Tentative de contribution au débat
Deux infos lues ce matin.
1/ « Il faut investir davantage dans la tech »
« On ne met pas assez d’énergie dans la recherche et le développement, il faut investir davantage dans la tech », a par ailleurs indiqué Nicolas de Tavernost, évoquant non sans fierté les 140 collaborateurs du département M6 Web basé à Lyon, qui travaillent sur une plateforme pour le développement OTT et qui s’occuperont du déploiement de l’offre Salto, commune à TF1 et France Télévisions. La filiale travaille également sur la data, l’insertion publicitaire ou l’ultra-personnalisation, « qui va demander beaucoup de moyens, être plus coûteuse, car il faudra produire 120 ou 150 bandes annonces différentes, adaptées à la data récoltée auprès du public ». M6 veut donc continuer les développements tech, « pour ne pas se faire balader par Hulu ou Netflix ».
Le patron du groupe M6 a ainsi comparé le budget tech de Netflix, plus d’un milliard, au sien, 14 millions : « et en plus je pense qu’on les dépense bien ! ».
2/ Des députés de la majorité veulent interdire l’affichage publicitaire digital
Dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’énergie et au climat, des députés LREM proposent d’introduire un nouvel alinéa à un article du Code de l’environnement (L. 581?4) stipulant que «les dispositifs publicitaires numériques sont interdits». «Tandis que la France s’est fixée des objectifs ambitieux de baisse de sa consommation d’énergie, il paraît nécessaire d’interdire ces dispositifs publicitaires, qualifiés comme “superflus”», indique cette proposition de loi introduite par onze députés, dont Frédérique Lardet, qui propose aussi d’autoriser les maires à interdire ces mêmes dispositifs digitaux.
Globalement, ‘’l’irresponsabilité’’ semble bien aujourd’hui avoir changé de camp, la prise de conscience de l’urgence écologique prenant (enfin) le pas sur la marche forcée vers la croissance exponentielle et les lendemains chanteurs du bonheur néolibéral (cf le récent coming-out décroissant de Jean-Michel Apathie).
Ces deux infos du matin sont donc révélatrices du nouveau défi auquel le marché publicitaire va inéluctablement devoir se confronter dans la perspective d’une approche décroissante qui semble maintenant devoir s’imposer à tous.
La digitalisation de la publicité traditionnelle est en cours. Elle se poursuivra certainement.
Les impératifs de l’urgence climatique s’imposent. Ils s’imposeront inéluctablement de plus en plus.
Déjà, le très récent 1er rapport du Haut conseil pour le climat pointe l’insuffisance actuelle de l’action du Gouvernement (https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2019/06/hcc_rapport_annuel_2019.pdf).
‘’ Installé le 27 novembre 2018 par le président de la République, le Haut conseil pour le climat a formellement été créé par le décret du 14 mai 2019. Son premier rapport marque avant tout le début de travaux destinés à se poursuivre et à se préciser, à la demande du gouvernement, du Parlement, et à notre propre initiative. Sans surprise, ce rapport renforce et confirme les conclusions de plusieurs évaluations récemment publiées : la France n’est pas sur une trajectoire d’émission de gaz à effet de serre compatible avec ses engagements internationaux. Les premiers efforts fournis sont réels, mais ils sont nettement insuffisants et n’ont pas produit les résultats attendus. Ils n’engagent pas les transformations socio-économiques profondes nécessaires pour aller vers la neutralité carbone’’.
‘’Avec le projet de loi relatif à l’énergie et au climat (modifiant la loi de transition énergétique pour la croissance verte) et la nouvelle stratégie nationale bas-carbone en cours d’élaboration, la France propose de se fixer des objectifs pertinents de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre (GES). La neutralité carbone en 2050 visée par ces projets est cohérente avec les objectifs de l’accord de Paris et les dernières connaissances scientifiques. Cette neutralité carbone en 2050 est techniquement réalisable mais implique une transformation profonde de l’économie et de la société à grande échelle. Le rythme de cette transformation est actuellement insuffisant, car les politiques de transition, d’efficacité et de sobriété énergétiques ne sont pas au coeur de l’action publique. Ainsi, le 1er budget carbone fixé en 2015 et couvrant la période 2015-2018 a été dépassé, et la réduction réelle des émissions de GES, de 1,1 % par an en moyenne pour la période récente, est quasiment deux fois trop lente par rapport au rythme nécessaire pour la réalisation des objectifs.
Tant que la stratégie nationale bas-carbone restera à la périphérie des politiques publiques, les budgets carbone établis et la neutralité carbone ont peu de chances d’être atteints. La stratégie adoptée par la France implique de faire des choix. La transition vers une économie bas-carbone doit désormais être au cœur des politiques qui définissent l’avenir de la France, en cohérence avec la transition engagée par l’Union Européenne.’’
Tant elles sont multiples, je ne tenterai évidemment pas d’aborder toutes les incidences d’un cadre économique décroissant pour l’avenir de la publicité. La conscientisation étant la base de la réflexion en vue de l’action, je me contenterai d’appeler l’interprofession à anticiper rapidement la question en l’abordant frontalement dans chacune de ses instances, avec lucidité et sans œillères ni tabous.
Je limiterai ici mon propos en proposant d’ouvrir le débat sur la seule question de la digitalisation des médias qu’évoquent les deux infos du jours citées en préambule.
