Tranche de vie . Prosper a disparu !
Je vous présente Prosper , c’est le cochon . L’histoire n’est pas banale et c’est une page de mon enfance que je vous dévoile . Nous sommes dans le début des années 60 impasse Bordier à Aubervilliers , juste à la limite du 19ème arrondissement de Paris tout à côté des forts de la Villette et des fameux abattoirs .
Fredo , le 3ème en partant de la droite , était chauffeur de taxi et travaillait essentiellement la nuit .
Une nuit à l’occasion d’une course dans le quartier des halles il trouve sur son chemin un petit cochon qui trottinait allégrement dans les rues du quartier des halles , illustre endroit au temps où s’était encore le ventre de Paris . Fredo arrête son taxi et s’empare , ni vu ni connu ,du petit cochon qu’il dépose délicatement dans le coffre de sa 403.
Le lendemain il ose à peine avouer à sa femme la découverte de la veille présumant, à juste titre , de la réaction de sa bourgeoise . « Un cochon dans notre deux pièces d’à peine 30 m2 il n’en n’est pas question » . On comprend bien les motivations de la maitresse des petits lieux devant une telle extravagance, sans compter que ça grandit vite ces petites bêtes là , mais que faire du Porcinet .
Heureusement dans l’impasse où nous habitions nous avions un bistrot tenu par le père Bonnefoux , le 1er à gauche au premier plan , rude gaillard tout droit arrivé de son Auvergne natale .Nous avions également un immense terrain vague entouré de palissades ou chacun s’était approprié un bout de terrain pour y construire des cabanons en bois pour y entreposer tout et n’importe quoi.
Sans plus attendre le père Bonnefoux empoigne le porcinet et décide de « l’adopter » .Il lui aménage un petit nid douillet dans un de ces cabanons du terrain vague . Restait encore à trouver un nom au porcinet, à l’unanimité des adultes , nous les enfants nous n’avions pas droit au chapitre, ils décidèrent de l’appeler Prosper .
Mais comme dirait l’autre , pas fou le père Bonnefoux , arrière-petit-fils d’auvergnat , petit-fils d’auvergnat fils d’auvergnat , un choux c’est un choux, il avait flairé la bonne affaire .
Prospère prospérait de jour en jour , tout le quartier le nourrissait , mais bien entendu sous le contrôle avisé du père Bonnefoux . De temps en temps il le sortait du cabanon et l’invitait à boire un coup au bistrot( d’où la photo) , vous imaginez l’attraction que cela représentait pour nous les gamins de la zone pour qui la plupart n’avaient jamais vu une vraie vache , un mouton et là nous avions un cochon, un vrai .
Un jeudi ou nous ne savions pas quoi faire, la bande de chenapans que nous formions à l’époque , avions décidé d’en faire un zèbre , bonne idée déclarions nous à l’unissons, un pour tous et tous pour un quand il s’agit de faire des bêtises .
Trouver de la peinture noire et des pinceaux , rien de plus facile . Là où l’opération « Transformer » devenait plus compliquée était de coincer Prosper , qui visiblement se complaisait mieux en costume de porc plutôt que celui de zèbre . Malgré une bataille acharnée qui nous opposait au monstre porcin notre mission était accomplie nous avions réussi la transformation , le père Bonnefoux sera sans aucun doute content et surpris d’avoir un zèbre à la place d’un cochon .
Le lendemain matin trop contents de notre exploit de la veille les conversations allaient bon train dans la cour de l’école Jean Macé , nous étions les héros du jour .Le soir de retour au bercail nous eûmes droit au comité d’accueil , mais alors pas du tout à ce que l’on s’attendait , visiblement notre transformation génétique, sans doute la première à Aubervilliers et qui sait mondiale , dont nous étions si fiers n’était pas du tout, mais alors pas du tout du gout du père Bonnefoux et des gens du quartier , je dirai même que ça s’est terminé par une course à l’échalote et pour les moins rapides d’entre nous ce fut un souvenir douloureux que l’on n’était pas prêt d’oublier..
Le temps a passé , les adultes nous avaient pardonné Prospère était régulièrement invité au bistrot et continuait de prospérer jusqu’au jour fatidique ou Prosper disparu .
Nous les gamins malgré le turpitudes que nous lui faisions subir nous étions inquiets , on l’aimait bien notre cochon s’était notre bouffé d’oxygène , notre bol d’air comparé à la puanteur des odeurs agressives de toutes les usines qui nous environnaient , je n’irai pas jusqu’à dire que cette amitié était réciproque , quoique ..
Prospère avait disparu , qu’était -il devenu , volatilisé, peut-être s’était-il enfui pour échapper à nos turpitudes , ou alors il ne supportait plus l’air pollué d’Aubervilliers ??
Peu de temps après nous avions l’effroyable réponse , le jour ou le bistrot du père Bonnefoux était en ébullition, bondé des voisins du quartier , ça discutait ça buvait des canons , ça rigolait à gorges déployées .
Hé oui ils fêtaient le retour de Prosper , il était là notre souffre-douleur , débité façon puzzle sur les quelques tables du bistrot , il y en avait pour tout le monde . Ils avaient assassiné Prosper , celui-là même qu’ils invitaient à boire un coup au bistrot , les sanguinaires les sans cœur les criminels ils avaient élevé Prosper pour le tortorer plus tard .
C’est sans doute ce jour-là que nos illusions d’enfants se sont à jamais effondrées.
JCV