peut-on continuer à avancer lorsque nos pieds percés saignent à chaque pas ? Combien de temps peut-on soutenir un monde sur ses épaules ? Il faut être un Dieu pour y arriver ou au moins un demi-dieu… Et si notre clan comportait cinq personnes, ils n’étaient au final que des êtres humains. Une nuit, alors que Thinking courrait dans le noir, que Feeling était sur le point d’exploser, qu’Action s’éparpillait, Corpus lâcha. Il s’écroula, tête la première dans une flaque qui parsemait le sentier. Cet évènement marqua Intui au plus profond de son être. Et comme un clan ne se séparait pas, Thinking, Feeling et Action furent bien obligé de s’arrêter pour aider Corpus à se relever. Pourtant, ils eurent beau tirer, pousser, soulever, Corpus resta désespérément inerte. Il n’en fallut pas plus pour que Feeling craque à son tour.

Thinking envoya Action consulter un clan guérisseur pour avoir enfin une explication logique au mal qui frappait Corpus et Feeling. Leur réponse ne se fit pas attendre : « Burnout » « Reposez-vous et mettez-vous à l’écart de ce monde que vous essayez de changer ».

« D’accord », acquiesça Thinking, « Nous allons tout faire pour nous reposer et recommencer dans de bonnes conditions afin de pouvoir reprendre comme avant. Nous irons voir les médecins qu’il faut, nous nous couperons du travail s’il le faut et d’ici, une semaine, nous serons sur pied. »

C’est au prix d’un énorme effort de volonté que Thinking arrive à déplacer ses amis et à les amener dans un monde isolé. Là où le travail ne viendrait pas les embêter songea-t-il. Pour être sûr que les autres clans puissent se passer du leur, Thinking avec l’aide d’Action et de Corpus leur écrivit en détails ce qui devait être fait pour les remplacer le temps d’une semaine. Cela fait, il coupa l’accès et se retrouva seul avec son clan ainsi que quelques autres clans dont ils étaient proches, leurs familles par exemple.

Cette première semaine, Corpus essaya de dormir, mais ce n’était pas si simple. Au milieu de la nuit, il était réveillé par Thinking qui tournait en rond dans la chambre qui était la leur.

« Si ce monde ne nous convient plus, nous allons régler le problème et reprendre notre chemin. Là-bas ou ailleurs, peu importe mais nous redémarrerons. »

« Silence » murmurait Corpus faiblement.

Toutefois, Thinking ne parvenait plus à s’arrêter. « Vite ! Vite ! », murmurait-il comme un mantra. « Peu importe que je n’arrive plus à me concentrer ou à me rappeler des informations de bases, nous nous rétablirons rapidement ».

Quand enfin par bonheur, Thinking ralentissait un peu la cadence, Corpus espérait pouvoir bénéficier d’un repos bien mérité. Cependant, c’était sans compter sur Feeling qui semblait devenir incontrôlable. Elle hurlait sa frayeur devant la moindre contrariété. Elle explosait de rage à chaque geste des autres clans. Elle avait perdu toute joie et déversait un énorme torrent de larmes. C’est qu’elle en avait accumulé des émotions durant tous ces mois où on l’avait empêché de s’exprimer. Si bien qu’entre la volonté d’en finir au plus vite de Thinking, l’arrêt total de Corpus, l’inconstance de Feeling et le silence d’Intui, Action ne savait plus que faire. Une semaine passa et Corpus sembla être encore plus mal en point. Une semaine passa et Feeling ne pouvait être que paralysée par la peur. Comment allait-il pouvoir suivre le rythme de Thinking dans cet état ? Rien que le mot travail suffisait à la faire frissonner d’angoisse.

La décision tomba heurtant Thinking de plein fouet et soulageant Corpus. Le clan devra se reposer un mois de plus. « Que nous nous reposions ? » songea Thinking « Nous ne pouvons pas abandonner les autres clans ? Nous devons être là pour eux… Comment annoncer cet arrêt à ma famille ? Que vont-ils penser de moi ? Ce n’est pas comme si Corpus allait mal… Il n’a ni de bras cassé, ni de paralysie totale… Comment expliquer cet arrêt ? Ils vont croire que je suis paresseux… Que c’est une excuse… D’ailleurs, c’est peut-être le cas… Peut-être ne suis-je pas assez compétent pour la tâche que je devais réaliser… Peut-être sommes-nous un clan minable ? ». Feeling se sentit honteuse et coupable de ne pas être là pour aider.

