Transformation agile : Attention, idées reçues en vue ! Idée N°1 : Se reposer sur le collectif
Le monde de la transformation regorge d'idées, de théories et de recommandations plus brillantes les unes que les autres. Certaines, largement médiatisées, ne résistent pas toujours à l'épreuve des faits. C'est donc au travers du regard croisé de nos expériences de l'accompagnement de multiples projets de transformation que nous avons cherché à challenger trois idées souvent plébiscitées. La 1ère : "Le collectif d'abord" .
Agile & collectif, le nouveau mantra des organisations en transformation
Qu'elle soit considérée comme une méthode ou comme un objectif de transformation, l'agilité implique de s'appuyer sur l'art de mettre une intelligence collective en action pour assurer une adaptation rapide et continue de sa structure et de son organisation.
Nous militons pour les vertus de l'agilité mais depuis quelque temps nous assistons à une dérive dans la compréhension de ce que ce modèle implique. Probablement en raison d'un excès passé de verticalité des organisations, il semble qu'aujourd'hui, impliquer l'ensemble des collaborateurs dès la phase de conception d'un programme de transformation, soit perçu comme indispensable. L'idée sous-jacente n'est pas inintéressante. S'appuyer sur le collectif offrirait à une direction la garantie d'un consensus qui lui éviterait nombreux efforts de conviction et accélèrerait les phases de mise en œuvre du projet.
Belle idée, mais...
Force est de constater qu'une fois passée une première phase d'euphorie générale, cette implication très large peut devenir un frein. La capacité à mettre un collectif en mouvement de manière pérenne et cohérente va rapidement se heurter à plusieurs phénomènes : Complexité grandissante de pilotage et de synchronisation des multiples équipes qui composent le projet ; Processus de décision et de gouvernance qui peinent à s'adapter aux modèles décentralisés (car ils se traduisent par une pléthore d’instances de coordination antinomiques avec l’agilité recherchée) ; Décalage entre priorités stratégiques ou opérationnelles et initiatives de transformation ; Tensions non régulées en amont du projet au sein des instances de direction qui provoquent des divergences dans l'exécution ; Difficulté à concilier plan de transformation et travail quotidien pour le Middle management qui va s'épuiser à faire le grand écart entre objectifs opérationnels et objectifs transformationnels.
Résultat : retour à la case départ ou pire, bienvenue sur la case désengagement et démotivation
De l’importance du cadre et des valeurs : l’exemple de l’art
Comment l'art peut nous inspirer au regard de ces problématiques ? On pense l’art principalement rimer avec liberté, créativité débridée, absence de règles, évasion… mais « L’art naît de contraintes, vit de lutte et meurt de liberté » disait Gide. Et de fait, il n’est pas d’exemple d’artistes qui œuvrent sans intégrer un cadre beaucoup plus rigide qu’on ne le croît. En peinture, le cadre est d’abord physique : la dimension d’une toile, les propriétés des pigments utilisés (acrylique, aquarelle, huile) ou autres matières (charbon, fusain…). Il est souvent également géométrique (composition, perspectives…). Il est aussi fait du style ou du courant artistique dans lequel l’artiste s’exprime. Chaque style, chaque courant a ses codes, ses modes de représentation, son type de traitement visuel. L’enjeu consiste à exprimer, dans ce cadre précis, sa liberté créative.
L'exemple Dada
Même dans le Dadaïsme, considéré comme le mouvement le plus décalé, débridé du XXème siècle, les artistes respectent les codes d’expression définies. En réalité, c’est ce cadre qui leur permet d’être créatif. La représentation du visage par 3 artistes de ce mouvement en fournit une belle illustration.
A droite, la tête de 'Tristan Tzara', réalisée en 1919 par Marcel Janco.
Tristan Tzara (1896-1963), c'est le catalyseur du mouvement dada. Ecrivain roumain, petit par la taille mais grand par l'ambition, c'est le communiquant du dadaïsme. Il participera d'ailleurs largement à sa diffusion, notamment en France. Marcel Janco (1895-1984), roumain lui aussi, est un des pionniers du mouvement. Il fera partie des premiers artistes à rejoindre le cabaret Voltaire, lieu fondateur, dès 1917 à Zurich.
