Transformation numérique des collectivités et confinement : où il est question de saut de grenouilles et d’inclusion numérique
Les anglophones l’appellent le leapfrog ou saut de grenouille et l’appliquent au phénomène du développement accéléré de la technologie et des usages numériques sur le continent africain. Il qualifie un franchissement extrêmement rapide de plusieurs niveaux de développement sans passer par les étapes itératives classiques. A une échelle plus modeste, c’est ce phénomène de leapfrog en matière d’usages numériques que nous venons de connaître dans nos structures publiques, et plus particulièrement dans le secteur des collectivités territoriales.
La transformation numérique, depuis quelques années, c’était un peu comme l’arlésienne : on en parlait beaucoup, l’espérant de tous nos vœux, sensibilisant avec conviction nos collègues les plus réticents à cette révolution des usages tout autant que des outils, leur promettant lendemains numériques qui chanteraient, améliorations concrètes et évolution de pratiques , mais bon… tout comme l’arlésienne des fables provençales, on ne la voyait toujours pas venir . C’était cher et compliqué.
Avec le COVID 19 et le confinement, le game changer que personne n’avait vu venir, tout se retrouve cul par-dessus tête. D’anecdotique et distillé au compte-goutte auprès de quelques privilégiés, le télétravail (disons plutôt travail à distance) est devenu la règle. Les outils de travail collaboratifs deviennent l’espace d’agora et de travail des agents et de leurs managers éparpillés chacun chez eux. Les téléservices, une urgence, pour permettre aux partenaires et usagers d’interagir avec les collectivités de leur territoire.
Et dans cette course de saut de grenouille, celles qui avaient anticipé soit parce qu’elles en avaient les moyens ou la volonté (ou les deux) ont plutôt bien traversé l’épreuve. Le Département d’Ille et Vilaine , qui s’était doté d’une feuille de route de transformation numérique en décembre 2019 à 15 millions d’euros, a vu ainsi ses choix stratégiques confortés : plateforme de GRC (ou CRM) qui a permis de déployer en urgence une téléprocédure adossée au plan de soutien économique aux acteurs du territoire, plateforme de travail collaboratif déployé en quelques semaines auprès de 400 agents privés d’accès au VPN de la collectivité, accélération des projets de dématérialisation de l’offre de services de la collectivité, accompagnement des managers pour du conseil au management numérique à distance, etc. Sans parler du déploiement massif en urgence de 700 PC portables auprès des collégiens non dotés au titre de la continuité pédagogique.
Résultat : après quelques jours d’adaptation, l’activité d’un grand nombre d’agents a pu se poursuivre, même pour ceux qui n’étaient pas mobilisés sur le terrain auprès des usagers. Les dossiers ont avancé, des instances se sont tenues, avec plus ou moins de bonheur (difficile, la vision à 80 !). Et des collègues rétifs aux outils se sont convertis aux réunions sur Skype, Teams ou Zoom (même si ce n’était pas recommandé du tout par la DSI... ).
A présent que le retour à la normale s’accélère et que continue de planer l’ombre d’une deuxième vague du virus à l’automne, quels enseignements tirer de cette drôle de période ?
D’abord- c’est un truisme-,que le numérique n’est plus optionnel. Ensuite, que la transformation doit encore s’accélérer en intégrant la dimension humaine de cette conversion majeure des administrations territoriales. De grandes avancées ont été enregistrées, certes, mais beaucoup reste à faire.
La technique, ça devrait passer, en intégrant les soucis de visibilité de l’offre, d’ergonomie, d’accessibilité à tous les sens du terme. Mais l’humain ? L’habitant du territoire, l’agent de terrain Combien n’ont pas pu exploiter, pendant le confinement, les formidables possibilités d’échanges et d’interaction avec les proches et l’extérieur qu’offre le numérique ? La période a en effet permis de toucher du doigt, très concrètement, la réalité de la fracture numérique, qui toucherait 30 % de la population.
D’où cette urgence absolue : construire, dès à présent, l’accompagnement de chacun à cette bascule majeure des usages sur le numérique. Car il n’y aura pas de transformation réussie si 1 habitant de nos territoires sur 3 , si 1 agent de nos collectivités sur trois reste au bord du chemin. Ou alors le saut de grenouille se soldera par un flop.