Survivre en milieu médiatique hostile
[CHRONIQUE #RCF DU 03 NOVEMBRE 2020]
Difficile de garder le moral en ce moment. Difficile pour tous ceux qui s’informent, qui gardent un œil sur l’actualité du monde de ne pas succomber à l’irrespirable air du temps.
Nous avons connu en un mois un couvre-feu, un attentat, un reconfinement et un nouvel attentat. Aux successions de statistiques sur l’avancée de l’épidémie s’ajoutent ces atrocités commises à Conflans Sainte Honorine, à Nice, et puis ces derniers jours dans la capitale autrichienne... Décidément, les mauvaises nouvelles se ramassent à la pelle. C’est à se demander s’il ne faudrait pas tout simplement arrêter de s’informer pour ne pas dépérir. Se fermer au monde, tel qu’il apparait dans son traitement médiatique en tout cas.
L’information est comme cela : elle impressionne, au sens technique du terme, au sens où elle laisse une trace en exerçant sa pression. Elle influe sur nous.
"Savoir où l'on en est"
Il y a quelques jours, dans son Carnet de Philo sur France Culture (à écouter ici), Géraldine Mosna-Savoye a ressorti cette étonnante citation d’Hegel : « La lecture du journal au petit matin, écrivait le philosophe, est une sorte de prière matinale réaliste. Cela donne la même certitude que la prière pour savoir où l’on en est ».
Savoir où l’on en est... « Une information, rappelle la chroniqueuse, est littéralement ce qui nous informe, ce qui donne à nos esprits une certaine forme. Mais est-ce pour autant ce qui nous détermine ? ». Et elle poursuit : « je veux bien qu’on accuse les médias de tous les mots, dont celui de rabat-joie, mais est-ce à une source extérieure qu’il faut seulement se vouer ? Est-ce à une bonne nouvelle de sonner notre bonheur ? »
Juste distance
J’ose un parallèle : nous avons tous fait l’expérience, enfant, de fixer une ampoule jusqu’à s’en éblouir. Une cause : je fixe intensément la lumière électrique. Une conséquence : je me retrouve avec la vue brouillée. De là deux attitudes : où j’invective l’ampoule et décide de l’éteindre pour ne plus avoir les yeux qui piquent, quitte à plonger la pièce dans le noir définitivement, ou je considère cette ampoule pour ce qu’elle est : un outil éclairant mon environnement. Libre à moi de l’utiliser comme tel, avec une juste distance me permettant de voir sans m’abimer les yeux.
Comprenez-moi bien : il y aurait beaucoup à dire sur le travail à mener pour un journalisme moins anxiogène et plus constructif. Mais il ne faudrait pas que cela occulte les responsabilités individuelles et l’exigence d’éducation aux médias.
Du bon et du beau
Savoir où l’on en est, pour reprendre les mots d’Hegel, exige bien sûr de nourrir sa culture d’actualité, mais aussi de faire un pas de côté histoire de changer de perspective. Alors voilà mon conseil pour survivre en milieu médiatique hostile : s’informer intelligemment et se former généreusement au beau !
Lire les éditos, suivre les reportages, ok. Tendre l’oreille aux débats d’idées, bien sûr ! Mais aussi s’émerveiller d’un ciel flamand, s’abandonner aux suites de Bach, se laisser emporter au bout d’un vers français. Compenser la misère du monde, en somme, par la beauté de la création et le génie humain.
Souvenez-vous du mot de Péguy : « Homère est nouveau ce matin et rien n'est peut-être aussi vieux que le journal d'aujourd'hui. »
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