Sommes-nous à l’aube d’un nouvel âge d’or ? - Carlota Pérez - #USI2022
Économiste, chercheuse et conférencière britannico-vénézuélienne, Carlota Pérez étudie les enseignements que nous pouvons tirer de l'histoire des révolutions technologiques pour mieux appréhender l’avenir. Elle est l’autrice du classique de l’économie Technological Revolutions and Financial Capital : The Dynamics of Bubbles and Golden Ages (Elgar 2002), un ouvrage qui explore les relations complexes entre technologie, développement économique, finance et institutions.
Il est peu dire que le thème de l’USI « States of shock » est en parfait accord avec les travaux de Carlota Pérez. Pour sa conférence, l’économiste de renom explore les chocs contemporains (guerre, inflation, populisme) à l’aune des révolutions technologiques passées. Alors que nous naviguons par temps de crise, est-il possible d’envisager un âge d’or à l’horizon ? Oui, nous dit Carlota Pérez, à condition de s’y atteler dès maintenant.
Un schéma historique qui se répète…
Pour introduire son propos, Carlota Pérez rappelle que notre civilisation a connu cinq grandes révolutions technologiques. La toute première, celle de la révolution industrielle débute en 1771 au Royaume-Uni, avec le développement des usines, des machines et du transport maritime. Puis vient l’âge de la vapeur, du charbon, et du transport ferroviaire à partir de 1829. La troisième révolution, l’âge de l’acier, court de 1875 à 1908, avant de laisser place à l’âge de l’automobile, du pétrole et de la production de masse. Nous sommes, comme le rappelle Carlota Pérez, en pleine cinquième révolution, celle de la technologie de l’information, une révolution entamée en 1971, soit depuis plus de 50 ans déjà.
Chaque révolution implique une nouvelle infrastructure, des nouvelles technologies et de nouvelles opportunités. Il ne s’agit pour autant pas d’un processus fluide : des bulles et des crises essaiment chaque transition entre les différentes périodes historiques. Carlota Pérez remarque pourtant une constante dans chaque période, à savoir la succession d’une période d’installation, d’un point d’inflexion puis d’une période de déploiement.
Pour chaque révolution, ces trois phases se succèdent. Carlota Pérez propose de faire un saut dans le temps en prenant pour exemple l’âge de l’automobile. C’est un âge qui a connu une première étape d’installation dans les années 20 (ou « années folles »), puis un point d’inflexion depuis la crise de 1929 jusqu’à la fin de la guerre en 1945, et enfin un âge d’or avec l’ère des Trente Glorieuses. En reprenant ce schéma, l’économiste fait l’estimation suivante :
« Nous sommes actuellement au point d’inflexion de la cinquième révolution technologique, à l’aube potentielle d’un nouvel âge d’or. »
Une succession de périodes bien définies
Carlota Pérez rappelle chaque spécificité des trois périodes distinctes au sein des différentes révolutions. La période d’installation, d’abord, se caractérise par la sortie d’une partie de la population de la pauvreté : les industriels, la classe moyenne, les travailleurs qualifiés et enfin les travailleurs non qualifiés.
La période du point d’inflexion revêt quant à elle un cocktail explosif : des inégalités rampantes, un secteur financier en mode « casino », l’émergence de monopoles économiques, la généralisation de la xénophobie et l’installation de populistes messianiques au pouvoir. Au même titre que lors des années 30, nous sommes actuellement dans cette période, annonce Carlota Pérez.
L’économiste l’affirme : si notre âge d’or est si lent à arriver, c’est que des facteurs bien précis l’empêchent d’advenir. D’abord parce que contrairement aux autres révolutions, la technologie de l’information est beaucoup plus diffuse et massive que lors des révolutions précédentes. Carlota Pérez souligne également des facteurs d’ordre géopolitique. La Chine a rallongé l’ère de la production de masse alors qu’en temps normal, chaque révolution chasse la précédente. Enfin, selon Carlota Pérez, la finance est devenue un pouvoir séparé déconnecté des gouvernements en place. L’économiste ne mâche pas ses mots en la matière :
« Le monde de la finance est devenu un casino géant découplé de l’économie réelle, qui empêche le financement de la révolution verte. »
Un nouvel âge d’or est possible
Pour autant, Carlota Pérez ne jette pas le bébé avec l’eau du bain. Selon elle, un nouvel âge d’or est à l’horizon et il n’est pas inaccessible. En revanche, nous dit-elle, nous avons besoin d’une direction claire, et cette direction devrait être celle de la révolution verte. Or, ce n’est pas tout à fait le chemin que nos sociétés modernes ont emprunté, comme elle l’observe non sans ardeur :
« Nous nous dirigeons bille en tête vers les NFT, le métavers et les cryptos alors même que nous avons besoin d’investissements massifs dans l’agriculture, l’éducation, la santé et l’énergie. »
Pour faire advenir ce nouvel âge d’or, Carlota Pérez appelle donc de ses vœux une révolution socio-institutionnelle, afin de réorienter l’économie vers une combinaison de « smart » et de « green », une révolution qui allie technologie et écologie. L’économiste en est persuadée : « Nos modes de vie ne changeront pas sous la contrainte et la peur, mais par aspiration. »
Selon elle, cette révolution verte doit être mondiale et juste. La bonne nouvelle, nous dit-elle, c’est qu’elle pourrait être portée par l’Europe. Tout d’abord parce que l’Europe joue un rôle de médiateur sur l'échiquier politique mondial. Ensuite parce que ce nouvel âge d’or exigera une innovation en matière de gouvernance, domaine au sein duquel l’Europe excelle. Et enfin car l’Europe est à l’avant-garde de l’innovation sociale depuis la fin du XIXe siècle. En somme, l’Europe a toutes les cartes en main pour devenir l’éclaireur du nouvel âge d’or à venir.
Ce qu'il faut retenir :
- La sortie de crise ne réside pas dans un retour à la normale, mais dans la redéfinition d’un futur souhaitable.
- Nous devons comprendre les leçons des quatre révolutions technologiques passées pour comprendre celle que nous sommes en train de vivre.
- La succession de crises que nous vivons est un schéma historique qui se répète.
- L’Europe doit prendre le rôle de leader afin de nous faire rentrer dans le cinquième âge d’or de l’Humanité.