Sous-utilisation des fonds européens en France, notre opinion au regard du rapport sénatorial
Le Sénat a publié le 25 Septembre 2019 un rapport sur la sous-utilisation chronique des fonds européens en France, proposant « une mobilisation plus ambitieuse des fonds européens au service des territoires ». Nous avons accueilli très positivement cette initiative qui doit être considérée comme un point de départ. Il reste une année pour résoudre les dysfonctionnements et travailler à la transformation des programmes.
Un bref rappel du contexte
Mise en place en 1987, la politique de cohésion de l’Union européenne vise à réduire les disparités entre les territoires des Etats membres. Cette politique est mise en œuvre par les fonds européens structurels et d’investissement (FESI) qui incluent : le Fonds européen de développement régional (FEDER), le Fonds social européen (FSE), créé en 1957, le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). 454 milliards d’euros ont été attribués aux FESI pour la programmation du budget 2014-2020, la France bénéficiant d’une enveloppe de 27,8 milliards d’euros.
Notre constat sur la sous-utilisation des fonds en France
L'état d'avancement 2019 pour la France affiche un taux de programmation au 30/06/2019 de 65% correspondant à plus de 200.000 projets. Il restait donc 18 mois pour atteindre le taux de 100%. Attention, ces chiffres reflètent les engagements et non les paiements... encore en dessous des 50%...
Comment expliquer cette situation ? En 2014, l'Etat met en place une politique de décentralisation et confie la gestion d’une grande partie des FESI aux régions (FEDER, FEADER, 35% du FSE). Cette même année, l’adoption tardive des programmes opérationnels par la Commission européenne et la réforme territoriale faisant passer le nombre de régions de 22 à 13 ralentissent également la mise en place des programmes de financements. Les fonds européens relevant d’un système d’attribution parfois complexe, ils nécessitent un bonne formation des gestionnaires et c'est là, que le bât blesse. En effet, le transfert du personnel de l'état aux Régions pour assurer un bon démarrage n'a pas été effectif et les Régions ont du organiser des équipes qui n'avaient pas la compétence. Les personnels ont subi un turn-over très important pendant toute la programmation, laissant à la fois les porteurs de projets dans l'inconnu et le non suivi de leurs dossiers et démotivant certainement les équipes en charge.
Par ailleurs, les guichets d'entrée ont été peu lisibles par les porteurs de projets. Pour le FEDER, par exemple, chaque Région s'est organisée différemment pour loger la gestion du fonds dans son organigramme, direction dédiée ou référents affectés dans les directions sectorielles, trouver le bon interlocuteur est devenu alors le parcours du combattant. De même, le FSE, partagé entre les Direccte et les Régions, a généré un flou sur les compétences état-région et certaines mesures de financement ont été mal attribuées, rendant alors impossible la compréhension du système.
Les propositions du Sénat pour 2021-2027
Le Rapport fait état de perspectives d’améliorations pour un meilleur accès aux fonds et une facilitation des procédures administratives. Les propositions portent notamment sur :
- la clarification de la zone de partage entre l’état et les régions ;
- une plus grande participation de tous les niveaux de collectivités dans la gouvernance des programmes opérationnels pour tenir compte des spécificités des territoires, en encourageant la formation et la mutualisation de l’expertise entre différentes collectivités ;
- la simplification et la valorisation de la politique régionale auprès des citoyens de l’UE
Nous préconisons des mesures concrètes à tous les niveaux
- Mettre en place un système unique de saisie et de traçabilité des crédits pour tous les gestionnaires état, région ou organisme intermédiaire, permettant ainsi une consolidation des données et une visibilité en temps réel.
- Imposer la simplification des dossiers de demande, en particulier pour le FSE qui décourage même les meilleures volontés, tant la complexité budgétaire et des indicateurs rendent quasi impossibles la bonne réalisation des projets. L'utilisation des taux forfaitaires devrait être généralisée et revue pour permettre une éligibilité des dépenses au plus proche du réel.