Et puis, il y avait les autres clans, certains bien intentionnés, d’autres moins bien. Il y a ceux qui ne leur adressèrent plus la parole et Thinking pensa « Après tout ce qu’on a fait pour eux, ils ne prennent même pas le temps de prendre de nos nouvelles ! ». Thinking ne savait pas qu’on avait conseillé à ces clans de ne pas leur parler pour les laisser se reposer en paix. Cependant, ses pensées résonnèrent chez Feeling qui se sentit outragée, révoltée, perdue, seule… A l’inverse, il y a ceux qui prirent le temps de parler avec Thinking et son clan. Alors, le déluge des questions tant redoutées commença :

– « Qu’avez-vous fait cette journée ? »

« Que répondre ? » Songea Thinking. « Nous n’avons rien fait ! Mais n’aurions-nous pas l’air idiots si je le dis ? Comme ce clan a travaillé toute la journée, nous devons au moins montrer que nous sommes aussi forts que les autres » Alors, certains jours Thinking exhorta Action et Corpus à dépenser le peu d’énergie qui restait pour faire comme si, comme s’ils étaient encore forts, encore puissants, encore debout. A d’autres moment, Thinking mentit, enjolivant leur journée pour faire croire qu’elle était plus remplie qu’elle ne l’était en réalité.

« Quand recommencerez-vous à travailler ? »

« Travailler ! Travailler ! » hurla Feeling incapable de supporter l’angoisse qui lui nouait les entrailles. « Que vont-ils penser de nous si nous annonçons que nous avons encore 1 mois d’arrêt ? » songea Thinking « Nous devrions déjà être remis sur pied. Nous sommes des profiteurs, paresseux, incapables d’aller de l’avant. Comment faire autrement quand Corpus est à peine capable de marcher ? »

« Vous devriez vous reposer… »

« Nous reposer ! » se fâcha Thinking. « Nous ne faisons que ça depuis 3 mois et Corpus ne va toujours pas mieux ! Ce dont j’ai besoin, c’est quelque chose qui nous permettra rapidement de retourner travailler et de reprendre le rythme que nous avions avant ! » 

« Non », proteste Corpus, « je ne serai pas capable de courir comme avant. C’était trop ! »

« J’ai envie de vomir », gémit Feeling en pensant au travail

« Peut-être faire une activité qui vous fait du bien… »

Thinking aurait dû s’arrêter un instant pour analyser cette idée, mais dans sa lancée, il tournait toujours en rond, de plus en plus rapidement. Qu’est-ce qui me fait du bien ? Qu’est-ce qui me fait du bien ? Avec Corpus et l’argent qui nous manque, comment faire une activité qui me fait du bien ?

Un beau jour, pourtant, alors que Thinking désespérait de pouvoir recommencer, un clan s’arrêta et leur dit :

« Tu prends le problème à l’envers Thinking. Tu ne dois pas réfléchir. Tu ne dois pas vouloir suivre la vitesse de ta pensée. Tu ne dois pas vouloir revenir comme avant, car ce ne sera pas possible. L’expérience t’a montré que tes compagnons ne peuvent te suivre là où tu souhaites aller. »

« Cela veut-il dire que nous devons tout abandonner ? », se fâcha Thinking, « Devenir comme tous ces autres qui baissent la tête et se résignent à travailler juste pour gagner de l’argent ? Abandonner le travail bien fait ? Devenir égoïste ? Ne nous préoccuper que de nous ? Nous ne sommes pas comme ça. »

– « Comme entre le noir et le blanc, il existe une infinité de gris, il y a une différence entre se résigner et entendre ses limites ; entre être égoïste et dire non et il y a un équilibre à trouver en toutes choses. »

« Je ne comprends pas… » soupira Thinking

« Alors, écoute ceux qui sont là pour te soutenir. Retire-toi et écoute ce que Corpus et Feeling essaie de te dire. As-tu été à leur côté lorsqu’ils ont crié leur souffrance ? Les as-tu aidés ? Si tu peux négliger les membres de ton propre clan, comment peux-tu affirmer vouloir aider les autres ? Laisse de la place à chaque partie du clan. Il y a un équilibre à trouver entre les membres d’une équipe. Et surtout, reconnecte-toi avec ce qu’Intui essaie de te dire depuis le début. »

Cette rencontre laissa, Thinking songeur. Il pensa… pensa… pensa… jusqu’au moment où comme frappé d’une illumination, il se rendit compte qu’il avait voulu aller trop vite, trop loin sans écouter ses compagnons de route. Alors, il s’arrêta un long moment à côté de Corpus essayant de ressentir ce que ce dernier voulait lui dire, essayant de trouver un terrain d’entente avec ce dernier. Ce n’était pas facile, Thinking voulait toujours faire plus. Petit-à-petit, après des réussites et des échecs, ils finirent par trouver un accord.

