Transformer avec Montesquieu
Montesquieu

Transformer avec Montesquieu

La plupart d’entre nous sommes engagés dans des actions de « transformations » de nos équipes ou de nos entreprises : notre environnement (business, humain, réglementaire…) se transformant à vive allure, la transformation prend parfois l’allure d’une course contre la montre.

Parmi les philosophes les plus inspirants en matière de transformation, on trouve Montesquieu, dans l’Esprit des Lois. Il nous questionne sur l’efficience de nos transformations et sur les dégâts causés par des actions menées sans discernement, au mauvais niveau.

Selon lui, il est utile de distinguer des « niveaux », de choisir à quel niveau agir, et d’utiliser les bons leviers, adaptés à ce niveau. C’est-à-dire ?!

Il distingue le régime (nous dirions la gouvernance), les institutions (nous dirions la structure de l’organisation), les lois (nous dirions les process et les procédures, mais aussi les outils), les mœurs (nous dirions la culture d’entreprise avec le système de reconnaissance associé) et les manières (les comportements).

L’alignement de ces niveaux constitue un véritable challenge : peut-être avez-vous déjà pratiqué des organisations adoptant un double fonctionnement, le fonctionnement officiel, superficiellement conforme, et le fonctionnement profond, décalé. Ces organisations sont énergivores et difficilement performantes.

Voici donc un texte de l’Esprit des Lois (livre XX) bien utile pour construire sa stratégie de transformation. Montesquieu est bel et bien plus moderne que jamais.

« Nous avons dit que les lois étaient des institutions particulières et précises du législateur, et les mœurs et les manières des institutions de sa nation en général. De là, il suit que, lorsque l’on veut changer les mœurs et les manières, il ne faut pas les changer par les lois, cela paraîtrait trop tyrannique : il vaut mieux les changer par d’autres mœurs et d’autres manières. Ainsi, lorsqu’un prince veut faire de grands changements dans sa nation, il faut qu’il réforme par les lois ce qui est établi par les lois, et qu’il change par les manières ce qui est établi par les manières : et c’est une très mauvaise politique, de changer par les lois ce qui doit être changé par les manières. La loi qui obligeait les Moscovites à se faire couper la barbe et les habits, et la violence de Pierre Ier qui faisait tailler jusqu’aux genoux les longues robes de ceux qui entraient dans les villes, étaient tyranniques. Il y a des moyens pour empêcher les crimes, ce sont les peines : il y en a pour faire changer les manières, ce sont les exemples. […] En général, les peuples sont très attachés à leurs coutumes ; les leur ôter violemment, c’est les rendre malheureux : il ne faut donc pas les changer, mais les engager à les changer eux-mêmes. Toute peine qui ne dérive pas de la nécessité est tyrannique. La loi n’est pas un pur acte de puissance ; les choses indifférentes par leur nature ne sont pas de son ressort »

Transformer, c’est donc choisir attentivement son niveau d’intervention avec 3 principes d’action en ligne de mire :

Le discernement : selon Montesquieu, on change les lois par les lois et les manières par les manières (et non d'abord par les lois). L’écriture d’une nouvelle règle, sans exemplarité et sans incarnation par les dirigeants a peu de chance d’impacter les manières de fonctionner d’une organisation.

L’efficience : l’enjeu est alors d’identifier le niveau qui va emporter tous les autres. Et ce n’est pas le même dans tous les contextes. Seule constante : l’effet dévastateur d’un désalignement entre les organisations et les comportements, consommateur d’énergie, inefficace, générateur de désengagement.

La systémique, car en allant un cran plus loin, tous ces niveaux sont liés : les organisations génèrent des comportements. Par exemple, les organisations entrepreneuriales tendent à générer des comportements de compétition. Les organisations matricielles tendent à générer de la déresponsabilisation…

Les comportements mettent en puissance (ou non) les organisations. Par exemple, les comités de pilotage peuvent intervenir en soutien de la performance… ou devenir des instances de justification et de reporting sans valeur ajoutée.

Les process, les procédures et les outils canalisent les comportements et servent de colonne vertébrale à l’organisation et lui permettent de s’incarner concrètement au quotidien. C'est la force de la règle et du système de sanction ou de reconnaissance associée.

La culture d’entreprise est le terreau fertile dans lequel les autres niveaux viennent puiser leur inspiration : elle stimule certains comportements et en inhibe d’autres. Elle donne à tous le référentiels collectifs et les repères implicites permettant de bien vivre et travailler ensemble.

Et pour conclure, souvenons-nous avec Montesquieu que légiférer ne fait changer les comportements (les manières) que difficilement, dans la contrainte, le dégoût et avec une énorme déperdition d'énergie et de moyens. Le meilleur moyen de faire changer les manières, c'est l'exemple et l'inspiration.

Jean-Marie MEJIAS

Directeur Général - Consultant Comportementaliste

1 ans

effectivement, changer par simple effet de mode, parce que tout le monde en parle initie une forte déstabilisation. surtout pour celui qui initie le changement...

Lydie ALBERTON

Consulting Human Resources

1 ans

Merci Mathieu Maurice pour le partage de cette lecture de l'Esprit des Lois. L'inspiration et l'exemplarité... vont me pousser à remettre le nez dans mes bouquins de philo 😉

Christophe Soisson

Créateur de Valeurs Ajoutées et responsable de Master au Conservatoire National des Arts et Métiers

1 ans

Merci cher Mathieu Maurice, toujours limpide et inspirant. Réussir une stratégie de transformation est donc un art bien difficile, qui doit aligner 5 niveaux des "rouages" d'un collectif. Justement, il ne faudrait surtout pas croire que l'alignement viendra seulement d'en haut. C'est la capacité d'une stratégie de solliciter, de mobiliser les ressources profondes de l'entreprise (et d'avoir été inspirée par elles) qui va mettre en mouvement des forces d'alignement. A défaut de cette résonnance, que tu appelles systémique, ce ne sera pas l'alignement mais bien au contraire la dissonance, dont la bien connue "langue de bois", qui dans le langage moderne de l'entreprise s'appelle parfois, d'une manière très joliment ironique, "la conformité" ;)

Jean-Christophe SAGE

Adjt Chef de Service- Auditeur DPN et Pilote Op MEEI - Cor. Innovation chez EDF

1 ans

Oui Montesquieu, cet humaniste dont je partage personnellement les idées. Tu comprendras aussi en lisant le poème de Rudyard kipling « Si … » que m’a transmis mon père et mon grand père qui était mon parrain.

Bravo et merci Mathieu pour ce partage passionnant ! Il est fascinant de voir à quel point les conseils de Montesquieu s’appliquent encore aujourd’hui dans les enjeux contemporains liés à la transformation💡

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