Tracking Mania : La technologie contre la pandémie - Retour d'expérience
Pour combattre la propagation du COVID-19 efficacement, le gouvernement français souhaite lancer une application de tracking* dont le téléchargement ne sera pas imposé. Cette volonté s’appuie notamment sur l’efficacité de la stratégie de tracking dans certains pays.
Corée du Sud et Taïwan, les bons élèves :
Les exemples souvent cités sont ceux de la Corée du Sud (52 millions d’habitants - 10683 contaminés et 237 décès au 21/04/2020) et Taïwan (23 millions d’habitants - 422 contaminés et 6 décès au 21/04/2020), dont les réponses modernes face à la pandémie se sont montrées les plus efficaces. Sans parler de l’aspect sanitaire, leur approche technologique ont notamment permis de maîtriser la propagation du virus.
Cependant dans ces 2 cas, aucune application de tracking n’a été mise en place. Les deux gouvernements s’appuient sur leurs cadres légaux pour récupérer les bornages** des téléphones des personnes identifiées comme contaminées par le COVID-19 afin de s’assurer que celles-ci respectent scrupuleusement les mesures de confinement appliquées uniquement aux personnes infectées. Taïwan a même décidé de recouper les données de l’assurance maladie avec celles des services de l’immigration.
En complément, ces gouvernements communiquent également des informations via des plateformes de messagerie ou par SMS afin de transmettre les dernières informations à leurs populations.
L’autre facteur important dans cette stratégie est la fourniture des données à des opérateurs publics et privés. Ces données sont en «open data», ce qui permet aux développeurs de mettre en place des cartes interactives. A Taïwan, il s'agit de cartes avec une vue en temps réel des stocks de masques dans les pharmacies. En Corée du Sud, des cartes des zones à risque ont ainsi été créées avec les zones récemment fréquentées par des personnes contaminées. Cependant, les informations, bien qu'anonymisées, étaient si précises qu’il était possible d’identifier individuellement une personne.
Cette approche soulève évidemment des questions à propos des libertés individuelles et de confidentialité des données puisque dans ces deux cas, nous serions à la limite de l’illégalité en France et en Europe. En effet, récupérer le bornage des mobiles sans l'accord des utilisateurs est contraire au règlement général sur la protection des données (RGPD). Le risque que ces solutions soient pérennisées post-crise est aussi envisageable. Néanmoins, en Corée du Sud et à Taïwan, tout comme en France, les cadres juridiques et démocratiques, la liberté de la presse et l’implication de certains citoyens sur ces sujets laissent à penser que ce ne sera pas le cas.
Le cas Français
Les français vont-ils adopter la solution de tracking que souhaite mettre en place le gouvernement ? Difficile à dire en l’état.
Cette application s’inspire notamment de ce qui est fait à Singapour. Les données personnelles ne seront pas stockées et centralisées et la technologie utilisée, le Bluetooth, ne fait pas appel au bornage. C’est également sur une application similaire que Apple et Google sont en train de se pencher conjointement. Mais pour que cette application soit réellement efficace, cela implique qu’un grand nombre de la population la télécharge. De part mon expérience, lors du déploiement d’une solution de cyber sécurité auprès de plus de 25 000 utilisateurs français, faisant appel à l’installation d’une application tierce, les utilisateurs se sont montrés plutôt réticents à installer cette application sur leurs téléphones portables personnels. D’autant plus qu’ils étaient entièrement dans leur droit de refuser grâce au cadre strict du RGPD. Mes propos sont évidemment à nuancer car les deux applications sont totalement différentes. Néanmoins cela permet d’avoir une idée quant à l’accueil qui sera réservé à cette application.
Culturellement, nous avons, en France, conscience de notre identité numérique et essayons de la protéger. Nous sommes méfiants lorsque nous sommes invités à télécharger une application que nous ne connaissons pas et surtout quand celle-ci a pour but de « tracer » l’utilisateur. Ce réflexe est finalement plutôt rassurant. Cependant, il est aussi paradoxal, car nos connaissances concernant ce sujet sont limitées et relativement basiques comme en témoigne la liste des applications les plus téléchargées entre le 26 mars et 1er avril.
Sur les 7 applications, au moins 2 (Zoom et Houseparty) présentent des failles de sécurité importantes et/ou un risque pour la confidentialité des données.
L’exemple de Zoom étant le plus flagrant. Alors que certains ministres français utilisent encore cette application, des gouvernements, des entreprises et des collectivités interdisent son utilisation.
La conduite du changement jouera donc un rôle central quant à l’adoption d’une telle solution par la population française. Le contexte actuel ne suffira peut-être pas à convaincre le plus grand nombre d’entre nous d’installer une application gouvernementale de traçage sur nos téléphones personnels. Sachant que le succès de cette stratégie réside essentiellement sur le nombre d’utilisateurs, le gouvernement doit dès à présent identifier et répondre aux réticences. Cela passera par beaucoup de transparence concernant le fonctionnement de l’application et des engagements forts quant à son usage. Le moindre écart serait fatal pour son adoption. Dernier point, à ne pas négliger, quand bien même cette application soit simple à utiliser, l’acculturation aux nouvelles technologies n’est pas homogène sur le territoire, il sera indispensable d’assurer un accompagnement.
La tâche s’annonce donc bien plus compliquée en France par rapport à Singapour qui est composé d’une population de 6 millions d’habitants technophiles et dont le système législatif est plus strict.
Et après :
Cette crise sanitaire met en lumière les points positifs et négatifs de la technologie. En utilisant de façon intelligente les leviers technologiques, en compléments des mesures sanitaires indispensables, nos sociétés ultra connectées peuvent se montrer efficaces pour endiguer une pandémie. Cependant, bien que cette crise nous oblige à agir dans la précipitation, il est important de prendre en exemple uniquement les démocraties asiatiques qui ont pour le moment réussi là où les autres ont échoué.
En mandarin, le mot «crise» se traduit par «危機». Cela signifie littéralement «danger» et «opportunité». A nous de rester vigilants pour que ces opportunités technologiques ne se transforment pas en danger pour nos sociétés.
*tracking : outil permettant de suivre une population en continu ou presque.
**bornage : le bornage téléphonique permet de déterminer la zone de localisation d’une personne et/ou de l’identifier via le numéro de carte SIM communiqué à la borne.
Sources :
Public Warning Cell Broadcast Service - fr.wikipedia.org
Coronavirus mobile apps are surging in popularity in South Korea - edition.cnn.com
Coronavirus : à Taiwan et en Corée du Sud, la population "suivie à la trace" - www.liberation.fr
Pourquoi l'application StopCovid risque de ne servir à rienwww.numerama.com
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Chef de Projets Infrastructures SI chez ITS Services
4 ansBel article mais je pense que personne ni aucun pays ne maîtrise quoique ce soit concernant cette crise sanitaire. Je ne parle même pas du tracking et autre privations de liberté Portes toi bien
Senior HRIS Consultant
4 ansMerci Edouard Richard (李彦廷) pour cet article très interessant notamment la mise en avant de deux pays qui ont su maitriser au mieux la propagation du virus.
Program & Project Management - Innovation & Transformation | Technology enthusiast
4 ansMerci Edouard Richard. Très intéressant ce point de vue sur les technologies et leur utilisation dans le cadre de la lutte contre le COVID-19, ainsi que cette comparaison avec le déploiement d'une application sur votre projet. #covid19 #StopCovid
Personnellement je n'utiliserai pas d'application de tracking. Ça va à l'encontre de nos libertés individuelles. Et savoir qu'il y a un covid19 autour de moi, ma poche vibrante va être une vrai source d'angoisse... @+