La 'Tête Dada' (1918) est l'oeuvre de Sophie Taueber (1889-1943). Artiste suisse, elle aussi était présente au début de l'aventure du dadaïsme. Elle y rencontrera Jean Arp (autre grande figure du mouvement) avec qui elle se mariera. Comme quoi, s'inscrire dans un mouvement crée des liens...
A droite, la 'Tête d'homme' peinte par Max Ernst en ... 1947.
Max Ernst (1891-1976), d'origine allemande, a rejoint le mouvement dada dans les années 20. Mais 27 années plus tard, son affiliation avec l'esprit Dada se ressent encore dans cette toile.
3 artistes, 3 expressions, 3 nationalités, 3 têtes pour exprimer le fait qu'il n'est pas de grand mouvement sans la création d'un état d’esprit particulier, sans l'impulsion d'un mode de pensée, sans l'incarnation de valeurs, sans l'influence de meneurs. Autant de conditions nécessaires à un environnement amené à se diffuser.
Quelles enseignements pour la transformation des organisations ?
L’expérience démontre tout d’abord que les organisations qui réussissent à se transformer dans le temps sont celles dans lesquelles les "leaders"ont pris conscience de ce qu'implique le fonctionnement d'écosystèmes « collectifs ». Ce processus peut demander du temps (notamment pour des comités de direction élargis), de l’engagement et... une bonne dose d’humilité pour chacun.
Dans une première étape, le Codir/Comex se doit de définir le cadre précis dans lequel les énergies collectives vont pouvoir se mobiliser (vision, priorisation, organisation, rôles et processus de décisions, etc.). Dans le temps, il leur appartient également de démontrer une exemplarité dans la mise en œuvre d’une gouvernance agile du projet. Chose d'autant plus facile quand cette agilité a été mise en pratique au sein de leurs comités.
3 enseignements à intégrer :
1. Assumer ses responsabilités. Ne pas se reposer sur le collectif pour définir un cadre mais assumer les choix stratégiques qui engagent l’avenir du modèle de développement et d’organisation des structures. Cela ne signifie évidemment pas de faire sa stratégie « en chambre ». Il faut s’alimenter, croiser des points de vue mais en gardant la responsabilité de la direction à prendre. Idem quand il s'agit de solliciter des collectifs : quelle est leur cadre de travail ? quels sont leurs objectifs ? prêt à aller dans toutes les directions ? quelles sont les limites ?... Trop de collectifs s’exténuent s'ils n'ont pas de réponses à ces questions.
2. Incarner les valeurs que l'on cherche à diffuser. Avant d'engager le collectif dans une transformation agile, il est critique d'acculturer le Codir aux modes de fonctionnement qui seront mis en œuvre à l'échelle de l'entreprise ou du projet. C'est bien une culture transformationnelle qui doit s'instaurer au sein même de la gouvernance des organisations, engendrant ainsi un changement qui pourra ensuite se diffuser au sein de l'organisation toute entière.
3. Garantir la pérennité du cadre transformationnel. Une fois la vision exposée et le passage de relais effectué, les instances de direction joueront un rôle essentiel dans les processus de feedback et de prises de décision. Elles auront notamment la responsabilité de faire vivre et évoluer le cadre transformationnel pour garantir l’alignement entre la gestion courante de l’entreprise et le pilotage de la transformation dans le temps.
Pas de collectif sans direction ; pas de direction sans esprit collectif... belle équation à résoudre quand il s'agit de mener à bien son projet de transformation.
A suivre... Idée reçue N°2 : Se transformer, c’est passer d’un point A à un point B
Cet article collectif a été rédigé par Emmanuel Cacheux, Philippe Loison, Michel Maestrali et Christophe Pouilly ; 4 associés & fondateurs de Work'Art Lab. Nous accompagnons les équipes de direction, managers & collaborateurs dans la transformation agile de leurs organisations.
AZIADE - Directeur stratégie et du développement
4 ansArticle très pertinent qui a bénéficié du vécu de terrain. Quelle serait donc la representation Dadaïste de la transformation agile avec l’incantation de l’intelligence collective au pays de la stratégie du résultat trimestriel. A vos pinceaux, crayons, appareils photos....
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4 ansOui, l'Art est un moteur de transformation ! Bravo à Christophe Pouilly et à ses associés de nous proposer cette vision intelligente et novatrice.
Vice-président exécutif à La Fabrique du Futur
4 ansCo-rédacteurs de cet article Michel Maestrali, Emmanuel Cacheux, Philippe Loison