Tenter de trouver une explication suffit il ?

Tenter de trouver une explication suffit il ?

Nul doute que cette réflexion sur la situation que nous vivons sera peu lue. L’habitude maintenant de lire des explications simplistes probablement muent par les pulsions émotionnelles de notre époque. Ce qui me pousse à écrire, malgré une lassitude qui m’envahie à la lecture de post réducteurs de pseudo spécialistes du crime, de l’intervention, mais aussi des propos délirants et inquiétants, est la tentation  d’expliquer plus que de convaincre.

Comment expliquer qu’un jeune de 17 ans ait pu trouver la mort par le tir d’un policier irréprochable qui dans son for intérieur n’a certainement pas imaginé les conséquences de son geste.

La théorie de la dissuasion est un fondement du droit criminel. Dans le Leviathan (1651) Thomas Hobbes explique que la violence diminuerait lorsque les citoyens acceptent de confier leur sécurité à un état fort. L’état agit alors en faisant craindre une sanction pour les transgressions de la loi. Cela suppose un état fort et une justice pourvue de moyens. Depuis des décennies la justice est le parent pauvre au profit d’une police mise en avant servant à « faire croire » que la solution n’est « que » policière. Cette vision politique repose sur la visibilité immédiate de son action vis -à -vis des concitoyens. Un affichage policier vient rassurer une population qui en réclame de plus en plus. La police d’ailleurs ne suffit plus puisque l’armée est maintenant convoquée pour calmer les émeutiers : Demande irréaliste et hallucinante ; 

Concernant l’augmentation des attitudes transgressives, je vais limiter ma démonstration. Je vais donc passer sur le contexte familial ( et pourtant important ) de la monoparentalité et d’une présence paternelle inexistante.

Nous sommes face à une société dont l’apparence est devenue la raison existentielle de beaucoup d’entre nous. Exister par l’affichage est réducteur mais motive beaucoup de jeunes issus des cités et plongés dans des conditions économiques souvent précaires : vêtements de marques, accessoires multimédias et surtout l’engin motorisé. Ce dernier signe de virilité par excellence est le label dans la cité d’une forme de « réussite » dans un écosystème qui puise ses racines dans l’activité criminelle. La délinquance est la résultante chez l’individu de contrôles personnels faibles et de contrôle sociaux peu effectifs (Albert Reis 1951). La délinquance se produit lorsque le lien d’un jeune avec la société est faible et qu’il n’adhère pas aux valeurs pro sociales Les individus qui ont un faible auto-contrôle agissent de manière impulsive et ne se soucient pas des conséquences. (Travis Hirschi 1969, 1990). Le crime apparaît comme un choix viable parmi d’autres. La recherche des plaisirs intenses et des conduites à risques agissent comme une forme de drogue.

Les jeunes de cités se construisent donc à partir d’imitations de leurs pairs. Cela devient un processus et une norme éducative (Gabriel Tarde 1890). Les jeunes des cités ont des préoccupations différentes des autres jeunes. Ils sont ancrés dans l’action, la rudesse, le fatalisme et le trouble (Walter Miller 1958). Leurs comportements vont se modeler en fonction des réactions suscitées chez les autres. C’est ainsi qu’ils reçoivent peu de retour sur leurs bonnes actions par les parents et à l’inverse des satisfécits de leurs pairs pour les mauvaises actions (Burgess et Akers 1966).

Les délinquants sont dans une forme de raisonnement coût/bénéfice. Qu’est ce que je risque si je transgresse est mis en balance dans le plaisir qui est recherché dans la transgression. Pour le jeune homme décédé nous apprenons qu’il était connu pour plusieurs faits délictueux de refus d’obtempérer. Quelques jours auparavant il était "encore" en garde à vue pour cela. Que peut-on espérer d’un jeune qui s’est construit dans la rue et qui ressent une forme d’impunité lorsqu’il transgresse ? : La réitération et le renforcement dans le passage à l’acte et un sentiment d’une toute puissance face à l’autorité. Il n’est pas, selon moi, que l’autorité n’est que le pur reflet de l’absence d’une autorité paternelle absente et donc contestée. L’autorité et l’opposition que ces délinquants rencontrent n’est que celle de la police. Autour d'eux la réprobation sociale a disparu et s’est même inversée lorsqu’ils transgressent la loi.

Le jour des faits il n’y avait aucune raison pour qu’il obtempère. Refus de l’autorité, sentiment de toute puissance matérialisé par ce véhicule surpuissant, ses amis dans le véhicule face auquel il voulait certainement paraître, exister, sur jouer : Il serait le plus fort.

Il a croisé ces policiers à qui nous demandons beaucoup. Ces policiers qui n’ont pas voulu faire preuve d’inflexion face à son comportement dangereux. Ils n’ont pas su ou pu dire « stop ». Lorsque vous prenez en chasse, vous entrez dans un rapport de force. J’ai connu cela. Qu’auraient pensé les témoins si les policiers avaient abandonné la poursuite ? Ils ne pouvaient pas, ils ne pouvaient plus lâcher.

L’enquête déterminera les circonstances du tir. La criminalistique va entrer en action : Médecine légale, balistique pour l’angle de tir et la distance, l’examen du véhicule. Ce dernier sera déterminant par l’étude de la puce de l’airbag. Il s’agit d’un accéléromètre qui pourra déterminer si le véhicule a accéléré, l’angle du volant, (..) Ce sera crucial pour connaitre les intentions du conducteur au moment du tir. Outre ce véhicule qui est truffé d'IoT , les téléphones des acteurs de ce drame, la vidéo urbaine et celles des témoins, les auditions permettront de corréler l’ensemble des pièces de ce puzzle. Il reste un jeune de 17 ans mort et un policier condamné à vivre avec son geste. L'enquête imputera des responsabilités et la société continuera à ignorer les causes profondes de son délitement.

C'est juste mon avis

Jean Philippe Dubromel

responsable adjoint d'agence oph/directeur d'agence sûreté/ chef d unité d action rapide

1 ans

Christian BELPAIRE Nous sommes bien d'accord. Ayant connu des situations de stress, je comprends le sens profond de ton texte. Malheureusement, nous, et oui je dis "nous", avons permis la mise en place d'une information non basée sur l'expérience mais sur le titre. Je garde espoir, certes utopique mais réel, dans un futur où les professionnels auront enfin leur place. Et je vois que tu as encore poussé les explications et la vision avec l ensembles de t'es connaissances, analyse claire mais au combien précieuse

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