- Redonner du sens au Contrôle. Au lieu de porter sur la vérification des plus petites pièces comptables et financières, s'attacher aux résultats paraît aujourd'hui fondamental. Les audits et contrôles sont parfois vécus comme des chasses aux sorcières, remettant en question le moindre coût (on a connu le contrôle de tickets de métro qui finalement n'ont pas été acceptés...!!) ou imposant une traçabilité telle que le temps de travail dédié à ces questions dépasse le temps dédié à la réalisation des actions...
- Former les gestionnaires et revaloriser leur fonction. Les instructeurs sont au départ des partenaires des projets et des bénéficiaires. C'est ensemble que la programmation peut réussir. Et pourtant, c'est loin d'être le cas. La méconnaissance des programmes, de leurs règles et surtout de leurs usages, la complexité de l'expertise sur les aides d'état, freinent les instructeurs dans leur élan. Par peur, ils bloquent les dossiers et les budgets car ils sont eux-mêmes sur-contrôlés..
- Mettre en place un dispositif dédié aux avances de fonds. En effet, les délais de paiement sont tels que les fonds ne deviennent accessibles qu'aux organisations disposant de la trésorerie suffisante. Comment imaginer soutenir des projets innovants ou émergents si la mécanique n'est pas adaptée ? Ces programmes ne doivent pas uniquement soutenir les grosses opérations, cela les éloignerait de leur fondement qui vise à soutenir la cohésion du territoire et donc de tous ses acteurs. Sans facilité de ce type, les petites et moyennes organisations ne pourront plus accéder aux fonds..
La France est-elle prête pour transformer ?
Les premières pistes proposées devraient pouvoir faire l'objet d'un plan d'action et d'une feuille de route afin de préparer au mieux la prochaine programmation. Mais les concertations lancées actuellement au plan national et dans les Régions ne donnent aucune piste là-dessus. Les responsables en ont-ils seulement conscience ? Ont-ils une connaissance suffisamment fine des réalités du terrain pour mettre en place ces mesures correctives ? En 2017, on annonçait en France un après-2020 entouré de "plus de rigueur". On est donc encore loin d'imaginer une autre façon de faire, même si le Ministre Mézard reconnaissait alors que "Cette politique ne pourra pas rester inchangée”, et qu'elle “doit être renouvelée pour être plus simple et plus efficace dans un périmètre resserré".
Liens
Bilan du transfert aux régions de la gestion des FESI - 2015
Concertation nationale pour le FSE+ 2021-2027
Cohesion Data room - Chiffres France
L'Europe s'engage en France, site national d'information sur les FESI
conduite de projets culturels et artistiques et de formation spécialisée
5 ansPour avoir largement pratiquer les financements européens, deux constats s'imposent, que le rapport relève même si la formulation pourrait être en plus directe: la France ne s'est jamais dotée des ressources humaines indispensables pour accompagner les porteurs de projets, contrairement aux autres pays européens, et les délais de paiement sont trop longs à toutes les phases d'un projet, du fait de l'absence de moyens humains formés et en nombre suffisant. Donc ceci devrait être un objectif prioritaire.
Psychologue psychothérapeute
5 ansAh les fonds européens... Les analyses les plus abouties restent encore celles de l'UPR. La France est est un contributeur net. Cqfd.
Directeur général finances et commande publique chez Bordeaux Métropole
5 ansLe constat est bien résumé. Il manque un regard chez nos voisins qui consomment plus : sont ils moins morcelés dans l'attribution ? Moins redondants dans les contrôles ?
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5 ansC'est tellement vrai !
Chargée de projets Chaire Attractivité & Nouveau Marketing Territorial - IMPGT
5 ansDésolé de dire cela mais je suis complètement d accord sur l opacité du système, la lourdeur administrative et des services contrôles faits ou l on passe le plus clair de son temps a produire des justificatifs alors que les actions ont été réalisées dans les règles... résultat : des paiements qui ne s opèrent pas ou qui subissent une proratisation à excès, des conventions qui n arrivent pas alors que le dossier a été validé en commission, des structures qui au final, mettent la clef sous la porte !