“Si” Rudyard Kipling (1909)

Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie 

Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir, 

Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties 

Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d’amour, 

Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre, 

Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour, 

Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d’entendre tes paroles 

Travesties par des gueux pour exciter des sots, 

Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles 

Sans mentir toi-même d’un mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire, 

Si tu peux rester peuple en conseillant les rois, 

Et si tu peux aimer tous tes amis en frère, 

Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaitre, 

Sans jamais devenir sceptique ou destructeur, 

Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître, 

Penser sans n’être qu’un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage, 

Si tu peux être brave et jamais imprudent, 

Si tu sais être bon, si tu sais être sage, 

Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite 

Et recevoir ces deux menteurs d’un même front, 

Si tu peux conserver ton courage et ta tête 

Quand tous les autres les perdront,

Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire 

Seront à tout jamais tes esclaves soumis, 

Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire 

Tu seras un homme, mon fils.

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