Structurer les entretiens ou pas ?
Le coût d'un recrutement varie sensiblement selon le type de poste et du profil mais peut se chiffrer facilement en centaines de milliers de dirham pour un membre de direction. Pour faire en sorte qu'il soit réussi, énormément de techniques et d'outils plus sophistiqués les uns que les autres ont vu le jour pour assister les entreprises dans un exercice où le droit à l'erreur est très faible (les tests techniques, d'aptitude, de QI, de personnalité, les jeux, les jobdating, les chatbots, les ATS, l'inbound recruting ...).
Néanmoins, l'entretien d'embauche reste une composante essentielle du processus et qui est toujours utilisée lors de la sélection des talents.
L'entretien peut se définir comme : "Une interaction limitée dans le temps entre un ou plusieurs interviewers et un chercheur d'emploi dans le but d'y identifier les connaissances, les compétences, les aptitudes et les comportements qui peuvent prédire sa réussite dans le futur poste". (Wiesner & Cronshaw)
Cette réussite pouvant se traduire ultérieurement par une bonne évaluation de sa performance, par de l'apprentissage continu, de l'évolution et une tenue convenable en poste.
Les différentes études démontrent que l'évaluation en entretien, malgré sa place privilégiée comme outil de sélection des candidats, n'affiche pas une forte corrélation avec la performance future des candidats, et ceci est encore plus significatif quand l'entretien est du type "non structuré". Et en plus de ce manque de validité prédictive des entretiens peu structurés, il est démontré qu'ils sont encore plus discriminatoires lorsqu'il s'agit de candidats en situation d'handicap, d’obésité ou de grossesse.
Partant de ce constat, et étant donné que les entretiens ont encore de beaux jours devant eux (ce qui est une bonne chose pour préserver le côté humain du processus), comment faire en sorte alors d'utiliser l'entretien d'embauche de sorte à maximiser sa corrélation avec la performance future du candidat ?
David PALMER et James CAMPION (dont l'extrait de l'article est dispo sur Google) ont présenté que le rajout de structure dans les entretiens d'embauche peut significativement améliorer cette validité prédictive. La structuration ayant été définie comme : "Toute amélioration de l'entretien visant à augmenter ses propriétés psychométriques en augmentant la standardisation ou en assistant l'interviewer dans la détermination des questions à poser et comment évaluer les réponses".
Une étude faite sur une centaine de candidats passés en entretien non structuré chez un panel d'interviewers, puis classés selon l'appréciation de chacun. Le 1er pour un interviewer s'est retrouvé 57ème chez l'un, et 23ème chez un autre etc.
Au delà de l'impact de la structuration dans la réduction des biais cognitifs qui peuvent produire une évaluation subjective et une discrimination sur des aspects physiques ou autres, plusieurs études ont démontré l'amélioration de la corrélation entre évaluation en entretien et performance future du double jusqu'au triple à travers la structuration des entretiens. La démarche utilisée est simple, on évalue le type d'entretien, on note l'évaluation faite en entretien, et on revérifie la performance du candidat un an après son démarrage en poste. Quand un candidat était évalué très bon lors d'un l'entretien structuré, il avait plus de chance d'être excellent en poste aussi.
J. Campion a présenté 15 moyens pour structurer les entretiens :
- Questions en lien avec l'analyse du poste;
- Poser à tous les candidats les mêmes questions dans le même ordre;
- Ne pas souffler les réponses ou aider les candidats à terminer leur réponses;
- Enchaîner les questions;
- Le type de question doit être situationnel, comportemental ou orienté vers les connaissances du métier;
- Avoir un nombre important de questions;
- Procéder à la vérification des informations (formulaires, tests, CV etc.);
- Préparer une grille d'évaluation pour chaque question posée;
- L'utilisation d'un 'BARS' : Behaviorally Anchored Rating Scales (un système qui permet d'évaluer le comportement souhaité lors de situations critiques ayant conduit à la définition d'un référentiel du comportement);
- Prendre des notes détaillées lors de l'entretien;
- Utiliser plusieurs interviewers;
- Utiliser les mêmes interviewers pour tous les candidats et dans le même ordre;
- Ne pas permettre aux interviewers de discuter les réponses et donc leur évaluation;
- Former de manière intensive les interviewers aux techniques d'entretien;
- Utiliser les statistiques issus des évaluations pour choisir le meilleur candidat;
Il est à noter que la corrélation avec la performance future va de pair avec le niveau de structuration adopté pour les entretiens, à chaque entreprise donc t'intégrer les éléments qu'elle souhaite.
Maintenant, la question c'est de savoir pourquoi malgré toute cette promesse de réussite, les entretiens structurés sont très rarement utilisés en réalité. Des chercheurs (Dipboye, Terpstra & Rozell, Kossek, Bowman) se sont penchés sur la problématique et ont ressorti 5 raisons principales :
- Les pratiquants sont peu informés sur les études académiques qui mettent en évidence les avantages de l'entretien structuré;
- Les besoins internes des interviewers ne sont pas satisfaits correctement lors des entretiens structurés : on y parle de besoin d'autonomie et de pouvoir;
- Les entretiens structurés peuvent réduire l'attractivité des entreprises; les candidats étant plus intéressés lors d'entretiens amicaux où l'intention est portée sur eux de manière chaleureuse et empathique;
- Une incompatibilité avec la culture et la philosophie des organisations qui peuvent rejeter cette pratique;
- Contrainte de coûts et de temps : Les entretiens structurés nécessitent une longue préparation en amont et en aval et coûtent donc plus cher (en coût direct), surtout si les pratiquants ne sont pas complément convaincu de ses apports.
De mon point de vue, il s'agit de trouver un juste milieu et d'incorporer dans la mesure du possible les éléments de structuration qui nous semblent pertinents tout en préservant le côté humain et relationnel de ces rencontres d'échanges (l'intelligence artificielle arrive petit à petit, ne lui cédons pas ce moment aussi rapidement), car au delà de la corrélation démontrée avec la performance future du candidat, la structuration réduit aussi considérablement la discrimination involontaire et permet d'évaluer les candidats dans les mêmes conditions et avec le même scope d'évaluation.
Qu'en pensez vous ?
Au plaisir de vous lire en commentaire :)
Khalid - OKJobs.ma
#recrutement #entretien
Consultant SI finance | M2 finance, MSc Information systems
5 ansParfait ! Je me permets d'ajouter que la ponderation consacrée pour l'entretien structuré varie selon le secteur d'activité, la nature du poste et sa position au sein de l'organisme (un responsable de realtion externe diffère d'un responsable administratif ou financier) et la stratégie de l'entreprise en question . De même de ma point de vue personnelle je pense que l'opération du recrutement n'est pas une affaire seulement de la fonction ressources humain, une communication continue avec les différentes fonctions et managers va mettre l'accent sur les compétences non correctement appréciées et au fil du temps et de l'expérience cumulée, les recuteurs vont développer la capacité de dévoiler les vrai talents et réduire l'aléa moral ex post(après la signature du contrat) et l'existence d'une recettes magiques est une absurdité vue la diversité de situations et la complexité de l'être humain . Et j'aimerais mettre fin à mon intervention par un profond remerciement à Mr khalid pour ses efforts.