Stoïcisme et changement climatique
J'ai le plaisir de contribuer au nouveau magazine the STOIC, journal de langue anglaise sur le stoïcisme dans la vie moderne. Abonnez-vous, c'est gratuit! Voici la traduction française de mon premier article.
Un ami m’a demandé récemment : « Que disent les stoïciens à propos du changement climatique ? » La question aurait semblé incongrue à des stoïciens comme Sénèque ou Epictète, mais aujourd’hui, le pouvoir de l’homme sur la nature est tel, qu’elle est plus que d’actualité.
« Parmi les choses qui existent, les unes dépendent de nous, les autres ne dépendent pas de nous. Dépendent de nous : jugement de valeur, impulsion à agir, désir, aversion, en un mot, tout ce qui est notre affaire à nous. Ne dépendent pas de nous, le corps, nos possessions, les opinions que les autres ont de nous, les magistratures, en un mot, tout ce qui n’est pas notre affaire à nous» (1).
Selon Epictète, donc, le changement climatique ne dépend pas de moi. C’est sûr, je n’en suis pas responsable à titre personnel. Mais je sais aussi que mon mode de vie européen contribue au phénomène. Donc aujourd’hui, je dirais que je suis responsable, dans la mesure où il est de mon pouvoir de faire quelques chose. Mais quoi ?
Il y a de plus grands pollueurs que moi. Mais les plus grands pollueurs doivent-ils faire les plus grands efforts ? La question est pertinente, mais dans l’affirmative, elle nous laisse tous, en tant que citoyens, un peu désarmés, avec pour seule solution de transférer la responsabilité à d’autres.
Une suggestion plus utile nous vient encore d’Epictète :
« Dis-toi quel genre d’homme tu veux être, et ensuite agis en cohérence. » (2)
Ai-je envie d’être une citoyenne responsable qui contribue à un monde plus sain et écologique ? Oui. Alors, qu’est-ce qui est en mon pouvoir ?
Ce qui est en mon pouvoir, c’est de me poser les bonnes questions.
Prenons mes déplacements. J’ai calculé que mes voyages en avion représentaient sur un an presque 50% de mes émissions de gaz à effet de serre. Alors le 1e janvier 2018, j’ai pris la résolution de reconsidérer chaque déplacement à la lumière de trois questions :
- Est-ce que je peux ne pas faire ce voyage ?
- Est-ce que je peux voyager différemment, avec une empreinte carbone plus légère ?
- Qu’est-ce que je peux faire pour les vols que je décide quand même de prendre ?
Pour être honnête, je pourrais moins voyager. La plupart sont des voyages de loisirs ; je les apprécie mais ils ne sont pas essentiels. Mais suis-je prête à y renoncer ?
Puis-je voyager différemment ? En Europe, oui. Un aller Paris-Rome prendrait toute une journée en train. Il me faudrait juste reconsidérer l’idée que voyager vite est nécessairement une bonne chose. Epictète encore :
« Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas choses, mais les jugements qu’ils portent sur les choses. » (3)
Nous vivons dans une culture où « gagner du temps » a de la valeur. Et si c’était la lenteur qui était valorisée ? Se sentir partir, transformer l’ennui en contemplation, prendre ce temps de voyage pour lire et écrire ? C’est décidé : en Europe, je voyagerai en train.
Et quid des vols que je décide quand même de prendre ? Il n’y a pas encore de compagnies aériennes ‘vertes’, mais je peux compenser mes émissions : financer une ONG qui replante la quantité d’arbres nécessaires à l’absorption des émissions liées à mon vol, ou qui finance des projets de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Quand un client m'a demandé de faire un déplacement en avion, je lui ai dit que je préférais prendre le train si possible et sinon, qu'il finance sa compensation carbone. Il a trouvé l'idée excellente, et m'a dit que c'est ce qu'il devrait faire avec ses propres vols professionnels, puisque son entreprise dit être engagée sur les sujets environnementaux... la graine est plantée. Affaire à suivre.
Changer d’habitudes a un coût - qu’il soit financier ou pas.
La dernière question est donc : « suis-je prête à vivre en accord avec ce en quoi je crois? » Cela commence par de petits pas, des buts atteignables.
Alors j’ai répondu à mon ami : « Nous avons beaucoup plus de pouvoir que ce que nous croyons. » Un stoïcien aurait certainement pu répondre cela.
(1) Epictète, Manuel - 1
(2) Epictète, Entretiens, livre 2 - chapitre 23
(3) Epictète, Manuel - 5
Directeur/Chef de projets, Expert processus métier (BPM), Expert IA, Conduite du changement, Formateur.
5 ansL'image : Iceberg qui a fait couler Titanic ? Non ? Je plaisante. J'adore Sénèque et cet article est très intéressant. A lire.
Géographe Urbaniste - Responsable Développement et Communication - Associée ALTO STEP - Adaptation des territoires au changement climatique - 325 ppm
5 ansMerci !
"Quand tu auras cessé d'espérer, je t'apprendrai à vouloir" Sénèque
5 ansNous sommes responsables de nos actes dont celui de polluer ou pas. Et nous sommes tout aussi responsable de nos émissions de CO2. Je ne vois pas comment il est possible de prendre l'avion pour partir en vacances et se considérer comme non-acteur du dérèglement climatique? Comment peut-on regretter la disparition des abeilles et ne pas acheter de produits bio? Nous sommes trop enclin à reporter sur l'autre le problème et c'est justement cela qui nous perd. Cette capacité à exploiter notre intellect pour nous justifier en lieu et place de penser nos actes. Il est aussi inquiétant de constater la méconnaissance de ces sujets. Parler de "réchauffement" climatique, non anxiogène, au lieu de réchauffement global entraînant un dérèglement climatique, plus alarmant procède de cette évacuation d'un problème physique par un jeu de mots. Préférez écouter un marchand de doute incompétent plutôt que de laisser un place plus grande aux scientifiques. Adorer les prophètes de la Sainte Croissance, écoutez des gens de pouvoir parler de leur impuissance tout en conservant le pouvoir, pauvre victime du "Marché". Croire plutôt que voir... Aimer les chemins d'ignorance, adorer regarder le détail qui semble positif localement et négliger l'étude global qui dit exactement le contraire, en particulier sur la biodiversité. N'est-ce pas Platon et la caverne que nous vivons à une échelle telle que c'est, au pire, l'espèce humaine qui est condamnée, au mieux notre civilisation thermo-industrielle?