Ensuite, Thinking se pencha sur Feeling pour tenter de la comprendre. Elle semblait toujours agir sans raison apparente, comme si elle voulait l’ennuyer. Après, un long travail, Thinking commença pourtant à percevoir ce que Feeling essayait de lui expliquer. Elle réagissait d’une certaine manière dans certaines situations bien spécifiques, en décortiquant les liens entre les différents évènements, en laissant s’écouler les émotions qui se déversaient de la bouche de Feeling trop longtemps restée fermée, Thinking put peu à peu écouter Feeling et y glaner de précieuses informations.

Enfin, Thinking chercha à retrouver Intui qui semblait avoir disparu. Elle ne devait pas être loin, car un clan ne pouvait pas se séparer. Toutefois, dans sa quête de perfection face à un monde qui n’était pas pour eux, Thinking semblait avoir perdu de vue l’essentiel. Il lui fallait maintenant retrouver ou recréer ce qui donnait à leur clan un sens. Il lui fallait réapprendre à décoder les signes qu’Intui lui envoyait, car après tant d’années à ne plus écouter, il ne savait plus comment faire.

Thinking passa donc des mois et des mois à se calmer, à se poser suffisamment pour laisser de la place à chacun, pour installer un équilibre là où il n’existait pas auparavant. Je ne peux vous raconter ce qui fut décidé entre Thinking, Feeling, Corpus, Action et Intui. Cette histoire ne les concerne qu’eux. Je sais seulement que ce ne fut pas facile. Encore maintenant, Thinking veut parfois aller plus vite et reste frustré des limites de Corpus ; Feeling devient incontrôlable ; il est toujours difficile de comprendre Intui et Action se retrouve parfois écartelé entre les différentes exigences. Toutefois, les cinq membres du clan le savent : un clan ne se divise jamais et il faut bien trouver un accord pour que chacun y vive au mieux.

Il me reste encore à vous raconter une dernière étape de cette histoire. Un beau matin, alors que Thinking n’y croyait plus, Corpus se leva d’un pas chancelant et déclara être prêt à recommencer. Thinking fut tenté de partir en courant, mais pris garde aux avertissements et lorsque Corpus lui dit de s’arrêter, il ravala sa frustration et s’adapta au rythme de Corpus. Lorsque Corpus lui dit : « J’ai mal », Thinking écoutait, car ignorer ce signal, c’était risqué de s’arrêter à nouveau pour une éternité. Or, Thinking ne souhaitait pas replonger.

Ainsi démarra une autre histoire, celle de la reprise et celle de la recherche de l’équilibre malgré les pressions extérieures, malgré des mondes dangereux, repoussant ou hostile. Petit à petit, Thinking reprit confiance en leurs compétences, réorganisa leur vie. Toutefois, leur clan ne redevint jamais ce qu’il était avant. Il évolua, se transforma en un nouveau clan… Quel clan ? Seul le futur pourra nous le dire.


Cette histoire raconte de manière imagée les principales questions qui peuvent surgir dans un burnout. Chaque personne est pourtant unique. Chaque entreprise a également ses spécificités. Les parcours de vie peuvent donc être adaptés. Afin de garder une cohérence dans l’histoire, seuls les points les plus fréquemment rencontrés ont pu être abordés. Le burnout est une souffrance complexe et il est important de l’aborder dans sa complexité.

Pour aller plus loin :

  • Vous pouvez analyser ce conte en transformant les personnages suivants : Thinking (pensée, mental, cognitif), Feeling (émotions, sentiments), Corpus (Corps), Action (Comportements) et Intui (inconscient, nature profonde).
  • Quel pays/entreprise avez-vous traversé et qu’est-ce qui ne vous a pas convenu dans ce pays ? Où se situaient les zones de brouillard ? Comment avez-vous réagi par rapport aux demandes des autres clans ?
  • Comment bâtissons-nous des entreprises qui deviennent « enfer » ? Comment faciliter un maximum la création d’une terre plus accueillante ? Qu’est-ce que les travailleurs viennent chercher dans une entreprise ? Qu'est-ce qu'ils y trouvent ? Qu'est-ce qui leur manque ?
  • Quelle part de vous avez-vous laissée de côté au profil du rythme accéléré, de la perfection et de l’argent ? Quelle part n’avez-vous pas écoutée ? Quelles activités avez-vous abandonnées pour tenir ?
  • Comment trouver un accord entre votre pensée et votre corps ?
  • Qu’elle est les significations de vos émotions ?
  • Avec quel(s) bagage(s) avez-vous évolué dans la société ?
  • Quel message le burnout vous transmet-il ?

Octobre 2020,

Sens et Company

Magali Jemine

Psychologue du travail, coach, formatrice, accompagnatrice de personnes en burnout (groupes de parole, accompagnement individuel), d’entreprises (prévention et retour au travail) et de professionnels de l’accompagnement (formations continuées).

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