Streaming vidéo, Réseaux sociaux, Data center, Blockchain, IA, Internet des objets, super calculateurs quantiques … le bilan écologique du numérique est d’ores et déjà très lourd, celui de ses développements en cours est catastrophique.
https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/guide-pratique-face-cachee-numerique.pdf
En l’état, si c’est bien la viabilité à court terme de notre planète qui doit primer (ce qu’on peut quand même tous souhaiter), ces projets et développements ne resteront certainement pas très longtemps compatibles avec les choix et orientations de la politique publique, la ‘’sobriété numérique’’ s’imposant inéluctablement pour tous.
https://www.cigref.fr/sobriete-numerique-prise-de-conscience-collective
Voilà donc le défi auquel va devoir très rapidement se confronter le marché publicitaire, comme tous les autres secteurs de l’économie.
Deux perspectives en la matière :
1/ Concernant son bilan numérique, comme les autres la publicité reste et restera dépendante de la capacité d’optimisation de son efficacité énergétique qu’engagera très certainement le secteur de la tech s’il veut assurer sa pérennité. Que les datas centers deviennent demain des centrales de production de chaleur énergétiquement rentables et efficaces (rêvons un peu*) et tout pourrait basculer. Adieu la sobriété (… mais vive l’effet rebond) ? *https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/informatique/numerique-et-ecologie-les-data-centers-des-gouffres-energetiques_121838
2/ En tout état de cause, comme les autres la publicité doit dès aujourd’hui intégrer la responsabilité environnementale et la sobriété énergétique dans ses réflexions et projets. Elle le doit même certainement plus que d’autres, tant son caractère ‘’superflu’’ en fait un parfait ‘’bouc émissaire maillon faible’’ pour les décisionnaires politiques.
Intégrer la responsabilité environnementale dans la réflexion ne signifie pas systématiquement mettre fin à la transition numérique en cours et à tous ses projets.
Ainsi, en mars 2018 l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), la Fondation Internet Nouvelle Génération (Fing), GreenIT.fr et le WWF France ont élaboré ensemble un livre blanc pour contribuer à la discussion sur les actions que les pouvoirs publics – au niveau national comme au niveau local – pourraient prendre pour faire de la transition numérique un levier de la transition écologique.
Ainsi encore, en mai 2017 la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme ouvrait très clairement le débat sur la publicité en publiant une contribution à la réflexion intitulée ‘’Quelle publicité pour un monde sobre et désirable ?’’.
Ce texte est une ouverture au dialogue et plutôt que s’enferrer dans le déni, le dénigrement ou la politique de l’autruche, on ne peut qu’appeler l’interprofession à participer elle aussi pleinement au débat en y apportant des réponses et contributions réellement responsables, laissant de côté ‘’certitude fondée’’ et ‘’dissonance cognitive’’.
Je terminerai donc ce post en tentant d’y apporter moi aussi ma contribution.
Celle-ci portera plus spécifiquement sur la numérisation de la publicité TV évoquée par Nicolas de Tavernost.
Avec la publicité TV segmentée, il semble aller sans dire que le passif du bilan énergétique associé au passage de la diffusion de masse à une diffusion différenciée connaisse une croissance. Collectes et exploitation de grandes masses de données, stockages sur serveurs, décisions algorithmiques, potentiellement à terme duplication des pratiques programmatiques digitales, sont autant de postes de dépenses énergétiques nouvelles pour le média TV.
Je n’ai cependant pas connaissance qu’un chiffrage précis de ce recours énergétique nouveau ait déjà été réalisé, qui soit mis en balance avec les économies énergétiques réalisées par ailleurs. Il devrait certainement l’être.
En parallèle, sans entrer dans ses aspects strictement ‘’expérientiels’’ positifs pour le téléspectateur (meilleure pertinence publicitaire),
- sachant qu’environ un tiers des publicités TV diffusées selon le mode broadcast sont ‘’perdues’’ car mal adressées (soit l’équivalent d’environ 400Md de contacts pour 1Md€/an), que la répétition des messages broadcastés reste par ailleurs très mal contrôlée, qu’en conséquence directe les prix du média sont à la fois trop élevés pour permettre un accès large à toutes les marques (tickets d’entrée) et trop bas pour continuer à assurer l’économie des chaînes (coûts au mille),
- on peut raisonnablement espérer qu’une meilleure exploitation des inventaires disponibles permette de limiter la charge publicitaire (arrêt de la fuite en avant mortifère vers l’augmentation des quotas en durée de publicité ouverte) tout en donnant un nouveau souffle aux chaînes pour investir dans les programmes et donc mieux satisfaire les exigences et les attentes de leurs publics.
S’ajoute par ailleurs à ce bilan, les économies énergétiques ‘’externes’’ induites et notamment celles occasionnées par les transferts d’une partie des budgets publicitaires des annonceurs, des média digitaux énergivores vers la télévision (c’est aujourd’hui le contraire qui se passe, à la fois au détriment de la qualité des programmes, comme très probablement du bilan énergétique des médias publicitaires considérés dans leur globalité). Là encore, un chiffrage devrait être tenté.
En tout état de cause, alors que la question environnementale est devenue centrale, y compris pour les politiques, et à l’heure où le débat public va enfin s’ouvrir, notamment sur la question de la publicité TV segmentée, il me semble assez salutaire que l’interprofession se saisisse elle aussi du sujet. Il en va de sa responsabilité et de son avenir.
Très chaudement vôtre !