Tesla: au-delà de la bulle spéculative
Depuis le lancement de la Tesla Model S en 2012, concurrents et observateurs – dont l’auteur de ces lignes – ont longtemps douté de la capacité du fabricant américain de voitures électriques à bousculer une industrie plus que centenaire. Huit ans plus tard, la question n’est plus de savoir si le groupe d’Elon Musk réussira à s’imposer, mais si les constructeurs traditionnels arriveront à le rattraper.
Le 21 décembre constitue le point d’orgue de cette trajectoire fulgurante. Tesla devrait intégrer l’indice S&P 500 en devenant la sixième plus grosse capitalisation boursière, juste derrière les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Avec une valorisation de 580 milliards de dollars (environ 480 milliards d’euros), après une hausse de 630 % depuis le début de l’année, l’entreprise fondée en 2003 par Martin Eberhard et Marc Tarpenning pèse autant que les dix premiers constructeurs mondiaux. Pure spéculation, disent les sceptiques, qui constatent que ces dix géants auront vendu cette année 60 millions de véhicules contre moins de 500 000 pour Tesla. Mais raisonner de cette manière, c’est observer le présent avec les lunettes d’hier.
Technologie incontournable
Certes, le cours de Bourse du constructeur américain est artificiellement dopé par deux phénomènes. D’abord, les liquidités injectées par les banques centrales pour stabiliser le système financier contribuent à gonfler les valorisations. Tesla en a profité cette année pour lever en Bourse 12 milliards de dollars, soit l’équivalent de la capitalisation de Renault. Ensuite, l’entrée au S&P 500 oblige un grand nombre de gestionnaires d’actifs à intégrer Tesla dans leur portefeuille pour répliquer le plus fidèlement les évolutions de l’indice boursier.
Toutefois, ces mécanismes ne peuvent expliquer à eux seuls le prix de l’action, qui n’est pas à l’abri d’une correction. Mais, fondamentalement, la Bourse ne fait qu’anticiper les conséquences d’une bascule qui n’en est encore qu’à ses balbutiements. Ce mouvement s’est accéléré en septembre 2015 avec le scandale Volkswagen (VW) sur le diesel. Tesla disposait déjà d’une technologie prometteuse. Ce faux pas du numéro un mondial a fini par la rendre incontournable en poussant les gouvernements à programmer le bannissement des moteurs thermiques. Sous la pression d’une opinion sensibilisée à la lutte contre le réchauffement climatique, l’industrie s’est retrouvée condamnée à se réinventer brutalement, offrant ainsi un boulevard à Tesla.
Si Elon Musk peut dire merci à VW, l’essentiel n’est pas là. Bien sûr, Tesla vend peu comparé aux leaders du secteur, mais la marque est exclusivement concentrée sur l’électrique. Avec 500 000 voitures il fabrique presque autant sur ce segment que tous ses concurrents réunis. Avec bientôt quatre grandes usines ultramodernes (deux aux Etats-Unis, une en Chine et une en Allemagne), le groupe devient le seul capable de produire ses voitures sur les trois grands marchés mondiaux.
Grâce à ces économies d’échelle se met en place un écosystème vertueux avec ses fournisseurs. Tesla, en tant que meilleur client, profite en priorité des dernières innovations (à commencer par les batteries), qui lui permettent d’imposer ses normes au secteur et de garder en permanence une longueur d’avance. Celle-ci est flagrante dans les logiciels. En désossant une Tesla, un groupe d’ingénieurs est arrivé à la conclusion que l’entreprise avait six ans d’avance sur Toyota et VW, soit la durée nécessaire pour développer une nouvelle génération de véhicule.
« VW, c’est un peu le canari au fond de la mine »
« L’excellence industrielle et la qualité perçue des véhicules n’est pas encore au niveau de certains concurrents, mais la marque a tellement d’avance sur le software et la relation-client que cela devient secondaire », pointe Patrick Pelata, président de Meta Strategy Consulting et ancien directeur général de Renault. Grâce à des systèmes d’électronique embarquée dernier cri, les performances du véhicule sont en permanence optimisées, tout en alimentant une base de données qui permet d’entretenir une relation étroite avec les propriétaires des véhicules. Tesla maîtrise depuis une décennie ce système de téléchargement de logiciel à distance, alors que BMW ou Mercedes s’y mettent tout juste.
Ultime atout : la vente en ligne. Quand on sait qu’un réseau de concessionnaires peut représenter jusqu’à un quart des coûts fixes d’un constructeur, c’est un paramètre décisif sur le plan de la rentabilité. Longtemps condescendants sur l’avenir de la voiture électrique, les constructeurs traditionnels se retrouvent distancés. Renault-Nissan, après une bonne intuition, n’a pas su se donner les moyens de ses ambitions. Toyota, leader sur les motorisations hybrides, y va à reculons. L’industrie allemande réalise qu’elle est dépassée sur le plan technologique, pour la première fois depuis la naissance de l’automobile à la fin du XIXe siècle.
