Transition énergétique : Pour une nouvelle alliance entre public et privé
Extrait de mon mémoire de Master : "Gestion Publique" - ENA/Université Paris Dauphine "Vers quelle territorialisation des politiques publiques de l'énergie en France : gouvernance et investissement"
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Parmi les secteurs de gestion publique amenés à connaitre un développement significatif dans les années à venir, il en existe un, finalement relativement méconnu en dehors de ses sphères d’intervention, et qui est très représentatif des évolutions typées "public management", à la frontière entre la décision publique et l’action privée. Il s’agit de l’énergie et notamment de la question électrique.
Issu d’une logique « régalienne », le panorama de la gouvernance électrique moderne en France s’est dessiné dès la fin de la seconde guerre mondiale. Elle s’articulait autour de trois grandes missions assignées à cette politique publique : la maîtrise de la sécurité d’approvisionnement du pays, l’organisation du marché intérieur et la contribution aux principes de solidarité nationale. Une première fois fortement réorganisée à la fin des années 1990 sous l’impulsion européenne d’ouverture à la concurrence des secteurs électricité et gaz, c’est aujourd’hui l’évolution technologique de la production électrique renouvelable, et la prise de conscience collective des grands défis planétaires qui nous font face, qui viennent faire évoluer les modèles.
Cette énergie plus naturellement répartie et diversifiée dont la dimension d’aménagement du territoire sera primordiale réinterroge inévitablement la personne publique sur cette première question de la gouvernance. Son corollaire, le financement renvoie quant à lui à l’illustration des évolutions des modes de gestion publique.
La fiscalité de l’énergie et sa composante locale, qui apparait comme peu attractive pour les territoires, doit s’apprécier dans un contexte conjuguant la progression de l’autonomie financière des collectivités territoriales et le maintien de leur espace décisionnel limité, conformément aux principes de l’article 34 de la Constitution. L’État, sans surprise, détient dans le cas de la transition énergétique les pouvoirs financiers d’action publique, au moyen de la maîtrise de la fiscalité, qu’elle soit dédiée ou orientable vers les thématiques énergétiques. Néanmoins ces pouvoirs, marqués par les contraintes pesant sur les finances publiques ne sont pas extensifs. Par exemple, si historiquement, le subventionnement a aidé à faire émerger la filière renouvelable et constituait un « moyen de contrôle » de la personne publique sur le développement des filières, son rôle s’amenuisera à mesure du gain de compétitivité de ces technologies et des possibles tensions sur les finances de l’État et des collectivités locales.
Des idées et des solutions émergent, et les précurseurs de ces nouvelles formes d’intervention financière de l’État et des grands territoires sont aujourd'hui une réalité, bien qu'à un stade de développement peu avancé. De financeur pluraliste (fiscalité, garantie grand investissement, tarifs de service public), la personne publique cherche aujourd’hui à faire évoluer son rôle en ajoutant à sa palette d’actions sa capacité à fédérer des initiatives privées pour peu qu’elles démontrent un intérêt socio-économique pour la collectivité. A titre d’exemple, les propositions du rapport Canfin-Zaouati fin 2018 le « plan Juncker vert à la française » ont abouti à la déclaration de création de « France Transition Ecologique » par le gouvernement. Il s’agit d’une bonne illustration de cette nouvelle forme d’action de l’Etat. Ce rapport présente des recommandations pour réorienter de manière massive les flux d’investissements privés vers la transition écologique, au moyen de « dispositifs financiers innovants de partage du risque, pour maximiser l’effet de levier des fonds publics »[i] et où « l’argent public est utilisé comme outil de partage de risque, afin d’amplifier l’implication des investisseurs privés dans le financement de filières de transition rencontrant un déficit d’investissement tel que leur développement reste insuffisant pour répondre aux objectifs de politique publique ».
Sans entrer dans des détails trop techniques, ce type d’outils serait destiné aux secteurs actuellement plus difficilement finançables - économies d’énergie dans le bâtiment, bornes de recharge véhicules électriques, ou plus généralement projets de petite taille à coût de transaction individuel élevé - au moyen d’instruments financiers de partage de risques de type garantie, prêts bonifiés, fonds propres et quasi fonds propres. Les fonds publics ainsi mobilisés permettent de générer un effet de levier, avec des effets maîtrisés sur les déficits budgétaires. Des complémentarités peuvent en outre être envisagées avec les outils plus classiques de politique publique (fiscalité, réglementation…). Outils de gestion publique de forte technicité et nécessitant pour leur création et leur portage des compétences spécifiques, leurs développements se heurtent à la complexité nouvelle de ce type de dispositif d’une part et la taille modeste des affaires traitées d’autre part. Cette question de l’agrégation de projets de transition énergétique reste un point clé de l’évaluation des bénéfices socio-économiques qui pourrait être faite du processus.
Nouveaux outils financiers au niveau national, structures publiques/privées innovantes au niveau local, ce sont autant d’exemples qui se font jour pour faire exister concrètement la transition énergétique. Au regard du saut qu’il faudra opérer dans ce domaine dans les prochaines années en France et en Europe, il apparait néanmoins primordial que de telles dynamiques puissent se déployer avec intensité et rapidité.
[i] Rapport Canfin-Zaouati « Pour la création de FRANCE TRANSITION – Des mécanismes de partage des risques pour mobiliser 10 milliards d’euros d’investissements privés dans la transition écologique »
Associé-Gérant | N.M CAPITAL & Co Investment Banking
5 ans🙌🏽🙌🏽 très intéressant, merci Carine !