Certes VW vient de programmer 27 milliards d’euros d’investissements dans les logiciels. Mais l’argent ne fait pas tout. Une telle transition nécessite à la fois un changement complet d’organisation, une capacité à attirer des compétences et un volontarisme sans faille des dirigeants. C’est le cas d’Herbert Diess, le patron de VW. Mais il se heurte à la résistance du syndicat IG-Metal et des actionnaires historiques qui appréhendent le carnage social et industriel qui s’annonce. « VW, c’est un peu le canari au fond de la mine, si eux n’y arrivent pas, personne ne réussira », anticipe M. Pelata.
De façon cruelle, c’est au moment où les constructeurs historiques doivent dépenser sans compter pour négocier ce virage tout en accompagnant la fin de vie des motorisations thermiques, que les profits de Tesla décollent. Dans son sillage se forme une nuée d’acteurs chinois, qui comptent bien s’engouffrer dans la brèche ouverte par Elon Musk. La semaine dernière, NIO, Li Auto et Xpeng ont ainsi levé en Bourse 7 milliards de dollars en s’appuyant sur des valorisations stratosphériques. La Bourse est peut-être exubérante, mais elle a compris une chose : les constructeurs traditionnels ne sont pas au bout de leurs peines.
Pro-Climate & Sustainable Energy Developer
4 ansLa vrai équation n’est pas de résoudre un retard technologique ou industrielle mais plutôt celle ci : - Comment rattraper non pas 1 mais 3 disruptions sur une seule marque : - VE très performant, endurant et sexy qui rends les clients addict au produit (stratégie Apple) - technologie à la pointe avec les MAJ et le véhicule prochainement autonome (stratégie Silicon Valley) - infrastructure performante, fiable et disponible 24/7 Tesla a disrupté - les constructeurs automobiles qui ont pourtant inventé l’automobile (Daimler, Benz, ...) - les équipementiers ( Bosch, Valeo, ...) - les majors du pétrole (Exxon, Shell, BP ...) Et ne parlons des synergies techno à venir avec SolarCity SpaceX & autres
Business Developer @Rock.estate | Startup investor | Blockchain enthousiast
4 ansJ'ai depuis le début été un grand supporter de Tesla, mais jamais je ne l'ai intégré à mon portefeuille. Depuis son IPO, j'ai estimé que la valeur du groupe était largement surévaluée par le marché. L'ironie du sort pourrions-nous dire... J'ai récemment revu ma position, avec le sentiment que les constructeurs concurrents vont rattraper Tesla dans les années à venir. Au niveau purement du moteur électrique, des constructeurs comme Volvo (avec ses modèles Polestar) sont en train de talonner Tesla. L'avantage du constructeur américain réside à mon sens dans la conduite autonome. Cette technologie n'est pas encore prête à être intégrée dans les sociétés modernes en vue des régularisations qui pèsent sur le secteur. Mais, il ne faut pas oublier que Tesla ne se résume pas qu'au secteur automobile. Je pense que le groupe pourra à l'avenir diversifier ses sources de revenu. Il faut le voir comme une valeur technologie et non comme une valeur automobile !
Senior Wealth Manager LAZARD Head of Investments Luxembourg
4 ansLes valorisations boursières ne sont que les reflets des anticipations des investisseurs. Aujourd’hui la capitalisation boursière de Tesla avec 600 Milliards de dollars est équivalente à la somme cumulée des valeurs boursières des 10 premiers constructeurs mondiaux. Du point de vue industriel, Tesla va produire 500 K véhicules en 2020, contre 60 Millions pour l’ensemble des 10 premiers constructeurs mondiaux. La réelle valorisation de Tesla réside sur la technologie embarquée et surtout le réseau de super chargeurs aux US et EU. Pour cette technologie il est normal d’apporter une prime à la valorisation mais aujourd’hui nous sommes dans la démesure et l’exubérance irrationnelle… D'un point de vue analyse financière, incluant un premium technologique, la valorisation de Tesla se situe selon-moi entre 100 et 150 Milliards de dollars. Jusqu'à maintenant les constructeurs traditionnels développaient des VE basés sur d'anciennes plateformes thermiques. En 2021/22, VW, Renault-Nissan, BMW, Daimler en partant d’une feuille blanche au niveau de la conception vont inonder le marché avec des machines ultra performantes. La chute risque d'être brutale pour Tesla en bourse...
Senior Advisor, Expert in markets and asset management, Columnist, Business Angel,
4 ansPour une fois je ne suis pas 100% d'accord avec l'excellent Stéphane LAUER Indépendamment d'une valorisation qui ne veut plus rien dire notamment depuis l'inclusion dans le SP500 (voir mon poste), je reste persuadé que les constructeurs mondiaux vont être capables de rattraper leur retard dans l'électriques d'ici 5 ans avec des voitures moins haut de gamme mais ... rentables. Le vrai point d'interrogation est de savoir si on découvrira chez Tesla un business à la AWS comme chez Amazon (un business dérivé d'un core business non rentable) En tous les cas entre les cours target de Goldman Sachs (780$), et JP Morgan (90$), à moyen terme (2 ans) je parie sur celui de JP Morgan